Vendredi soir, j'organisai un atelier sur les accords mets & vin avec la troupe de la boxe française, curieuse d'en apprendre plus sur le vin et la gastronomie en général. Par conséquent, avec une amie sommelière, nous nous sommes répartis le travail et j'ai endossé le rôle de caviste et de brigade unipersonnelle (mise en place, cuisine, service & plonge) pendant qu'elle s'est acquittée de l'enseignement de l'analyse analytique et des accords mets & vins.
J'avais prévu un accord avec des légumes (aubergines longues à la sauce chinoise, du poisson (dos de sandre et beurre maître d'hôtel), et de la viande (boeuf bourguignon)
Apéritif : toast au foie gras (nature, piment d'Espelette, Jurançon), crudité. Les bulles étaient plus pour la mise en bouche et en attendant l'arrivée des hôtes que pleinement partie de l'atelier.
Bouteille 1 :
Rheinhessen (Allemagne), Sekthaus Raumland, Cuvée Katharina Brut Nature 2017
L'une des cuvées d'entrée de gamme du maître allemand de la méthode traditionnelle (qui a en gros reproduit la champagne en Hesse Rhénane où il y a une forte similarité des sols et du climat).
La totalité des informations techniques
se trouve sur le site internet. Blanc de Noir (PN & Pinot Meunier, base 2017, 60% d'élevage en cuve, le reste en barrique. Dosage 2,5g. J'ai eu le tirage précédent par rapport à la fiche technique actuelle.
Le vin est très bien fait avec une bulle assez fine et persistante sans agressivité, la vinosité est là avec beaucoup de fruits du verger à l'attaque suivie par les arômes briochés du repos sur lies d'une durée significative (au moins 36 moins). Il n'y a pas non plus de verdeur ni d'acidité trop aigüe mais le vin conserve de la fraîcheur sur la finale. Le volume n'est pas énorme ni non plus la longueur aromatique mais ça donne aisément le change à nombre de champagnes beaucoup plus chers.
Bouteille 2 (apport de mon amie sommelière) :
Champagne, Pierre Paillard, Les Parcelles XVIII
BSA en base 2018, 70% PN & 30% Chardonnay, 3 ans de repos sur lies, 1g/L de dosage.
La comparaison est intéressante à réaliser avec le vin précédent, et de facto il y a une claire filiation sur la palette aromatique où les cépages rouges là-aussi dominent. Il y a un peu plus de puissance et de la pomme au four en sus dans cette cuvée mais paradoxalement, la persistance n'est pas plus longue et la fraîcheur moins limpide. Toutefois, la prestation générale est supérieure au vin précédent sans pour autant qu'il y a un écart de division a contrario du prix, nettement plus élevé.
Les choses sérieuses commencent avec les aubergines longues cuites et accompagné d'une sauce chinoise comprenant de la sauce pimentée, de la sauce huître, sauce soja au champignon ainsi que du vinaigre de Chine. Un plat débordant d'umani et avec une tension assez forte apportée par les épices et le piment.
Autriche, Burgenland, Weingut Uwe Schiefer, Blaufränkisch, Palla Woller 2018
Les vignes du domaine enjambent la frontière et c'est en réalité du kefrankos (nom hongrois du cépage) vinifié en Autriche, de façon traditionnelle dans de grandes barriques. C'est la partie hongroise de l'Eisenberg, terroir schisteux et ferrugineux de la région. 12,5°
Pour tout dire, le vin n'était pas attendu à ce niveau et c'est tout ce que j'aime dans les vins rouges. En effet, je suis sensible à l'alcool et aux tannins.
Celui-ci avec ses 12,5° est léger, et ses tannins poudrés sont déjà parfaitement intégré apportant leur grain et la présence au vin ainsi que le toucher de bouche soyeux exacerbé par l'élevage en barrique. La robe est assez claire avec des reflets violacés sur le disque. La palette aromatique est celle de la cerise noire mais pas kirschée accompagnée de mûres et de myrtilles avant de laisser place à un côté un peu plus terrien, lichen et une acidité très bien calibrée pour allonger l'expérience sur le poivre blanc, clou de girofle, fleur de badiane. La semaine précédente ayant été consacrée aux vins du Rhône avec LPV Paris Nord-Est, le vin m'a évoqué ce qu'aurait dû être les grandes syrah dégustées en fait.
L'accord a été très bien avec le plat, l'acidité du vin contrant et s'associant très bien avec la tension épicée de la sauce, et l'aromatique fusionnant avec succès également. Accord de texture excellent pour achever le tableau. La soirée était d'ores et déjà une belle réussite avec cette association.
A cause de difficulté de cuisson du poisson, nous passons au boeuf bourguignon directement et il était associé à un bordeaux.
Bordeaux Supérieur, Château Reignac 2009
Pas besoin de présenter plus avant le domaine qui a fait sa notoriété grâce à un "guerilla marketing" très bien rodé. C'est un incontournable des primo-achats quand on tombe dans le vin, et en 2020 IDW avait fait une promo à -20% pour 3 bouteilles achetées. Données techniques sur 1jou1vin
ici.
