Ce rendez-vous chez
Eric Rodez, je le dois à l'ami
Vinozzy. Nous sommes accompagnés par mes amis belges qui repartiront vers leur (pas si) plat pays juste après la visite. Comme le timing était limité à environ deux heures, nous n'irons pas dans les vignes. Nous nous sommes assis au salon où Eric Rodez nous parle aussi bien de sa propriété que de sa région viticole avec beaucoup de détails et de passion. Quasiment, dès le départ, j'ai pris l'initiative d'enregistrer notre échange, car je pensais que ça en valait la peine. Par contre, je ne me rendais pas compte à quel point le retranscription serait longue et difficile, même assistée par une intelligence artificielle (47 pages word au départ...). Il a fallu ensuite élaguer et mettre de l'ordre dans tout ça, car on partait un peu dans tous les sens, au fil des questions posées.
Le long cheminement de la conversion
"Nous avons commencé à travailler les sols en 1989. Six ans plus tard, nous nous sommes lancés dans l'expérimentation du bio, sans nous faire certifier dans un premier temps. Avec nos 35 îlots parcellaires, nous sommes dépendants des pratoiques de nos voisins. Il y a 25 ans, c'était la technique des autres qui rayonnait à l'intérieur de nos parcelles. Aujourd'hui, c'est plutôt l'inverse. En 1989, quand nous faisions une fosse pédologique, la totalité des racines était dans les 25-30 premiers centimètres du sol. Aujourd'hui, nous n'en avons plus que 40 % qui sont dans ce profil là. Et nous avons 60 % des racines qui colonisent la totalité du sol jusqu'à jusqu'à la craie. Cela change le profil des vins.
Le bio a beaucoup progressé techniquement. Il y a par exemples différentes formulations de cuivre. À l'époque de mon grand père où la Champagne était totalement en bio – puisque au début de sa carrière, il n'y avait pas du tout de pesticides de synthèse – un vigneron appliquait 50/60 kilos de bouillie bordelaise par hectare et par application, ce qui revient à 10-12 kilos de cuivre métal. Aujourd'hui, la réglementation nous limite en moyenne à quatre kilos de cuivre metal ... par an. La baisse est spectaculaire. Aujourd'hui, les cuivres sont chimiquement triturés pour être tout de suite beaucoup plus performants sur la plante. Mais c'est un cuivre issu de la pétrochimie. De même, le soufre est beaucoup plus facile à utiliser qu'il ne l'était auparavant. Il est également beaucoup plus efficace. Mais si l'on veut absolument des soufres naturels, les conditions d'exploitation posent souvent question (exploitation des enfants). Au delà de ça, le cuivre est toxique pour le sol, et pour la biodiversité. Je suis incapable de m'interdire totalement l'usage du cuivre et du soufre. Mais il nous faut faire mieux. Alors que, climatiquement parlant, les pressions des maladies cryptogamiques sont plutôt en augmentation.En terme qualitatif, il y a moins de différences dans les millésimes que je n'ai pu avoir au début de ma carrière. La façon dont nous travaillons à la vigne fait que le style des millésimes se ressemblent beaucoup plus maintenant qu'ils ne se ressemblaient, ou du moins qu'ils ne se ressemblent dans le cadre d'une viticulture conventionnelle passéiste.Au delà du fait que beaucoup de molécules de synthèse ont un goût, une odeur et vont donc marquer sensoriellement le vin avec les nano-traces qu'il y a dedans, ce qui va faire la différence, c'est le racinaire qui occupe l'ensemble du profil du sol .Le cycle de l'humus n'est plus le même. Cest l'une des premières choses que Demeter vérifie quand on s'engage dans la certification dynamique. Bien évidemment, il regarde les cahiers d'enregistrement. Mais la première chose, c'est en parcelle, avec une fourche : le contrôleur observe le profil du sol sur les trente premiers centimètres. Il voit tout de suite si l'on raconte du baratin ou pas, simplement à la facilité à piocher, à la texture et à l'odeur du sol.
Nous avons aujourd'hui trois certifications sur le domaine : Bio, Demeter et puis HVE. Cette dernière ne nous apporte absolument plus rien. Mais je la mets pour la gloriole. Le hasard fait que nous avons été la première exploitation française certifiée HVE à un moment où j'étais vice président de la Chambre d'agriculture. Je voulais faire un peu bouger les lignes pour montrer que c'était possible de se faire certifier en Champagne. Par contre, je n'affichais pas notre mention bio sur les bouteilles. Ce n'est pas parce que c'est bio que c'est bon. Pour moi, le bio, c'est une philosophie de production mais il ne certifie par la qualité finale du produit. Il y a des vins conventionnels qui sont bons tout comme a des vins en bio qui sont bons. Il y a des mauvais dans les deux logiques, sachant qu'un bon vin, c'est celui qui vous plaît. Par contre, il y a trois ans, Ecocert, suite à l'audit, nous a dit “soit vous affichez le pictogramme bio sur les bouteilles et vous pouvez continuer de communiquer sur le fait que le domaine est en bio. Soit vous maintenez votre choix de ne pas mettre le pictogramme du bio sur les bouteilles et du coup, vous ne pourrez plus nulle part dans votre communication annoncer que vous êtes en bio.
