Etude rétrospective, monocentrique, des défauts organoleptiques rencontrés lors des dégustations des groupes LPV sur l’année civile 2017.
Introduction
La dégustation est un art difficile par bien des points, en particulier lorsque l’on souhaite évaluer objectivement les qualités intrinsèques d’un vin, puisque cela fait appel en partie à des sensations, émotions, affects culturels volontiers acquis, et donc soumis à de la subjectivité. Il n’en reste pas moins que le premier critère d’évaluation, est de valider sa buvabilité ou non, autrement dit, de voir, sentir, goûter et de conclure à la présence ou non d’un ou plusieurs défauts. Or, il est beaucoup plus aisé et glorifiant de publier des résultats positifs, de vanter des qualités ou de dresser des louanges à un vin et/ou un producteur, que de parler des défauts organoleptiques potentiellement rencontrés à la dégustation. La littérature est d’ailleurs relativement pauvre à ce sujet, ne le traitant que de façon très partielle, et généralement sous forme de catalogue en essayant de distinguer les différents types de défauts pouvant être présents
[1][2][3]. Très schématiquement, on retiendra que les défauts peuvent toucher le contenant (bouteille) et par extension, surtout son système d’occlusivité (bouchon) et le contenu, autrement dit, le vin en lui-même. Or, il est relativement facile de mesurer le taux de bouteilles impactées par le goût de bouchon, conséquence d’une contamination par le TCA
[4] (trichloroanisol), qui est mesurable en laboratoire, et dont la sensibilité est détectée dans 95% par des amateurs
[5], pour des seuils extrêmement bas, y compris dans une fourchette de 1,5 à 5ng/L. Par ailleurs, d’autres molécules peuvent être responsables de ce goût de bouchon, comme le TeCA (tétrachloroanisole) ou le TBA
[6] (Tribomoanisole). On remarquera que le taux de bouteilles impactées varie de 1,5 à 3-4% des bouteilles, mais avec une tendance à la diminution
[5] et corrélée à la diminution des concentrations de TCA rencontrées et ce, pour plusieurs raisons : traitements anti-TCA, lièges de meilleur qualité, augmentation des bouchages synthétiques ou par vis.
Pour ce qui est des bouteilles déviantes, hors cause de contamination du bouchon, la problématique est un peu plus complexe, puisqu’elle fait entrer en ligne de compte différentes concentrations de gaz (O2, CO2, SO2…sous forme libre et dissoute) mais également des levures (brettanomyces
[4][6] par exemple) ou d’autres causes telles que des problèmes de (sous) maturité du raisin à la vigne. En effet, ceci dépend de la sensibilité du dégustateur et dépendra également de critères d’appréciation (ou de dépréciation) de phénomènes d’oxydation ou de réduction
[7][8], propre à chacun. On entre pleinement dans la subjectivité et la question de la limite entre complexité liée à l’évolution d’un vin et déviance est posée en filigrane. Ces échantillons défectueux peuvent avoir une répercussion sur la robe du vin, en particulier en augmentant sa turbidité, mais surtout sur le nez et la bouche. Ces défauts peuvent prendre des caractéristiques très variées
[1], dont voici pêle-mêle quelques exemples, sans ordre de fréquence : de la trop forte réduction, en passant par des odeurs d’écuries, d’excréments, d’excès de soufre, d’oxydation prononcée, de putréfaction, de vinaigre, d’acidité (en particulier volatile) inadaptée, de moisi, de carton mouillé, de vernis ou de madère
[3]…Ces caractéristiques ont des origines multiples : altération ou contamination bactérienne, hygiène du chai insuffisante, ou encore des problèmes sanitaires dès la vigne ou la vendange
[7]. Cependant, les seuils de spécificité et de sensibilité sont bien moins identifiés que pour le TCA, et leur interprétation est parfois délicate, et en tout cas, est en partie dépendante de la sensibilité du dégustateur. Au total, les estimations porteraient à croire que le panel de vins défectueux serait de 6 à 7%, dont 1/3 de vins bouchonnés
[8].
