Un débat un peu étrange que celui ci. Mais intéressant. Je ne sais pas si je peux y apporter ma pierre, mais je vais essayer.
Sur le GJE et Reignac, je pense que beaucoup ici seraient étonnés de l’influence que cette dégustation a eu sur les ventes et a encore... Ce n’est pas parce que le lecteur d’LPV n’est pas la cible (encore que...), que l’objectif n’est pas atteint. il est facile, à l’heure d’internet, de voir d’où vient un click qui arrive sur sa boutique en ligne et combien de clients ont vu la vidéo avant d’acheter... Pour ce que j’en sais, à demi mot, disons que cette vidéo a été LARGEMENT amortie par son producteur. Lequel producteur ne peut plus vraiment être nié dans sa qualité par le gratin des dégustateurs qui l’a mis devant d’autres grands crus, preuve et vidéo à l’appuie. Reignac, c’est donc très bon et ça se sait. Pour autant, on peut avoir aussi bon avec en plus une étiquette et ça, pour bien des personnes dans le monde qui sont SDF (Sans Difficultées Financières), c’est très important, l’étiquette. Une dégustation peut booster les ventes, cela ne vous fait pas entrer pour autant dans l’univers ultra fermé des « cult wine », faut encore bosser dur. Donc, tout le monde est content, y compris l’acheteur de la GD, bien sûr, qui se voit conforté dans son choix. Mais je pense que les membres du GJE ne sont quand même pas chaud pour se faire attraper une deuxième fois le main dans le pot de miel... Mais bon, rien à voir avec le débat, non ?
Sur la nécessité de gagner sa vie pour un critique, je dirais qu’il y a deux choses bien distinctes, que je résumerai en « le CA » et « le bénéfice ». La presse a besoin avant tout d’argent pour fonctionner, pour imprimer, pour employer, pour diffuser, pour produire. Avant de soupçonner le journaliste de s’en mettre plein les poches et de se vendre, peut-être lui faudrait-il déjà du temps, pour enquêter, loin de sa famille, souvent, pour voyager, pour dormir, pour déguster, pour écrire ensuite. Hors, c’est là que les budgets se sont le plus réduits en vingt ans. Quand écrivais, on m’envoyait volontiers une semaine à Châteauneuf ou à Bordeaux, pour un bel article de plusieurs pages. Je n’étais pas franchement bien payé, mais je pouvais bosser sérieusement; Aujourd’hui, c’est compromis; Un journaliste de la RVF ou de BD va venir une journée, deux peut-être, et devra pondre du papier. Dans ces conditions, son article ne peut être ni bon, ni surtout vrai. Il y aurai un peu de forme, pas de fond, des choix, beaucoup de choix, pour ne pas dire des partis pris, mais surtout on verra bien la maigreur du « travail ». Et je crois que c’est avant tout pour ça que, pour ma part, je me détourne d’une certaine presse, parce que je n’y découvre ni fond, ni forme, parce qu’on ne s’improvise pas journaliste du vin en un claquement de doigt. Des amateurs sont embauchés, des sommeliers, des acheteurs, maintenant. Voilà ce petit monde qui passe en bagnole chez moi, et, deux mois après, voilà qu’on m’explique comment je devrais piloter mon terroir. Amusant. Un journaliste pro qui choisisse ce métier après l’école de journaliste ? Après Gerbelle que j’ai formé avec Didier Bureau, je ne vois pas qui il y a. Des Dupont, le moule est cassé. C’est sans doute le dernier qui a vraiment une liberté de travail et de ton. Il y a vingt ans, il y en avait 10...
Enfin, la critique à l’heure d’internet; Pour avoir critiqué, à mon heure, je me rend compte aujourd’hui que je cultive et vinifie, combien, sans doute, parfois, j’ai été léger, voire injuste. D’abord, du haut de mon arrogance, je ne voyais pas le travail, la peine, le risque, l’espoir et le cœur que mettent les vignerons dans leurs bouteilles. J’aurai du passer du temps (que l’on ne me donnait pas, alors maintenant...) pour visiter plus à fond, parler, gouter en mangeant, mettre mes bottes et le suivre dans les vignes. Aujourd’hui, je sais. Parce que je fais. Alors, quand je vois certains venir « juger » mon travail au milieu de 150 bouteilles en quatre heures, je suis partagé entre le rire, la moquerie, le désespoir et le dégout. Internet me permet aujourd’hui, ce qui m’était interdit auparavant de faire passer de l’information directement au consommateur. Celui ci se rend compte, même si ce n’est pas conscient, de la médiocrité et la bêtise de certaines critiques et surtout de l’absence de travail : notes et commentaires interchangeables, hiérarchisation suivant presque exactement les classements, absence totale d’engagement personnel (j’ai tellement aimé ce vin que je l’ai acheté, voici ma facture d’achat). On est dans un monde de chroniqueurs, parfois idéologues (les puissants, les bio, les natures, les petits, les marques, etc.) qui ne font que raconter leurs promenades. Rarement d’enquête et surtout JAMAIS de dégustation à table.
Hors, le vin, c’est la table. En douze diner en Asie, j’ai pu voir combien mes vins changeaient, en fonction des climats, des pays, des mets, du temps d’ouverture préalable. Bien au delà de l’intérêt de savoir si les critiques sont impartiaux (et je pense qu’ils le sont sur le plan matériel), il s’agit bien plutôt de savoir si leur avis est d’un quelconque intérêt tant il y a peu d’émotion dans ce qu’ils écrivent. Ce n’est pas le cas sur LPV où l’on voit la fête que représentent certaines ouvertures, l’amitié qui se dégage de certaines soirées, la déception parfois, l’absolue fanatisme aussi, mon préféré, aussi amusant que crédible parce qu’on le sait sincère. Ce genre d’émotion crée du lien, a du sens et surtout démode des dégustations d’un autre temps, résumées sur quelques pages et qui ne disent rien, ne donnent pas envie.
Ce qui m’étonne le plus, en fait, ce n’est pas le business modèle que souligne Jérôme, choisi par certains aujourd’hui, et qui ne me gêne pas et auquel je participe en faisant quelques salons (dont le prix dérape vite en ce moment...), mais bel et bien l’absence de prise de conscience du basculement du monde suite à la généralisation de l’ADSL il y a quinze ans, qui a entraîné une demande très différente de la part du client, que cela soit le lecteur ou le vigneron. L’absence de créativité m’inquiète plus que la dépendance financière, pour conclure. On confond parfois causes et conséquences et, à mon avis, le modèle économique ou la menace d’Internet ne sont en rien une menace pour la presse. La menace, c’est l’absence de créativité, l’envie de pouvoir sur le vigneron et le mépris pour le lecteur qu’on prend un peu trop souvent pour un pinpin.
Un peu long, désolé.