" Or, nous voulons quand même pouvoir dire que nous sommes en bio. Donc nous on a mis finalement le pictogramme sur les bouteilles. Je n'aime pas les cases, mais aujourd'hui nous voyons arriver en bio beaucoup de domaines qui le font par opportunisme. Certains annoncent qu'ils vont passer en bio en 2020 avant de reculer en 2021, suite à la méteo catastrophique
Les huiles essentielles
"Nous avons mis en place d'autres traitements qui donnent de bons résultats. J'ai eu une fille qui a souffert de problèmes pulmonaires (mucoviscidose, ndlr). Nous avons beaucoup utilisé des huiles essentielles pour Clémence. Cela m'a donné l'envie de lire pour essayer de comprendre en quoi elles pouvaient lui être utile. Avec une autre question : pourquoi pas s'en servir pour protéger les plantes?J'ai rencontré plusieurs fois
Éric Petiot
, et nous avons démarré ensemble l'usage d'huiles essentielles peu de temps après que le domaine soit totalement conduit en bio. Dans la littérature scientifique et technique, il n'y a quasiment rien concernant l'usage des huiles en agriculture. Petit à petit, j'ai donc appris en faisant des essais en comparant des parcelles traitées et non traitées. En 2012, la pression des maladies m'a fait rentrer en panique, et lorqu'on rentre en panique, on n'est plus du tout dans le côté rationnel des choses. J'ai décidé de généraliser l'usage des huiles essentielles sur tout le domaine en ne laissant plus de témoins non traités. J'avais le trouillomètre à la puissance maximum... Et on a eu de très bons résultats ! Nous avons fait une très belle vendange quantitative et qualitative en 2012, et donc, depuis, nous avons généralisé dans notre parcours l'usage d'huiles essentielles.
Par exemple, quand nous avons une population de chenilles de pyrale qui nous gène excessivement, nous pulvérisons de l'huile essentielle de lavande dans les vignes : elle va créer une ambiance qui va les gêner. Elle se laissent tomber au sol, et sur le sol, les empêchant de vivre la continuité de leur cycle. Concernant le mildiou et l'oïdium, de manière préventive, nous avons de très bons résultats avec les huiles d'orange et de citron. Lorsque nous avons un souci quelque part ou pensons avoir un loupé, qu'il y a une fenêtre météo probable de contamination, nous allons utiliser de l'origan.
Le dosage en conditions normales d'utilisation en préventif, du mildiou et de l'oïdium est de 50 millilitres par hectare auquel on ajoute 100 millilitres d'huile alimentaire. Pour rendre ces lipides miscibles dans l'eau, nous les mélangeons avec 25 centililtre de savon liquide. Nous pulvérisons 200 litres par hectare. Ce qui fait que la vigne n'est pas mouillée : elle est légèrement humide après le passage du tracteur.Comment interagit l'huile essentielle? Je n'en sais rien. La seule chose que je peux vous dire, c'est que ces dernières années, même dans une année difficile comme 2021, la dernière année à forte pression de maladies, nous avons fait une belle vendange quantitative. Alors ce n'est certainement dû uniquement aux huiles essentielles. Mais c'est quelque chose qui aujourd'hui nous aide. Malheureusement, il n'y a pas de recherche à ce sujet. La raison en est toute simple. Par exemple, pour l'orange, il y en a pour moins de 4 € d'huiles essentielles par hectare. Si l'on rajoute le savon, l'huile, on va dire que cela fait 10 €. C'est absolument peanuts
. Ce n'est donc pas intéressant économiquement pour l'industrie du phytosanitaire."
