Bonjour tout le monde,
On m'a offert la nouvelle édition du Guide Bordeaux de Robert Parker.
Il est moins épais que son prédecesseur, il fait presque 200 pages de moins,ce qui est plutôt surprenant, compte tenu de l'augmentation considérable du nombre de vins notables à Bordeaux. La mise en page est la même, mais avec l'ajout de réproductions de la plupart des étiquettes. L'introduction reprend un article paru dans un Wine Advocate récent, sur les raisons pour l'amélioration générale de la qualité des vins à Bordeaux. Le ton du guideest donné, bien plus que dans les trois éditions précédentes, Parker choisit de donner "sa" vision du vin: un fruit mûr, l'expression du terroir,
vinification sans trop de manipulation...tout en défendant les techniques modernes les plus controversées (micro-bullage, osmoseurs, etc). Il ne va pas jusqu'à écrire qu'il pense être lui-même une raison importante pour l'amélioration de la qualité des vins, mais c'est clairement sous entendu.Dans la partie "mode d'emploi" du guide, il tente de définir ce qui
constitue un grand vin, selon six catégories, avec des exemples de vins pour chaque catégorie:
- la capacité de plaire au palais et à l'intellect
- la capacité de retenir l'intérêt du dégustateur
- la capacité de proposer une intensité d'aromes et de parfums sans lourdeur
- la capacité de s'améliorer avec chaque gorgée
- la capacité de s'améliorer en vieillissant
- la capacité de proposer un caractère singulier
Hormis Latour 82, tous les vins sélectionnés (grands classiques, je ne pense pas qu'il est intéressant de les lister ici) n'appartiennent qu'à une seule catégorie, alors que la plupart entre nous recherche (et trouve) des vinsqui appartiennent à tous les six. Pas très convaincant.
Il défend à plusieurs reprises le fait que les vins "modernes" soient plus accessibles jeunes, et il cite en exemple les 82s: il continue à croire que ces derniers ont dix à vingt ans devant eux, C'est discutable, d'autres dégustateurs sont bien plus pessimistes, et quand je lis qu'un Pichon Baron peut tenir encore quinze ans, ou qu'un Beychevelle est censé tenir jusqu'en 2025, je reste très sceptique, même en grand format parfaitement conservé.
La très grande majorité des notes et commentaires dans le guide sont récentes (depuis 2001), ce n'est pas une simple reprise de l'édition de 1998. Je n'ai pas encore contrôlé les changements d'appréciation, mais il doit bien en avoir.J'avais peur aussi qu'il se contente de reprendre les notes du Wine Advocate, ce n'est pas le cas, les dégustations récentes ne concernent pas que les millésimes récents.
La sélection des vins est bien plus subjective qu'avant: de nombreux châteaux réputés n'ont plus de commentaires et notes détaillés. La proportion des vins du Médoc a baissé. Dans le guide de 1998, le Médoc avait droit à 500 pages en tout, pour seulement 353 pages dans le nouveau guide. L'exemple le plus frappant concerne la séction dédiée aux "Appellations
moins connues", soit Haut-Médoc, Médoc, Moulis et Listrac. Hormis La Lagune et Cantemerle, qui sont dans la section "Margaux", seul Sociando-Mallet a droit à des commentaires détaillés par millésime. Aucun autre cru bourgeois, aucun des trois autres crus classés (qui ont pourtant fait d'énormes progrès), aucun des trois "grands" de Moulis. C'est un véritable camouflet.
Les sections sur les Pessac-Léognans/Graves et Pomerols sont à un peu près équivalentes en taille à celles de l'édition de 1998, chacune comptant seulement une trentaine de pages en moins. Peu de surprises, les sélections
de vins sont logiques. En revanche, la section sur St.Emilion est la seule à ne pas être réduite, au contraire, il compte quatre pages en plus que celle de l'édition 1998. En 98, St.Emilion représentait 24% des vins sélectionnés
(hors Sauternes), aujourd'hui c'est 30%. Beaucoup de vins de garage et autres nouveautés, toujours selon les même critères décrites plus haut.
En attendant de le lire et relire, ma première impression est positive. Malgré quelques reticences quant à la qualité de l'écriture, et au ton pompeux et arrogant qu'il emploie, ce guide est toujours un incontournable pour tout amoureux du Bordeaux. Compte tenu des absences, il ne remplace pas un abonnement au Wine Advocate, il en est complémentaire. Le goût de Parker sera toujours aussi subjectif que n'importe lequel dégustateur, il est normal qu'il l'assume, et je respecte ses prises de position. Seule critique de fond de son approche, alors que l'auteur construit son oeuvre autour du principe de ne commenter que des vins accessibles dans le commerce (aux Américains), je me demande pourquoi des vins comme Lusseau, un St.Emilion de 1,2 ha et 2500 bouteilles annuelles, qu'une très faible minorite de son lectorat pourra acheter, ait droit à autant (ou plus) de place que des vins médocains produisant 200 000 bouteilles, qu'il déclare aimer dans le Wine
Advocate. Plus qu'une question de goût, c'est une question de logique.
Pour conclure, je dirais qu'il est victime de son propre succès. L'absence d'un autre critique aussi droit, cartésien, et incorruptible, lui donne trop d'importance, et cela lui monte à la tête. Ses notes de dégustation sont bien rédigées, et tout ce qui concerne les vins dégustés est excellent, en revanche ses diatribes contre la place de Bordeaux, les vins d'autrefois, l'influence néfaste des critiques anglais, et quelques propriétaires de châteaux (ex: Gonzague Lurton de Durfort-Vivens, dont il critique "l'arrogance juvenile"!!), sont déplacées et sans intérêt. A croire que
personne savait faire du vin à Bordeaux avant 1982....de plus, l'histoire est loin d'avoir donné raison encore à ceux qui croient dans la longévité du type de vin qu'il aime.
En attendant la version française, je pense que vous le trouverez sur Paris à W.H.Smith, ou par internet directement sur le site de RP.
JM