Certains vins ont des arômes de madeleine.

Les Grottes meulières d’Amarens et Bégoutte appartiennent à mon enfance comme des terrains d’aventure. Elles étaient le but du tour en moto derrière mon cousin que je lui quémandais jusqu'à ce qu'il cède, je n’en menais pas large dans les virages, mais j’aimais braver mes peurs d’autant que le but de ce si long voyage de 5 kilomètres était ces grottes meulières de Bégoutte ou d’Amarrens dans lesquelles nous aimions nous perdre, éprouvant brutalement la fraîcheur et presque le froid par ces jours d’été caniculaires.

C’était les vacances et nous venions de loin. En ces mois d’août, ces grottes étaient aussi le théâtre de fêtes du vin à Souel et j’y accompagnais mes parents qui dansaient paso doble et tango me laissant le loisir d’observer ces touristes qui s’abreuvaient copieusement et gratuitement aux fontaines à vin disposées là pour l’occasion, à tel point que bien souvent ils ne repartaient pas tout à fait dans le même état qu’à leur arrivée.

Un peu plus tard, comme je m’y promenais sans doute à a recherche de ce temps perdu, j’y ai trouvé cette pierre de silex qu’on aurait dit taillée, (l’était-elle vraiment ?) et qui pouvait tout à fait passer pour un couteau néandertalien ( à bord abattu pour les spécialistes).

Tout est là en place, dans un coin de ma mémoire, inaltérable et ces mots, Amarens, Bégoutte, Souel, déclenchent immanquablement l’évocation de ces souvenirs d’enfance. Y sont associés beaucoup d’autres qui arrivent en cascade : la terre rouge des Igues, l’odeur de blettes dans l’arrière cuisine de ma grand-mère, la croûte du pain si épaisse que je n’arrivais pas à le couper seul, les bouteilles de limonades que je sirotais en cachette, la Marie qui était un peu notre sorcière du village, les disques des Rolling Stones dans la chambre de mon cousin, le vieux tourne-disques, les clopes que je lui chipais et la piscine municipale de Cahuzac sur Vère où je retrouvais Isabelle …

Une visite chez Bruno Montels à Souel a été l’occasion de découvrir une nouvelle de ses cuvées : un blanc qui porte le nom de « Les Pezots ». Quand je lui ai demandé si cela était le nom d’une parcelle particulière, il m’a lancé : « oui, un terroir un peu particulier avec des silex, du côté de Bégoutte » ; Le commutateur qui ouvre les vannes de ce flot de souvenirs était actionné …

Comment, dès lors, goûter ce vin sans y trouver des arômes de madeleine ?

pour accompagner ce joli récit on hésite entre la madeleine de Commercy et la madeleine de Liverdun...

... ou celle de Proust

Je suis aussi fasciné par le fait qu'un détail, absolument inattendu, réveille des souvenirs du temps jadis, avec une force extrême.

Joli texte aux arômes doux-amers de la nostalgie! Cheers!!

Merci.
Le but était aussi de permettre à chacun de relater ses expériences proches .

Tu as mis la barre tellement haut avec ton joli texte Jérome qu'on ose pas se lancer.

Mon père était médecin militaire. Un de ses camarades de promotion s'était installé à Banyuls dels Aspres. J'avais huit ans quand j'y suis allé pour la première fois et la fille de l'ami de mon père était bien jolie.
Elle m'a appris à gauler les figues, ce qui me fascinait, car quand on est petit les fruits les plus beaux sont toujours inaccessibles.
Nous avons rayonné dans cette région si belle où les vignes semblent tomber dans la mer.
J'ai visité un site assez étrange : l'Ermitage Notre Dame de Consolation.
Mon père a rapporté quelques Banyuls à la maison et il est très probable que j'ai dû une fois ou deux y tremper mes lèvres lorsque j'avais de dix à quinze ans.
Plus tard, quand j'ai commencé à boire du vin, le Banyuls est naturellement apparu comme un vin indispensable.
Et quand, par hasard, j'ai trouvé des Banyuls Ermitage de Consolation, je les ai tous achetés.
Et quand j'en bois, je revois la jolie petite fille brune qui m'a appris à cueillir les figues.
Le Banyuls aura toujours pour moi l'accent chantant de périodes joyeuses.

whogshrog43 écrivait:

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> Tu as mis la barre tellement haut avec ton joli
> texte Jérome qu'on ose pas se lancer.