Les cépages"Il y a en champagne sept cépages autorisés. Dans la réalité des faits, il y en a trois d'utilisés, car il y a 30 % de chardonnay, 35 % de pinot noir et 34 % de pinot meunier. Les quatre autres cépages ne représentent que 1 % (pinot gris, pinot blanc, l'arbanne et le petit meslier). En ce qui concerne Ambonnay, c'est le pinot noir qui est très majoritaire. Il y a toujours eu un tout petit peu de chardonnay. À partir du milieu des années 50, mon arrière-grand-père paternel et mon grand père maternel ont commencé à remettre les chardonnay sur le terroir. Quand j'ai repris le domaine, nous étions à 38 % de chardonnay en regroupant les biens du côté de mon père et ceux du côté de ma mère. Nous avons souhaité mettre du chardonnay également pour augmenter le panel sensoriel pour les assemblages et avoir des cuvées de sensibilités différentes entre les blancs et les noirs.Pendant longtemps, les vignes plantées en pinot meunier ne pouvaient pas revendiquer l'appellation grand cru. Aujourd'hui, dans le nouveau cahier des charges, il n'en est plus question. Dans la parcelle que nous venons de planter, il y a les cinq cépages que nous n'avions pas historiquement sur le domaine, même si nous savons pertinemment qu'il y en a vraisemblablement trois que nous n'utiliserons pas dans l'avenir : le pinot gris, le pinot blanc et le pinot meunier. Ceux qui nous intéressent, c'est l'Arbanne et le Petit Meslier, car ils présentent des profil de maturation différents, intéressants avec le réchauffement climatique."
Racines
"Le vigneron qui vous dit que toutes les racines de ses vignes sont dans la craie, c'est un menteur. Il n'y a rien dans la craie, à part quelques racines s'il y a une faille où éventuellement la vigne peut se glisser. Mais la vigne ne le fera que si le bilan énergétique est positif pour elle. Par contre, nous avons 15- 20 % des racines atteignant l'interface sol-craie. C'est c'est ce qui nous aide, surtout dans des années comme 2022. Les deux premiers vins clairs que vous avez goûtés ont une verticalité en fin de bouche. Cela est dû uniquement à cet échange entre les racines et le sol.La vigne ne fait pas que prendre au sol. Il y a tout un écosystème autour de la racine de tous les végétaux et les réactions chimiques dans les sols autour de cette racine. Et donc le végétal, pour arriver à prendre du substrat nutritif et des minéraux dans le sol, va interagir chimiquement sur la structure du sol. Donc dans ce sens, je rejoins ce que vous avez dit, c'est à dire la capacité de la plante et de la vigne en l'occurrence à casser la roche. Oui, mais de là à dire que la vigne va. plonger dans la craie pour essayer d'aller voir ce qu'il y a au-delà, non. Elle pourra continuer dans une fissure s'il y a une faille. Mais je n'ai jamais vu une vigne où on est obligé de décaisser le sol pour sortir les racines.
Nous avons vraiment cette chance d'avoir l'immense majorité de nos sols sur craie, ce qui n'est pas le cas partout en Champagne. Il y a entre autres des sables, les argiles, des marnes... L'épaisseur du sol ne va pas forcément jouer sur l'humidité. Par contre, le fait d'avoir 15 cm de sol de plus que dans la côte des Blancs va faire que le substrat organique est plus généreux sur notre secteur que dans la côte des blancs. Et du coup, l'impact sur les vins. Il y aura la sensation de tension, de minéralité plus forte dans la côte des Blancs que dans notre secteur. "
Préserver ses spécificités
"Je pense vraiment que les régions historiques françaises sont en grand danger. Bordeaux, Bourgogne, Champagne Quand un consommateur dans un restaurant peut avoir un verre de Sparkling pour 5-8 € alors qu'un verre de champagne coûte 12-15 €. Il est important que l'univers sensoriel du champagne soit différent de celui des autres vins effervescents. Là encore, je ne parle pas de qualité. Ce que je veux dire, c'est qu'aujourd'hui, tout se ressemble de plus en plus. Le jour où le consommateur va réaliser qu'en payant deux fois moins cher, il a pratiquement un plaisir équivalent, il n'achètera plus de champagne. parce que ce sera vraimentIl y a eu un changement récent du cahier des charges avec les vignes semi-larges – 6000 pieds au lieu de 8000/ha.
Le problème, ce n'est pas l'évolution de la technique. C'est pourquoi
on fait évoluer la technique et
quelle est la finalité, au bout du compte? Dans tous les métiers il y a des soucis de ressources humaines. C'est un vrai problème aujourd'hui, entre autres, de trouver des vendangeurs. Mais moi, je préfère mettre de l'énergie pour donner à des gens l'envie de venir travailler chez moi ou de discuter avec les politiques pour essayer de faire bouger les lignes en matière d'accueil et les saisonniers Plutôt que de me battre pour autoriser la machine à vendanger. Or, de nombreux vignerons champenois aimeraient y avoir recours. Et je pense que dans moins de dix ans, elle sera autorisée. Cela ne va que creuser la différence entre les domaines pour qui l'économie prime et ceux qui sont pour la terroirisation des vins.Historiquement, le secret de la Champagne, ce n'est pas une fermentation pure en cuve, mais en bouteille. Je voudrais dire parfois à la presse que certains font des lots de "petite mousse" en cuve close destinés à des assemblages de champagne. C'est une bombe atomique, en fait. Ça n'a rien à voir avec la typicité Champagne ! Dans le prolongement, il y en a qui font passer la pré-tailleuse dans les vignes en cordon de Royat. Tchak, tchak, tchak...
