Il en est du vin comme il en est des hommes… ou des femmes.
Il marque les moments forts de notre existence et nous accompagne dans nos souvenirs. Nous vivons avec la mémoire des moments de bonheur qu’il nous a offert et des promesses de bonheur à venir que nous plaçons en lui.
Quand il ne reste plus rien que les souvenirs, parfois idéalisés, une rencontre impromptue avec son premier amour fait ressurgir des moments forts ; la vie avec ses rires et ses larmes. Hier soir, mon amour de jeunesse est revenue, apportant avec elle son cortège de souvenirs.
Elle s’est présentée 15 ans après, vêtue d’une robe de velours brillant, d’un grenat profond offrant des reflets rouge-orangés. Une robe de bal, signée par un grand couturier, sans artifice ni falbalas. Un robe-fourreau comme pouvaient en porter Marlene Dietrich.
Comme moi, elle avait un peu vieilli, mais elle était toujours aussi belle, désirable. Le souvenir du bonheur passé, probablement…
Certes, le bouquet qu’elle avait au départ avait un peu évolué depuis notre dernière rencontre.
Patinés par le temps, les fruits rouges frais qu’elle apportait en masse s’étaient transformés et avaient cédé la place au pruneau, au café.
Avec le temps, il s’était fait plus animal, sur la terre humide, les champignons, le cassis cuit et le cuir. Un peu surpris, je lui trouvais une fugace analogie avec quelque maîtresse bourguignonne. Mais ces envoûtantes fragrances révélaient toujours ce qui avait fait sa beauté : un raisin bien mûr, vendangé au bon moment et mis en valeur par le patient travail des hommes.
En approchant mes lèvres, je reconnu tout de suite la fougue dont elle avait fait preuve à mon égard. C’était bien elle, délicate et suave, franche et tonique. Ce qui m’avait séduit en elle était toujours présent, peut-être avec un peu plus de maturité, mais sans déséquilibre. La force de l’âge en quelque sorte…
Les promesses de son bouquet se retrouvaient dans sa bouche. Son corps svelte et fluide était toujours aussi beau, tout en finesse, à peine flétri par les années mais présentait encore une exquise féminité. Notre baiser, très long, se prolongea sur le fumé et le Havane. La magie de notre première rencontre avait de nouveau opéré.
Cette plongée en elle fut à la fois merveilleuse et attristante, rappelant les rires partagés et la mélancolie de moments plus durs.
Les rires liés à la joie de la découverte. La première bouteille bue chez le père d’Olivier, les rires engendrés par l’ivresse naissante. Les rires jubilatoires en ouvrant les premiers cartons dans la cave ; premières pierres d'une vaste construction toujours inachevée.
C’était aussi les rires de la dégustation, la complicité de deux copains découvrant le vin en fin d’adolescence et contents de leur achat.
Et puis la mémoire de Maurice, père trop tôt disparu d’Olivier. Maurice était à l’image de ce vin : joyeux, franc, direct, droit, sans artifice, entier, révélant une extraordinaire richesse. Maurice chassait, mais aimait la vie. Il aimait ses copains et les copains de son fils. Il aimait les vins de copains à partager en riant autour d’une bonne table. Il nous a transmis un héritage pas trop lourd à porter. Vivre, partager et profiter de ceux qu’on aime.
Elle était là lors de son inhumation. Peut-être pas dans sa meilleure année (d’ailleurs, qui est vraiment beau dans ces moments-là ?), mais discrètement présente. Sans mensonge.
Elle nous a encore accompagné un bon moment et puis… Les hasards de la vie, l’émancipation, l’envie de découvrir le monde. Je l’ai abandonnée sans même m’en rendre compte, lui faisant des infidélités croissantes. Pas par méchanceté, juste par curiosité. Elle avait même disparu de ma mémoire.
Ce 25 novembre, sortie d’un long sommeil par mon oncle, je la contemplais en me disant que ne la reverrai plus jamais. Désormais, seuls vivront les souvenirs et les émotions légués par ce modeste bordeaux supérieur Château Terrefort Quancard 1987.
Olivier : à la tienne. Maurice : tu me manques.
Vougeot