Quel beau texte, bravo !

Joli Francois !

Apparemment Il n'y a pas que les figues qui étaient bien gaulées

Mon enfance a été la plus heureuse qui soit pour un enfant. Un départ le lendemain des vacances scolaires pour la côte Atlantique, assis avec ma sœur à l’arrière de la R18 de la grand-mère, pour deux mois de baignades, de jeux dans le bac à sable, d’abricots mûrs mangés sur le marché, de bonbons offerts secrètement par mamie : « vous ne direz rien à votre mère ? »

Et puis arrivent les parents au milieu de ces vacances, maman pour 15 jours, mon papa une semaine seulement. En bon artisan, il partait tôt le matin, rentrait tard le soir, à tel point que nous ne le croisions que le week-end. Alors les vacances, je le collais comme une mouche, pas assez avec le recul …

Le marché, ces moments où votre mère fait la queue chez le poissonnier et votre papa file chez le caviste négociant pour acheter un cubi de 10L de gros plant nantais.
Il n’était pas amateur de bons vins, qu’importe ! Ce vin accompagnait chaque repas, plateaux de fruits de mers, poissons pêchés en haute mer dans son petit hors-bord, sa distraction de l’été.
Il rapportait de cette semaine de vacances, un cubi complet de 10L de ce gros plant nantais immonde.
Et puis, avec un savoir-faire qui m’impressionnait, il mettait en bouteille ce vin pour prolonger l’été le reste de l’année. A chaque bouteille, ce petit sourire en coin …

Il est mort brutalement lorsque j’avais 12 ans, en rangeant plus tard la cave de mes parents, j’ai jeté l’embouteilleuse et les restes de bouteilles poussiéreuses de ce gros plant nantais. Je le regrette encore …

Aujourd’hui, je pense à aller passer mes vacances sur les lieux de mon enfance, acheter une embouteilleuse et mettre en bouteille ce gros plant nantais.

Il ne sera pas bu mais ce n’est pas le but.

FA: quand on est petit les fruits les plus beaux sont toujours inaccessibles

Voire défendus...

jlj

Joli récit Guillaume ! C'est le sourire dans le coin qui compte le plus...

Très jolis textes, Jérôme et François.

J'imagine que beaucoup d'entre nous ont fait l'expérience de la madeleine.
Il y a quelques années, - époque où je m'intéressais moins au vin qu'aujourd'hui - , mes beaux-parents ont ouvert une bouteille de chablis en provenance de La Chablisienne, où un parent travaillait comme oenologue.

Le chablis, pour moi, c'était Guy Roux... Je plonge le nez dans le verre, de façon assez "innocente", sans attente particulière, et là je retrouve l'odeur des tomates que cultivaient mon grand-père dans son potager. Il était grand son potager, et avec les légumes qui y poussaient, mon grand-père préparait dans son atelier, - où il avait installé une gazinière - des soupes uniques en leur genre. Je trouvais ça incroyable qu'entre les étaux, malles, et outils divers il réussisse à concocter un breuvage aussi savoureux, que je n'appréciais que chez lui.
Je me rappelle aussi que, tout gosse, j'aidais mon grand-père - qui boîtait légèrement - à arroser ses plantes en allant chercher de l'eau au robinet au fond du jardin. Ces images et ces souvenirs ont réaffleuré d'un coup, sans prévenir, brutalement; j'ai été très ému de boire ce vin.
Aujourd'hui, je vais chercher de l'eau au bout de ma rue pour abreuver mon potager, et je retrouve le temps d'un instant des souvenirs, des habitudes, et aussi une simplicité enfantine.