Tout est enlevé à toute berzingue. Derrière, ils n'ont quasiment plus besoin de plier. On est sur un profil de production qui n'a rien à voir avec celui d'un domaine traditionnel. Au bout du compte, attention. car il y a un manque de sincèrité et d'honnêteté. "
La maturité idéale
"La vendange 2021 a été difficile à produire. Une année de stress dans les vignes, mais une fois les vins rentrés à la cave, que du bonheur ! Les vins sont d'une très belle classe, une belle sensualité. Par contre, 2022 a été une année très, très facile à la vigne, mais très difficile en cuverie. Très mature, très très mûr, mais manquant d'acidité.2011 est un millésime qui a été loupé en Champagne parce que vendangé trop tôt. L'une des difficultés aujourd'hui, c'est le fantasme dans la mémoire collective des grands millésimes où l'on rentrait du 9,5 % en potentiel d'alcool. Aujourd'hui, c'est facile d'aller au dix degrés. Mais autrefois, cela n'arrivait quasiment jamais. Bien souvent, on discutait pour savoir si le degré minimum était 8 ou 8,5. Et si on mettait 8, c'était pour tolérer ceux qui était à 7.
Aujourd'hui, la maturité technique idéale (environ 11 % potentiel ndlr) est acquise avant la maturité phénolique de la baie et du pépin. Si on vendange trop tôt, la peau des pépins n'est pas mûre. Une multitude de petits chocs – la main du vendangeur qui va chercher la grappe, la grappe quand elle tombe dans le seau, du seau dans la comporte, la comporte sur la remorque du tracteur, le raisin quand il tombe dans le pressoir – vont créer un peu d'amertume. Et quand elle est trop marquée comme en 2011 en Champagne alors que les vendanges ont été démarré fin août. Alors que les conditions climatiques ne le nécessitaient pas : nous n'étions pas à la veille d'une catastrophe. Il fallait juste avoir le courage de dire “on attend quelques jours de plus”
. Eh bien, il s'est passé la même chose en 2022. Nous avons patienté quelques jours de plus. Le revers de la médaille, c'est un degré alcoolique moyen de la vendange à 11,8 % en cuverie – jusqu'à 12,6 % pour le chardonnay.Du coup, on s'interroge sur l'avenir parce que nous voulons toujours faire un bon vin effervescent, en élégance et en tension. Pour cela, nous faisons tout au domaine pour que les malos ne se fassent pas. Mais nous sommes en biodynamie, ce qui limite l'utilisation des sulfites. Nous n'avons aucun moyen technique, à part utiliser le froid de manière massive, mais ce n'est pas souhaitable. Finalement, après trois mois de stress, nous avons quand même une belle tension en bouche dans nos 2022 . C'est l'héritage de ces 35 années passées. Tant que nous resterons sages dans notre travail à la vigne, eh bien les vins sont hyper simples à faire. Parce que la vigne, avec son enracinement en profondeur, va aller chercher un certain nombre de nutriments en profondeur qui vont nous amener de la verticalité dans les vins."
Production et réserves
"Il n'y a eu que deux années où j'ai vendu la totalité de la production sans faire de réserve. J'étais plutôt dans une logique de conserver grosso modo 20 % de ce que j'avais à vendre chaque année, ce qui fait qu'aujourd'hui, nous avons un stock en cuverie, et un beau stock en bouteilles. Ce qui m'a amené une certaine forme de sérénité au regard de la direction que nous avons pris en matière de viticulture. Une mauvaise récolte, avec notre organisation actuelle, c'est facile, mais deux mauvaises années qui se suivent, ça commencerait à tousser..Lorsque nous vendions du raisin à l'extérieur, cela correspondait à un hectare. Donc, cet hectare, il est maintenant pour nous. Ce qui fait que nous avons fait un tirage cette année de 63 000 cols. Par contre, l'ambition en matière de vente, c'est 45 000 bouteilles. On va donc conserver 20 000 cols. Sachant que ce que l'on met en cave, on ne le vend pas tout de suite. Il faut gérer le vieillissement de manière à toujours continuer d'augmenter le stock, car nous ne sommes toujours pas là où nous aimerions être en terme de style de vin.Pour la mise en bouteille cette année, nous avions 65 lots de vins différents, avec quatre millésimes clairement identifiés et deux types de soleras. On en a une plus jeune, et une autre plus vieille, dans les deux cépages."
Trois logiques d'expression
"Nous n'avons qu'un seul type de conduite pour la totalité du vignoble. Par contre, nous avons trois visions différentes pour le style des vins.