Ceci rend par conséquent l’exploitation, l’interprétation et l’analyse de ces données éminemment complexe. Ainsi, certains en viennent même légitimement à se poser la question du bien fondé de commenter des vins à défauts
[9][10] alors que l’essence même d’un critique est de …critiquer, dans tous les sens du terme, fusse t’elle négative, car
« la déception fait partie [du] métier »[9]. On en vient donc à en arriver à système ou les critiques et évaluations sont très majoritairement positives, se ressemblant de plus en plus, et finissent par occulter les déceptions. Ceci est quelque part compréhensible, car il est plus facile et moins dérangeant de se remémorer des bons souvenirs que des moments difficiles, pénibles ou douloureux
[10]. Néanmoins, fonctionner ainsi est dommageable car on prive le consommateur d’une information, désagréable certes, mais qui peut avoir son importance, dans un désir d’achat par exemple, et qui peut potentiellement l’induire en erreur. Par ailleurs, un autre inconvénient de masquer des défauts est de retarder l’apparition de cette information et, par conséquent, induire un délai de latence plus long dans l’optique d’éventuelles corrections que le vigneron pourrait initier, ce qui, in fine, va à l’encontre, ou tout du moins, est un frein à la démarche qualité. En outre, masquer un problème n’a jamais permis la résolution de celui-ci. C’est ainsi que, par exemple, il apparut que les vins du Château Ducru Beaucaillou (2ème Grand Cru Classé du Médoc, à Saint julien) étaient marqués par une grande irrégularité et par des défauts nets (moisi, carton humide, goût de bouchon…), à la fin des années 1980, ce cas étant néanmoins loin d’être isolé. Après de multiples recherches et analyses, il s’agissait en fait d’une contamination de la charpente du chai du domaine, et le problème rentra dans l’ordre dès la création et la mise en service d’un nouveau chai, exempt de polluant chimique sur les boiseries
[11][12] quelques années plus tard. Ainsi, on se rend bien compte que les vins défectueux ont existé, et existent encore probablement, encore faut-il les signaler.
Par conséquent, il parait intéressant de poser quelques bases en faisant un état des lieux des potentiels échantillons défectueux que l’on pourrait croiser en dégustation, d’en déterminer leur incidence et d’essayer de mettre en lumière certains facteurs de risques. L’objectif principal était donc de mesurer l’importance des bouteilles potentiellement défectueuses. Les objectifs secondaires étaient de voir quels types de défauts se rencontraient (« ED » et/où bouchon), et si le type et/ou la région de production pouvaient avoir un impact sur ces défauts.
Matériel et méthode
L’objet de ce travail n’est pas tant de référencer quelles sont les caractéristiques de défauts rencontrés, ni quels domaines sont les plus impactés, que de rendre compte d’une situation à un instant T des vins déviants dans une cohorte suffisamment conséquente de vins dégustés et analysés par des dégustateurs un minimum aguerris à cet exercice. L’idée était donc de regarder à postériori ce que des dégustateurs avaient bu, puis ensuite de mesurer l’impact des bouteilles défectueuses, qu’elles le soient à cause du bouchon, ou d’autres diverses déviances, que nous nommerons alors « ED ».
La Population cible
Pour effectuer ce travail, nous avons choisi de nous intéresser aux dégustations publiées sur le forum La Passion du Vin (LPV). Nous l’avons vu précédemment, il n’est pas forcément chose aisée de publier des notes de dégustations sur des vins défectueux ou bouchonnés. Par conséquent, nous nous serons intéressés à l’ensemble des dégustations publiées dans le fil
« Dégustations éclectiques » regroupant au moins 3 dégustateurs inscrits sur LPV (qu’ils aient tous publiés un compte-rendu ou non), ainsi qu’à l’ensemble des dégustations revendiquées par les différents groupes LPV inscrits et regroupées dans le fil
« Cercles Régionaux LPV ». L’intégralité de ces dégustations s’est déroulée durant l’année civile 2017. En effet, au cours de ces dégustations, les bouteilles déviantes sont en général inscrites, et permettent ainsi de pouvoir les prendre en compte, notamment d’un point de vue statistique.
Ont été exclues les dégustations non revendiquées par les groupes LPV ainsi que les dégustations n’ayant pas permis d’identifier clairement au moins 3 membres du forum.