18 mois de barriques dont 20% de neuve, 75% de merlot, 25% de cabernet sauvignon. C'était ma dernière.
Le vin présente une robe très dense et sans trace d'évolution. Bien que les recommandations de dégustation était de le boire en jeunesse, le vin a une palette aromatique très noire : mûre, cassis, airelles, vanille, girofle avec beaucoup de matière et de puissance mais les tanins sont intégrés et tout ceci glisse sans frottement. Certes, on peut lui reprocher un élevage prononcé et perceptible mais qui ne cache pas pour autant totalement le fruit. C'est du bel ouvrage à mon humble avis et à un prix accessible de surcroît.
Le boeuf bourguignon avait été préparé l'avant-veille et connu au cumulé 8h de cuisson avec une nuit de repos : dégraissé, le collagène bien extrait et intégré à la sauce, tous les éléments avaient cette texture fondante géniale, des carottes au céleri, et même la queue de boeuf se détachait à la cuillère sans effort.
L'accord de texture fonctionnait très bien même si en toute objectivité la palette aromatique du vin était un peu trop sombre et automnale pour mon plat, avec plus de champignons et un gibier, l'accord aurait atteint un stade supérieur. Mais entre les végétariens et ceux qui n'aiment pas les tanins, c'est le duo qui a eu le moins de succès de la soirée.
Le poisson enfin cuit, la peau et les arêtes s'enlevant sans difficulté, place au vin qui l'accompagnait :
Hongrie, Tokaji, TR Wines, Furmint Dry Palota 2019
Mon amie hongroise rencontrée en Suisse a investi dans un vignoble dans le village de Tallya depuis 2016. Ce Furmint sec est sa grande cuvée dans le haut de son coteau, levures indigènes et élevage de 9 mois en barrique de chêne slavonien. 12,5°. 500 bouteilles produites et la seule présente en France
. Infos
ici
La robe est or plein, légèrement capiteuse. Au nez se présentent des arômes de poire, sureau, mandarine mûre. En bouche, le jeu entre le gras, la tension et l'arôme de poire conférence croquante est très intéressant. Ceci débouche sur une finale longue où le fruit se transforme en éperon cristallin salivant.
Bel accord avec le sandre dont la texture un peu grasse s'accorde avec celle du vin, et le beurre maître d'hôtel apporte les herbes aromatiques qui révèle l'acidité assoupie du furmint.
La troupe apprécie beaucoup cet accord et ses composants. Cela fait plaisir. Quant au vin, vous pourrez y goûter le 7 février à l'ambassade de Hongrie qui organise "Furmint février" mais à ma grande déception je ne serai pas à Paris ce jour-là. Aniko est l'une des personnes les plus charmantes que je connaisse.
Pour finir la soirée, place au dessert. Initialement, je voulais prendre la tarte au citron de Mâm mais je suis arrivé 10 min trop tard. Qu'importe, ce sera un Paris-Brest.
Pour l'accompagner, dans ma grande générosité j'ai sorti la bouteille suivante :
Allemagne, Sarre, Weingut Peter Lauer, Ayler Kupp Riesling Spätlese 2014 Fass 23 Versteigerung
C'est l'une des mes bouteilles des enchères de Trèves, environ 90°Oechles. Le producteur est perçu comme un spécialiste de vins secs et "souffre" d'une décote dans ses prädikat.
On peut difficilement faire plus transparent et claire qu'une robe de riesling de Sarre et c'est encore le cas ici. Le nez est magnifique de fruits tropicaux et de cristal pilé (saveur hédonique), en bouche c'est un fil magnifiquement ductile d'équilibre entre le sucre résiduel, les fruits tropicaux et toujours cet éclat cristallin propre aux vins de Sarre. J'en suis grand fan et cette cuvée des enchères pousse cette finesse sans rupture plus loin qu'une cuvée normale : le vin ne pèse pas mais transmet avec une intensité énorme ce jeu d'équilibre alternant le sucre, l'acidité, le cristal.
Le silence se fait sur le table et tout le monde a le sourire et s'enthousiasme, la bouteille a été vidée avant que la tablée en a pris conscience. Quant à l'accord, le sujet n'était pas là mais le vin n'alourdissait pas un Paris-Brest de belle facture mais dont la richesse intrinsèque n'est pas facile à marier. Sur la ta
blerte au citron, cela aurait proprement été transcendantal mais ce sera pour une autre fois.
Le choix de présenter des vins étrangers pour la plupart avait pour but de neutraliser la variable "notoriété & préjugés" quant au jugement des vins de mes camarades. Les noms étaient du volapük pour eux, donc aucun enjeu de face à trouver tel vin meilleur que l'autre malgré le pedigree inférieur. Mis à part mon vin de dessert - clairement issu de mes pépites - les autres bouteilles faisaient parties des entrées de gamme de ma cave.
Merci de m'avoir lu.