Il y a d'abord les vins d'auteur. Nous allons chercher à garder d'année en année la mélodie, la portée musicale du vin pour une continuité dans le style. Il n'y a pas de millésime (BSA). Ces vins d'assemblage vont être marqués par le bois de trois manières différentes : d'abord la dimension empyreumatique. Pour cela, il faut des fûts plutôt récents (mais pas neufs). La deuxième dimension sur lequel le bois va influencer, c'est le potentiel d'oxydoréduction. Nous avons un matériau qui est poreux. Il y a des échanges gazeux qui se font avec l'extérieur et l'oxygène. Comme les vins étaient en situation de réduction en cuve avec les lies, le fait de les passer sous bois va les faire flirter avec l'oxydation. Juste flirter. Pas plus.Et la raison pour laquelle vraiment on travaille avec ces 150 barriques, c'est que chacune d'elle est différentes. Si vous achetez trois guitares, trois violons chez le même luthier, encore plus si c'est la même personne qui les a fabriquées et avec le même arrivage de bois. Pour autant, les trois instruments utilisés de la même manière par le même musicien ne vibreront pas exactement de la même manière. Chaque instrument va venir nourrir, enrichir ce qu'en fait le musicien pour apporter une dimension supplémentaire. C'est ce que j'appelle la résonance. On va compléter la résonance des vins avec la résonance qu'apportent des contenants différents parce que leur dureté n'est pas la même. La relation à l'oxygène ne sera pas la même et donc l'influence sur le style musical du vin ne sera pas la même, à terme.Les vins d'auteur vont avoir une fermentation et un élevage en cuve. Et la dernière année, ils vont monter là haut et passer un an sous bois. Ceux que vous voyez ici vont y rester jusqu'en avril 2024.
Pour les barriques d'occasion, nous travaillons avec François frères. Nous achetons des fûts qui ont déjà vu deux vins en Bourgogne et ont lâché le plus gros des tanins, parce que pour le champagne, on ne veut pas que ça marque trop, avec des tanins asséchants. On ne tient pas le même raisonnement pour les coteaux champenois."
La deuxième logique, c'est le vin de terroir. Nous avons cherché à mettre notre vision du terroir d'Ambonnay. C'est toujours en monocépage – pinot noir ou chardonnay – toujours millésimé, réunissant 5-6 (voire 7) parcelles différentes. Les vins de terroir sont vinifiés et élevés exclusivement en barriques.
La troisième logique, ce sont les cuvées parcellaires. C'est une idée de Mickaël. Nous avons commencé à faire des parcellaires hors commerce à partir de 2004 et le premier parcellaire commercial en 2008 et il a eu complètement raison. À l'époque, j'avais peur qu'on annule trop les BSA, les vins d'assemblage. 2016 est le premier millésime où nous avons fait évoluer notre manière de choisir les vins. Les parcellaires d'avant 2016 étaient mis en bouteille six mois après la récolte, avec fermentation sous bois et un petit élevage sous bois. Et à partir de la vendange 2016 nous avons pris le parti de vraiment finaliser le choix du parcellaire à l'assemblage de l'année suivante. Donc maintenant, nous démarrons par une fermentation en cuve suivi d'un élevage de plus six mois – toujours en cuve – puis les vins sont élevés un an sous bois.
L'art du dosage
"Pour le dosage, nous n'utilisons plus la liqueur d'expédition traditionnelle. Cela consiste à faire fondre du sucre dans un vin. Selon le vin de base choisi, vous allez complètement changer le champagne dans lequel vous allez mettre cette liqueur. Or, aujourd'hui, une fois que les vins sont en bouteille, nous ne voulons plus y toucher. Nous souhaitons les laisser tels qu'ils sont. On va donc utiliser des MCR (Moûts Concentrés Rectifiés) qui ne toucheront plus à la musique du vin. Nous venons de changer de ligne de dégorgement qui va être plus précise, parce qu'avec la précédente, il fallait diluer un peu les MCR. Pour cela, il fallait réouvrir des bouteilles ou mettre de l'eau. Avec la nouvelle ligne, nous allons doser avec une seringue qui va pousser mécaniquement les MCR dans la bouteille. On va donc avoir une meilleure régularité et surtout, on peut faire des tout petits dosages. Avant, il fallait qu'on dose à 0,8 - 0,9. En dessous,nous n'avions pas une bonne régularité. Maintenant, on est très bien. Je parle en centilitres, alors que là, on peut très mal décider que de mettre par exemple un millilitre dans la bouteille. Et les vins sans dosage ? Cela dépend du contexte gastronomique Si on consomme ce vin à table avec une graisse animale cuite, comme une pièce de bœuf, s'il n'y a pas un tout petit peu de sucre dans le vin effervescent, ca va faire ressortir l'acidité et l'amertume du vin. 1,5, voire 1 g et ça suffit pour avoir un équilibre en bouche."