Le choix de sélectionner les dégustations revendiquées sur LPV et/ou d’avoir au moins 3 dégustateurs inscrits permet de penser que la sensibilité aux défauts d’un vin est satisfaisante, et suffisante pour leur identification.
Nous avons, au total, un panel de 170 dégustations retenues, au cours desquelles auront été commenté 1980 bouteilles (moy : 11,6 ± 10), par 96 dégustateurs différents (moy : 2,2 ± 6).
Les vins
Tous les types de vins ont été concernés lors de cette étude rétrospective, avec une large majorité de vins tranquilles, sans sucres résiduels (81,7%, n=1618). Les effervescents et les vins à sucres résiduels (respectivement 9,2% ; n=183 et 9,1% ; n=179) complètent la répartition
(Figure 1a). Par ailleurs, les vins français représentent 90,8% (n=1798) des vins présents dans cette étude.
Il n’y a pas eu de distinction retenue concernant les durées d’ouverture, les températures de services ou les types de verres rencontrés.
Les vins ont été stratifiés par type, par région, et par grande sous-région pour la Bourgogne ainsi que les Vallées de la Loire et du Rhône, qui sont les trois plus importantes régions pourvoyeuses d’échantillons. Le groupe « Divers » comporte essentiellement des cidres de Normandie, et des vins du Poitou.
Les vins, de façon générale et largement majoritaire, ont été goûté à l’aveugle.
Les défauts ont été répartis en 2 groupes. L’un concerne les vins contaminés par le TCA et présentant une atteinte identifiable au nez et/ou en bouche, caractérisé par les marqueurs propres à cette pollution (odeur liégeuse, goût de bouchon, autres caractéristiques spécifiques). L’autre groupe est plus polymorphe, et représente l’ensemble des autres vins déviants, quelle que soit l’origine et dont les caractéristiques sont très variables, mais clairement identifiés comme défectueux par les dégustateurs, et appelé « ED ».
Les statistiques
Nous aurons été amenés à mesurer différents éléments au cours de ce travail (moyennes, médianes, répartitions en pourcentages…).
Les comparaisons intergroupes, pour les variables qualitatives, auront bénéficié de tests statistiques de type Khi-2, effectués après vérification de la normalité des lois au moyen de la loi normale centrée réduite. Les variables quantitatives ont été explorées par le test du T de Student. Le seuil de significativité a été fixé à 5% (
p value ≤ 0.05).
Les intervalles de confiance à 95% (IC95%) des Odds Ratio (OR) ont été bornés par la méthode de Miettinen. Mathématiquement toujours un peu inférieur, on admettra cependant dans ce travail que le risque relatif est supposé égal à l’Odds Ratio.
Les biais
Plusieurs biais peuvent apparaître sur ce travail, et sont de plusieurs ordres. Le premier est que les résultats retenus sont d’ordre déclaratif, par l’intermédiaire des comptes rendus publiés sur le forum LPV. Aucune analyse des vins en laboratoire n’a été effectuée. Nous sommes donc dépendants de la sensibilité parfois différente d’un dégustateur à l’autre.
Un second point est que nous n’avons trouvé aucune trace des différents types de bouchage rencontrés. Ils n’étaient pas identifiés lors des commentaires de dégustation, ce qui est un facteur clairement limitant quant à la responsabilité du liège sur l’incidence des vins bouchonnés.
Par ailleurs, les phénomènes d’oxydation, réduction ou de pollution par des levures n’ont pu être stratifiés et classés indépendamment les uns des autres. Ceci est lié à la méthodologie rétrospective de ce travail, et à l’insuffisance de données exploitables dans les comptes rendus. Par conséquent, l’ensemble des défauts, hors bouchon, sont classés dans un seul et unique groupe (« ED »), ce qui nous empêchera d’en faire une analyse segmentaire poussée.
Enfin, nous admettrons que tous les types de vins ont été servis et dégustés dans des conditions adéquates (température, aération, ordre de service, verrerie…), sans parasitage olfactif en particulier (parfum, cuisine…), permettant une juste appréciation sensorielle des éventuels défauts pouvant potentiellement apparaître.