J'ai éprouvé lors de ce déjeuner une vive émotion en buvant ce chablis, et ai perçu une facette du vin que je ne n'avais pas saisi alors.

Bien raconté Rabo!

Il y a effectivement des histoires comme ça d’odeurs qui nous ramènent à notre enfance.

[size=small]Ca n'a rien à voir avec le sujet mais il y a quelques temps, mes enfants ont eu une espèce de pâte pour fabriquer des ballons au bout d’une paille. Je ne me souvenais absolument pas d’avoir fait ça moi-même petit mais une fois l’odeur à mes narines, ça m’a paru une évidence ![/size]

Il y a quelques années, j’ai plongé mon nez dans un verre de blanc liquoreux, je cois que c’était un vin de paille. J’ai été comme aspiré, transporté dans la maison de ma grand-mère mais sans retrouver tout de suite pourquoi. Je connaissais, cette odeur, j’en étais certain mais impossible dans un premier temps de mettre des mots dessus, une vraie frustation. Au bout de longues minutes j’ai revu la pièce ou elle conservait ses pommes tout l'hiver. Il y flottait une odeur de pomme blette, sèche, concentrée, mélangée à des senteurs de bois (c’était une pièce entièrement couverte de lambris du sol au plafond), de poussière et sans doute de sueur un peu aussi car on y dormait régulièrement. Une odeur très persistante car elle était encore là en plein été !

Dans ma tête ça ressemblait à ça...
lieu-roussel.pagespr... ...mais j’imagine qu’il s’agit d’un problème d’échelle dû à ma taille d’alors !

Des accents de cidre que je retrouve curieusement plus régulièrement ces temps-ci (merci Matthieu pour tes vins natures) mais en un peu moins précis, en un peu mois proche.

lbb.contact écrivait:

---

> Il y a effectivement des histoires comme ça
> d’odeurs qui nous ramènent à notre enfance.
>
> [size=small]Ca n'a rien à voir avec le sujet mais
> il y a quelques temps, mes enfants ont eu une
> espèce de pâte pour fabriquer des ballons au bout
> d’une paille. Je ne me souvenais absolument pas
> d’avoir fait ça moi-même petit mais une fois
> l’odeur à mes narines, ça m’a paru une évidence
> ![/size]
>
> Il y a quelques années, j’ai plongé mon nez dans
> un verre de blanc liquoreux, je cois que c’était
> un vin de paille. J’ai été comme aspiré,
> transporté dans la maison de ma grand-mère mais
> sans retrouver tout de suite pourquoi. Je
> connaissais, cette odeur, j’en étais certain mais
> impossible dans un premier temps de mettre des
> mots dessus, une vraie frustation. Au bout de
> longues minutes j’ai revu la pièce ou elle
> conservait ses pommes tout l'hiver. Il y flottait
> une odeur de pomme blette, sèche, concentrée,
> mélangée à des senteurs de bois (c’était une pièce
> entièrement couverte de lambris du sol au
> plafond), de poussière et sans doute de sueur un
> peu aussi car on y dormait régulièrement. Une
> odeur très persistante car elle était encore là en
> plein été !
>
> Dans ma tête ça ressemblait à ça...
> lieu-roussel.pagespr...
> /p1030267.jpg ...mais j’imagine qu’il s’agit d’un
> problème d’échelle dû à ma taille d’alors !
>
> Des accents de cidre que je retrouve curieusement
> plus régulièrement ces temps-ci (merci Matthieu
> pour tes vins natures) mais en un peu moins
> précis, en un peu mois proche.

j'ai reconnu aussi cette odeur sur un vin de paille, elle m'a rappelé le garage de mon amis d'enfance ou ces parents entreposaient les dizaines de cagettes de pommes.
C'etait un flash instantané, comme la marestel qui m'a renvoyé au noël ou la peau de clémentine était posé sur chauffage pour parfumer la piece.