"Il y a 20 ans, il m'a paru intéressant d'aller vers le développement de notre bouteille. Mais c'est une bouteille lourde, donc en quantité de verre. Par contre, nous avions beaucoup de coiffes différentes. Nous ne soucions pas du tout des conditions de fabrication des matériaux, des peintures, etc dans les différents aspects de l'habillage. Et donc, aujourd'hui, nous rationalisons les choses et remettons à plat le côté visuel. Nous allons avoir une coiffe avec une teinte pour les vins d'assemblage, une autre teinte pour les vins de parcelles. Et puis une troisième pour les vins terroirs. Cela ne fait plus que trois coiffes. L'amalgame choisi, les teintes choisies, permettent d'être facilement recyclables et d'être moins le moins impactante pour la planète.Et puis les étiquettes de la gamme auteur ont changé. Elles avaient toutes un fond de couleur, pas forcément indispensable. Nous avons fait un gros travail également sur le marquage. Nous avons poussé l'imprimeur dans ses retranchements pour que ce ne soit pas du film – parce que les films ont une empreinte beaucoup plus forte que les encres métalliques. Nous l'avons poussé à utiliser du vernis braille avoir quelque chose qui ressemble à de la dorure à chaud, mais moins impactant que celle-ci. Et puis, le dernier travail sur lequel on finalise, c'est le coffret en carton. Aujourd'hui, tous les marchés ne sont pas mûrs pour qu'on abandonne complètement le packaging. Donc, vis à vis de certains, on a fait un pochon en tissu qui est réutilisable, recyclable. Et ça, par exemple, va devenir ça. Que du papier recyclé pour avoir quelque chose qui aitt un peu de gueule, une originalité mais qui marque moins la planète. Aujourd'hui, il faut absolument, absolument. Alors on se pose des questions aussi sur les coiffes en papier, comme celle-ci.
Traditionnellement en Champagne, un BSA, c'est 70 % de vin de la dernière vendange et 30 % de de vins de réserve. Au domaine, c'est l'inverse : seulement 20 ou 30 % de la dernière vendange et 70- 80 % de la réserve.
"Nous allons démarrer par une cuvée qui s'appelle la cuvée des Crayères. Ce n'est pas un lieu-dit, mais c'est la bouteille au domaine qui est pratiquement la plus difficile à faire, puisque c'est l'entrée dans notre univers. C'est facile de sortir un beau lot de raisins ou de vin. Mais cela ne doit pas se faire au dépens du reste de la gamme qui doit avoir un beau profil sensoriel. Là, nous sommes sur une mise en bouteille 2020 et c'est les vendanges 2019, 2018, 2017, 2016, et des vins de réserve en solera.La gamme des vins d'auteur, ce sont tous des BSA. Mais où nous ne sommes pas dans le profil normal, c'est que pour beaucoup de producteurs, le BSA, la bouteille de base du domaine c'est très souvent 80-85 % du volume de production du domaine. Aujourd'hui, la cuvée des Crayères, c'est 8-9000 cols sur 60.000 cols. Ce fut longtemps dans notre best-seller, car une personne qui a l'habitude de boire du Carte jaune de chez Cliquot trouvera le Blanc de noirs un peu trop expressif. La cuvée des Crayères est plus sage de ce point de vue là."[justify]
Champagne Cuvée des Crayères : la robe est jaune paille. Le nez est discret, finement beurré, et sur les fruits blancs mûrs. La bouche est vive, à la fraîcheur cristalline, avec des bulles délicates, sur une aromatique de fruits blancs mûrs et de fine oxydation. La finale est tendue, subtilement crayeuse, sur la pomme chaude et les fruits secs. [/justify]
"Voici un Blanc de Blancs d'Ambonnay, avec également un tirage de 2020. Nous avons des Blancs de Blancs qui sont marqués par le terroir. D'aucuns pourraient dire que c'est un blanc de blancs qui pinote. Alors il ne pinote pa,s puisque ce n'est pas du pinot, mais quelque part, il n'a rien à voir avec les vins de la côte des Blancs. Nous avons deux dimensions fondamentalement différentes. L'exposition majoritaire à la côte des Blancs nord-ouest /sud-est. Et puis nous avons en gros quinze centimètres de sol de plus que dans la côte des Blancs – 60 cm vs 45-50 cm. Le sol, nous, c'est plutôt 60 centimètres de sol. . Le cumul de ces deux paramètres fait qu'il y a davantage de tension dans les vins de la côte des Blancs, et davantage de corps et de cœur dans les vins de ce secteur."
