Voyage autour du Chardonnay
Derrière le titre un brin pompeux se cache une très sympathique dégustation organisée récemment pour des amis par des amis, dont un vigneron qui se chargera avec panache des explications techniques, la majorité des convives étant amateurs novices. L'idée est de découvrir le Chardonnay au travers de 5 vins bien différents et de partager en direct ses impressions le plus simplement possible, avant de s'enfiler les restes de bouteilles sur une série de fromages tous délicieux.
CRs à la volée donc des vins dégustés, au final la dégustation a parfaitement rempli son rôle pédagogique puisqu'on a bien eu affaire à 5 vins très différents.
J. Vignier, Champagne Blanc de Blancs "Aux Origines"
(assemblage 2016-2017, dégorgement 2022)
Belle réussite, blanc de blancs très lisible et pur centré sur une belle fraicheur, l'aromatique est très représentative du style et vogue entre les agrumes, la coquille d'huitre, le champignon cru, le gingembre, avec une belle acidité. Une fois la bulle (relativement peu abondante certes) dissipée, on a presque un Chablis dans le verre. Ce n'est ni follement long ni follement complexe mais c'est lisible et très rafraichissant. Belle entrée de gamme !
Très bien / 16/20
Athénaïs de Béru, Bourgogne Chardonnay 2020
(partie négoce du Chateau de Béru, vinification nature)
Mention spéciale à l'étiquette magnifique. Ça me fait penser à d'autres CRs que j'ai lus ici sur des vins du Chateau de Béru, "le discours marketing est bien rôdé et les yeux de la vigneronne sont charmants, mais quand il faut passer en caisse on se demande un peu à quelle sauce on s'est fait bouffer" ou un truc du style. Je souscris assez bien à cela. Ça reste typé nature avec dans l'aromatique une pointe d'oxydatif et une touche (pas trop dérangeante pour moi) de volatile : pomme golden très présente, limite un peu blette, sel, touche fumée, très léger vernis, quand même un côté lacté agréable et bien présent. La bouche propose à l'entrée un beau toucher laiteux et une aromatique pomme-yaourt qui se resserre ensuite sur une acidité un peu brouillon, et la matière n'est pas énorme pour un millésime qui est sensé être providentiel en blanc (quoi que pas forcément dans le Chablisien vous me direz).
Est-ce que c'est bon dans l'absolu ? Oui. Est-ce que si je mets 30 balles dans un chardo bourguignon c'est ce genre de résultat que j'attends ? Non.
Bien + / Très bien - / 15/20
Maison Henri Boillot, Bourgogne Blanc 2018
(négoce du Domaine Henri Boillot, Meursault)
Voilà l'expérience qui sera particulièrement éducative pour moi aujourd'hui. Au premier coup de nez après le Béru, je souris d'un évident retour au classicisme. Le nez est murisaltien, limite un peu too much, boisé et old school sur le sésame grillé à fond les ballons, le beurre de cacahuète, avec quand même quelque chose de nerveux derrière, ça donne envie d'aller dedans. Une fois en bouche, je vois que certains à la table font un peu la grimace. Visiblement, ce n'est pas au goût de tout le monde. Dans un premier temps, je n'y vois personnellement aucun défaut. Et puis, le temps passant, effectivement je commence à percevoir des notes qui sont sans doute défectueuses, qui rappellent clairement le salami type Saltufo (vous voyez, la petite boule de salami truffé enrobée dans du parmesan). Pour moi c'est léger, et je persiste à percevoir le vin derrière et à l'apprécier, mais d'autres trouvent ça rédhibitoire. Notre ami vigneron nous apprend que ce goût type saucisson est un des "avatars" du fameux goût de souris, que je découvre pour la première fois aujourd'hui. Chose plus intéressante encore, j'apprends par mes recherches par la suite que la sensibilité au goût de souris est extrêmement variable d'un dégustateur à l'autre et est notamment moindre chez les dégustateurs au pH salivaire acide, ce que j'ai toujours eu d'après mon dentiste
On tient peut être là une explication.
A noter, les deux bouteilles ouvertes en parallèle étaient exactement identiques. Une demi-bouteille restée au frigo toute la nuit se présentera mieux le lendemain, surtout quand la température reste fraiche. Vu que d'après l'ami en question le défaut peut parfaitement disparaitre à la garde, la dernière non-ouverte sera à garder. Par contre au niveau des causes, lui-même s'interroge un peu car même si les mécanismes sous-jacents restent obscurs, c'est visiblement un phénomène qu'on ne rencontre quasi que chez ceux qui ne sulfitent pas, or Boillot sulfite ...
ED pour certains, Très bien - / 15.5/20 pour moi tant que la température ne monte pas trop haut
Springfield Estate, South Africa, Chardonnay "Wild Yeast" 2021
(levures indigènes, pas de bois)
On pourrait presque croire que 2021 s'inscrit parmi les millésimes récents de la même manière en Afrique du Sud qu'en France puisqu'ici aussi on semble être sur un équilibre relativement frais avec notamment en bouche une touche de pyrazine (poivron vert) que j'imagine ne pas être systématiquement présente sur d'autres millésimes. Du reste le vin est beau, très chardonnay du nouveau monde mais sans excès, poire fraiche, fromage blanc, beurre frais, yaourt, ça glisse tout seul mais tombe assez court en finale.
Bien + / 14.5/20
Et on finit sur le vin qui s'avérera être le plus complet de la soirée à mes yeux :
Cuvaison, Carneros - Napa Valley, Estate Grown Chardonnay 2014
Quand on me sert le vin, je ne prête pas attention au millésime. Robe quasiment verte fluo, et particulièrement brillante, étincelante. Du nez à la finale, de bout en bout un Chardonnay démonstratif, large, avec un nez quasi Beaunois avec beaucoup de beurre, de la noisette, beau bouquet floral. En bouche c'est expansif, complexe, peu acide mais l'aromatique compense, très beau déploiement de fleurs blanches, de poire, de notes patissières dans un style lascif et large. Le vin parvient à équilibrer toutes ses tendances maximalistes en un ensemble absolument cohérent. Seul défaut, une pointe d'alcool en fin de bouche.
Je me dis "c'est encore un bébé" et puis je vois l'étiquette ... 2014, wow ! Quelle jeunesse pour un vin de cet âge, vraiment difficile à imaginer.
Bref, un beau Chardonnay du nouveau monde qui s'assume, dans un style complet et complexe, large mais cohérent, et qui visiblement a la capacité de vieillir (ou plutôt de ne pas vieillir) admirablement.
Ce sera too much pour certains et la pointe d'alcool en fin de bouche est bien présente.
Très bien / 16/20
Merci de m'avoir lu et merci encore aux organisateurs !