Résultats
La cohorte de vins étudiés comprend 1980 flacons testés, avec une nette dominance des vins rouges (46,9% du panel étudié, n=928). Les vins blancs secs représentent un tiers de la cohorte (34% ; n=674), les effervescents et l’association moëlleux/vins doux naturels représentent le même poids (respectivement 9,2% ; n=183 et 9,1% ; n=179). Enfin, les vins rosés sont représentés de façon marginale (0,8% ; n=16)
(Figure 1a).
Un éventail de millésimes conséquent aura été testé (55 différents), sur cette année 2017, puisque le plus vieux vin servi provenait du millésime 1928 (n=1), alors que les plus jeunes sont du millésime 2016 (n=39). Il faut adjoindre également 106 bouteilles dont le millésime est inconnu, essentiellement des effervescents (83%)
(Figure 1b).
On s’aperçoit que de façon générale, 50% des vins provenaient des millésimes 2004 à 2012 (médiane = 2008). Les vins moëlleux (50% de 1995 à 2010, médiane = 2007, premier quartile : 1928-1995) et les VDN (50% de 1989 à 2011, médiane = 1996, premier quartile : 1947-1989) sont ceux dont l’ancienneté est la plus grande et dont la fenêtre de dégustation est la plus large, sans qu'il n'y ait de distinction entre ces deux groupes quant à la garde (
p=0.17). Les vins rouges présentent la plus grande plage de dégustation des vins tranquilles, hors vins à sucres résiduels (50% de 2002 à 2011, médiane = 2007) et couvrent la période 1950-2016. Les vins blancs sont goûtés significativement plus jeune que les rouges et les effervescents (
p<0.01), sur une plage de millésimes également plus serrée (50% de 2007 à 2013, médiane = 2010), alors que les effervescents millésimés sont dégustés entre les deux (50% de 2005 à 2010, médiane = 2008), sans significativité toutefois vis à vis des rouges (
p=0.08). Ceci s’explique facilement par le vieillissement prolongé en caves avant commercialisation des vins effervescents, ce qui provoque une mise sur le marché de ceux-ci retardés vis à vis des vins tranquilles. Enfin, les rosés, généralement rapidement accessibles, sont bus largement plus tôt (
p<0.001), sur la jeunesse, dans les 2 ans.
Figure 1
Ce panel a été touché par quelques bouteilles à défaut. En effet, on s'aperçoit que le taux de bouteilles présentant un défaut est de 4,3%
(Figure 2a), soit 85 bouteilles à problème. On peut observer également que seulement 1/3 des défauts sont identifié comme résultant d'un problème de bouchon (n=28), ce qui représente 1,5% de l'ensemble de l'échantillonnage. On serait donc sur la borne basse que l'on peut retrouver dans la littérature. Ainsi, les "ED", concernant toutes les autres causes de déviance, représentent au final les 2/3 restants, soit 2,9% (n=57) des 1980 bouteilles goûtées
(Figure 2b).
Figure 2
Les bouteilles à défaut sont essentiellement présentes sur les vins rouges (n=41; 48% des cas) et les vins blancs (n=36; 42% des cas)
(Figure 3). Les vins rosés et les vins blancs (2/16 et 36/674) pourraient avoir une tendance à la surreprésentation de vins à défauts, sans que cela soit significatif (
p=0.09 et
p=0.10). A l’opposé, on remarque qu’aucun vin doux naturel n’a été marqué de défaut, et que les effervescents, avec seulement 2 bouteilles impactées (n=183), sont significativement moins concernées par les problèmes de défaut (
p=0.02) que les autres types de vin
(Tableau 1).
Figure 3, Tableau 1
Lorsque l’on cherche à identifier quels défauts on retrouve en fonction du type de vin, on s’aperçoit que les bouchons et les « ED » sont répartis de façon égale pour les vins effervescents et les moëlleux. Concernant les vins rouges, une légère domination des « ED » est présente, sans que cela soit très marquant, alors que ce type de défaut marque exclusivement les rosés. Enfin, il apparaît très clairement que les vins blancs sont très majoritairement dominés par les « ED » (83% ; n=30)
(Figure 4a).