Champagne Blanc de Blancs : la robe est or claire, brillante. Le nez est finement noiseté, avec du beurre frais et une pointe d'agrume. La bouche est pure, ciselée, dotée d'une grande tension, avec des bulles très fines. La finale est mâchue, avec de beaux amers citronnées et une touche crayeuse et épicée.
"Pour le Blanc de noirs, nous sommes encore commercialement sur la mise en bouteille de 2017. Il y a donc le double de vieillissement pat rapport aux deux vins précédents. C'est notre plus gros volume de production, car l'immense majorité des marchés demande plutôt des pinots noirs que du chardonnay ou des vins d'assemblage. Nous avons donc une demande très très forte. Pour les dosages, il y a petites différences selon les cuvées. Il se trouve que sur ces trois bouteilles là, nous sommes au même niveau de dosage : 2 g/l en tenant compte du résiduel. Sachant que la limite à ce que je vous dis là, c'est qu'en général jusqu'à un gramme, ce n'est pas considéré comme du sucre résiduel."
Champagne Blanc de noirs : la robe est dorée. Le nez est expressif, sur les fruits secs, le mousseron, la pomme chaude et une pointe de fruits rouges. La bouche est plus ample, avec un toucher moelleux, de la vinosité et des bulles fines délicatement crémeuses. La finale est fraîche, tonique, sur le pomelo et de fines notes oxydatives.
"Je vais vous servir un premier parcellaire pour en faire quatre parcellaires différentes. Le premier vin que vous avez goûté en cuverie tout à l'heure, c'est la vendange 2022 d'un lieu dit Les Genettes. Et donc là, on va goûter les Genettes. Mais dans le millésime qu'on affiche aujourd'hui, on prend le parcellaire qui est le millésime 2016. Là, le dosage a baissé un peu puisqu'on est un 1,5 g/l. 2 g/l, c'était trop. "
Les genettes 2016 : la robe est or clair. Le nez est très frais, sur la noisette et le mousseron. La bouche est superbe, d'une fraîcheur intense, alliant vinosité et grande tension. La finale réussit à être stricte et baroque. Un grand vin réussissant à réconcilier l'inconciliable.
Je vais mettre deux verres pour déguster côte à côte les deux parcellaires du pinot noir. Je vous sers à gauche Les Beurys 2016 en blanc de noir et le verre de droite. on va mettre la Grande ruelle Pinot noir 2016.
Ils sont situés aux deux limites d'Ambonnay : Bouzy au sud-ouest, Trépail au nord-est. Beurys est tout proche de la fin du terroir d'Ambonnay, du côté de Trépail. La côte tourne et on n'est plus exposé sud-sud-est comme l'orientation majoritaire du village, mais exposé est. Grande ruelle, c'est l'inverse, c'est la fin du terroir d'Ambonnay, juste avant le terroir de Bouzy. Il y a un sol plus profond en Grande ruelle qu'en Beurys. Donc vous allez voir l'influence de l'exposition et de l'épaisseur du sol sur deux vinifications absolument identiques. Les deux en 2016.
Champagne Grand Cru Beurys 2016 : la robe est dorée. Le nez est très fin, profond, sur les fruits secs et le sous-bois automnal. La bouche est pure, très fraîche, dotée d'une matière concentrée, vineuse, tonifée "et tendue par une acidité traçante. La finale est franche, très crayeuse, avec de superbes amers.
Champagne Grand Cru La grande ruelle 2016 : la robe est or rose. Le nez est plus frais et plus mûr (encore un paradoxe rodézien). La bouche est plus abrupte, presque sauvage, d'une grande ampleur, à la matière dense et imposante, et aux bulles élégantes, discrètes. La finale est hyper-crayeuse sur la pulpe de citron.
Je vais vous servir du Beurys en macération. Je joue la transparence avec vous : c'est le même lieu-dit, mais ce n'est pas la même parcelle. Sur Beurys, nous avons quatre parcelles de vigne, ce qui nous permet plus facilement et quasiment tous les ans de sélectionner un vin de ce lieu-dit. C'est souvent la même parcelle que l'on retrouve dans notre sélection de parcellaires, mais je ne l'indique pas. C'est assez compliqué comme ça. Donc c'est une macération de trois jours mais pas trois jours pleins : quand on vendange, en fin de journée, la vendange est encuvée, va y passer la nuit, la journée suivante, puis une nouvelle nuit. Et on va décuver la journée suivante au moment qui me paraît opportun.
Champagne Grand Cru Beurys Macération 2016 : la robe évoque le pétale de rose. Le nez est corsé, vineux et épicé. La bouche est très ample, enveloppante, avec une tension et une fraîcheur impressionnantes, tempérées par des bulles très délicates. La finale est intense, épicée, sur les fruits secs et le mousseron.