Le temps et les millésimes n’ont a priori aucune influence concernant les « ED ». En effet, de façon générale, il n’y a pas de différence significative entre l’ensemble du panel et l’ensemble des « ED » (
p=0.65). On obtient un résultat parallèle concernant les vins rouges (
p=0.67). Néanmoins, les « ED » concernant les vins blancs sont en moyenne un peu plus vieux que les échantillons satisfaisants, sans que cela soit significatif (
p=0.17, moyenne 9,5 ans versus 7,8 ans).
Par ailleurs, le type de vin influence sur le risque d’apparition d’ « ED ». En effet, on s’aperçoit que les vins rosés et les vins blancs sont significativement plus touchés (respectivement
p= 0.02 et
p<0.01) que les autres types de vin
(Tableau 2). Ainsi, et bien qu’ils soient largement bus en jeunesse, le risque qu’un « ED » soit un vin rosé (n=2/16) était près de 4,5 fois plus grand que s’il s’agissait d’un autre type de vins (OR : 4.96 ; IC95% : 1.28-19.29). Par ailleurs, bien que moins sérieux, le risque était cependant deux fois plus important que l’ « ED » concerne un vin blanc que n’importe quel autre type de vin (OR : 2.21 ; IC95% :1.32-3.71). A contrario, les effervescents semblent protégés puisqu’ils sont clairement moins impactés par les « ED » que les autres types de vins (OR : 0.17 ; IC95% : 0.03-0.98 ;
p=0.05).
Enfin, les problèmes concernant le bouchon touchent majoritairement les vins rouges (2/3 des cas), qui subissent statistiquement 2 fois plus que les autres types de vins cette complication (OR : 2.42 ; IC95% : 1.12-5.24 ;
p=0.02).
Figure 4, Tableau 2
Les dégustations des groupes LPV sur l’année civile ont mis en évidence l’attachement, et l’importance dans le panel étudié, des régions Bourgogne, Rhône et Loire, qui pèsent près de la moitié des vins goûtés (48,9%). La Bourgogne, à elle seule, représente entre 1/4 et 1/5 des vins explorés (22,5% ; n=446).
Vient ensuite l’envie de découverte, parfois d’exotisme, puisque la 4ème « région » en terme de représentativité concerne en fait les vins étrangers (9,2% ; n=182), que nous aurons tous regroupés ensemble dans le même groupe. Cela a concerné des vins de plus de 15 pays différents, avec en majorité des vins italiens (n=55) et allemands (n=37).
Apparaissent seulement après les régions stars que sont le bordelais (8,2% ; n=162) et la champagne (6,4% ; n=127). Viennent ensuite l’ensemble des autres régions françaises
(Figure 5a).
Cependant, toutes les régions ne sont pas frappées de façon identique par les mêmes problèmes. En effet, on s’aperçoit que les régions les plus affectées en volume par des défauts sont le Rhône (n=17 ;
p=0.10) et la Loire (n=13 ;
p=0.42), sans surreprésentation significative cependant, mais surtout la Bourgogne (n=26 ;
p=0.07)
(Figure 5b, Tableau 3). Celle-ci est d’ailleurs majoritairement touchée par des problèmes de bouchon (54% versus 46% pour les « ED »), ce qui en fait une certaine forme d’originalité, puisque seule la région Sud Ouest est dans un cas similaire, mais avec seulement 1 exemplaire contaminé. Toutes les autres régions ayant une ou des bouteilles à problème(s) ont une majorité, voire une exclusivité, d’ « ED » versus éléments bouchonnés
(Figure 5b), avec un rapport de 2 pour 1 au minimum. Par ailleurs, les vins de la région Languedoc sont les plus pénalisés puisque le risque qu’une bouteille présentant un problème quelconque provienne de cette région était 2 fois plus élevé (OR : 2.08 ; IC95% : 1.03-4.20 ;
p=0.04), avec très majoritairement des « ED » (78% ; n=7/9).