"La troisième gamme de vins, Les vins de terroir, on les appelle Empreintes. Il y a Empreinte blanche pour le chardonnay, mais je vous sers Empreinte noire 2011, 100 % pinot noir.Notre empreinte, c'est un assemblage de cinq ou six, parfois 7 parcelles. On fait un assemblage qui exprime notre vision d'Ambonnay sur un millésime donné. C'est ce qui nous séduit bien sur cette année là dans ce millésime, et ce ne sont pas les mêmes parcelles selon les années."
Champagne Grand Cru Empreinte noire 2011 : la robe est dorée, intense. Le nez est puissant, sur la brioche toastée et les fruits secs. La bouche est toute aussi puissante, d'une rare intensité aromatique, d'une extrême vinosité, tout en offrant des bulles délicates magnifiquement crépitantes qui allègent l'ensemble. La finale est trèèès intense, mais paradoxalement aérienne et classieuse.
Magnifique champagne !
Pour le coteaux champenois, c'est un lieu-dit qui s'appelle Les Bouités sur le millésime 2018. Nous sommes sur une maturité plus adaptée de vin tranquille, en l'occurrence de vin rouge. Il y a souvent un décalage d'une dizaine de jours. Je n'aime pas trop les Coteaux champenois rouges qui manquent cruellement de présence dans le verre. Je cherche plus de personnalité, tout en restant dans l'esprit champenois, à savoir un minimum de tension. Il faut trouver la juste balance entre les deux. Si nous nous interdisons l'utilisation du bois neuf pour le champagne, sur les cinq pièces qui ont été faites de cette cuvée, il y en a une de neuve.
En Coteaux champenois, nous sommes partis dans une autre direction. Ce sera également le cas pour les coteaux blancs sur lesquels nous travaillons actuellement. Pour l'instant, c'est uniquement expérimentalJ'ai une expérience qui m'aide, et que j'apporte donc à Mickaël. Au début de ma carrière, j'ai passé trois ans en Bourgogne. Cette région m'a profondément marqué, parce que je suis parti en fils de viticulteurs : à savoir très orienté raisin, mais pas assez vin. De ces trois années en Bourgogne, je suis revenu en voulant devenir vigneron et j'ai pris conscience du lien qu'il y avait entre le vin que l'on produisait par rapport à ce qu'on avait pu faire à la parcelle. Il y a autre chose qui m'a marqué profondément en Bourgogne, c'est la vinification sous bois. Quand je suis revenu en 1974, il n'y avait plus du tout de fûts à la maison. J'ai voulu absolument avoir une expérience de vinification en champagne sous bois. J'ai donc travaillé dans le négoce pour apprendre plus sur cette dimension là. Je me suis aussi lancé dans la production de vins rouges. J'en ai fait pendant une douzaine d'années. Et puis, à un moment donné, j'ai complètement arrêté, parce que j'avais bien du mal à les vendre : à l'époque, les rouges champenois étaient considérés par la plupart des gens comme des vins ennuyeux. Notre premier rouge commercialisé était le 2017. Là, nous sommes en fin de commercialisation du 2018. Il passe deux ans sous bois avant d'être embouteillé. Mais ce que nous voulons avec ce Bouités rouges, c'est nous préparer une porte de sortie pour l'avenir. Si le réchauffement climatique va plus loin, que faisons-nous ? Du moins que faisons-nous des raisins destinés jusque là aux champagnes ?
Coteaux champenois Les Bouités 2018 : la robe est grenat sombre. Le nez est mûr, sur les fruits rouges confits et des notes boisées. La bouche est veloutée, charneu, avec des tanins présents mais bien fondus. La finale présente une mâche crayeuse sur la cerise confite, le noyau et les épices.
"Je vous sers pour finir un Ratafia élevé en solera. C'est du jus de raisin mûté à l'alcool. Beaucoup de ratafias sont dans le style pineau des Charentes, quelque chose toute en légèreté, commercialisé assez rapidement après la réalisation. Là, nous avons pris le parti au contraire de l'hyper oxydatif qui pourra trouver sa place avec du fromage, avec du chocolat, et pour le coup très loin de l'univers du champagne. Comme nous produisons des vins à forte signature, nous voulions avoir un ratafia rouge qui ait aussi une vraie identité.Le moût est muté à la vendange avec de l'alcool 94-96 % pour le diluer le moins possible. Puis il est entonné sous bois. Il y a environ 1/6 d'alcool pour 5/6 de moût."
Ratafia : la robe est ambrée. Le nez est riche, complexe, sur les fruits confits, les fruits secs et les épices douces. La bouche est ronde, ample, moelleuse, d'une étonnante digestibilité. La finale est intense, sur les notes oxydatives et les épices.
Merci à Eric Rodez pour son superbe accueil !