On remarquera également que 5 régions n’ont pas été affectées par des problèmes : les vins d’origine diverse, la Corse, la Savoie, la Champagne et les vins Etrangers, avec des seuils de significativité marqués pour ces deux dernières (
p=0.01 et
p<0.01). Il en est donc logiquement de même lorsque l’on s’intéresse seulement au groupe « ED », la Champagne et les vins étrangers sont significativement moins touchés (
p=0.04 et
p=0.01) que les autres régions. Le Languedoc, à l’inverse, est la région la plus exposée, puisque le risque qu’un « ED » concerne cette région est deux fois plus élevé qu’ailleurs (OR : 2,45 ; IC95% : 1.11-5.40 ;
p=0.03).
Concernant la problématique liée au bouchon, moins d’une région sur deux a été touchée (6/16). Seule la Bourgogne est particulièrement impactée par ce problème puisque la moitié des cas proviennent de ce territoire (n=14/28), ce qui lui confère un risque plus de trois fois supérieur aux autres régions (OR : 3.54 ; IC95% : 1.74-7.11 ;
p<0.001).
Figure 5, Tableau 3
Les trois régions les plus représentées sont divisées en plusieurs sous-régions : schématiquement, la Bourgogne en 5 (du nord au sud : Chablisien, Côte de Nuits, Côte de Beaune, Châlonnais, Mâconnais), la vallée de la Loire en 5 également (de l’Ouest à l’Est : Pays Nantais, Anjou, Touraine, le Centre et l’Auvergne), et la vallée du Rhône en 2 : Septentrionale au Nord de Valence, Méridionale au sud de cette même commune.
On s’aperçoit ici, dans un premier temps, que l’essentiel des vins bouchonnés concernait des Bourgognes, en particulier rouge (71%), avec un lourd tribu payé par la Côte de Nuits, puisque 90% des bouteilles à défaut provenant de cette sous-région étaient atteint par ce problème
(Figure 6). Les autres bouteilles bouchonnées de cette région ont touché exclusivement des vins blancs de la Côte de Beaune. La vallée du Rhône a été également impacté par ce même type de problème (21% des cas recensés), dont 2/3 concernent la partie septentrionale et 1/3 la partie méridionale (sans différence significative entre les 2,
p=0.59).
Concernant les « ED », en région Bourgogne, ils étaient essentiellement concentrés sur les vins blancs de la Côte de Beaune (n=7; 58% des cas). Par ailleurs, lorsque l’on prend l’ensemble des vins blancs « ED » de Bourgogne, on remarque que le risque que le millésime concerné soit compris entre 1996 et 2008 est 11 fois plus grand que s’il était antérieur ou postérieur à cette période (OR : 11.43 ; IC95% : 2.11-61.84 ;
p=0.005)
(Tableau 4)! Pour ce qui est des autres sous-régions, on remarque que l’Anjou est autant impactée que le Rhône méridional, avec 6 cas recensés chacun. Ainsi, l’Anjou collecte 60% des « ED » de la vallée de la Loire (dont un seul exemplaire en vin rouge), mais sans supériorité significative vis-à-vis des autres sous-régions ligériennes. La situation est parallèle en vallée du Rhône, avec 55% de cas collectés au sud, et 45% au nord de Valence, mais par contre, avec une large dominante de vins rouges (8/11).
Figure 6, Tableau 4
Discussion
Ce travail met en perspective plusieurs points. Le premier concerne le cadre de cette étude, tant d’un point de vue des contributeurs que du panel observé. En effet, le forum LPV permet une collecte d’information assez conséquente. Ainsi, avec près de 2000 vins étudiés, sur une année, et dont la plupart des commentaires sont rédigés lors de dégustations à l’aveugle par des dégustateurs un minimum expérimentés, on peut raisonnablement penser que les données recueillies sont fiables et pertinentes et par conséquent, analysables. On regrettera simplement que, sur les 170 soirées étudiées, la moyenne des comptes rendus obtenus ne soit « que » de 2, d’autant que l’on sait que la pluralité des avis et des ressentis est une réelle plus-value apportée aux lecteurs et dégustateurs. On aura également pu mesurer la singularité des habitudes de dégustation des membres du forum LPV puisque les vins rouges pèsent un peu moins de la moitié du panel étudié, et les vins blancs un gros tiers, alors que les ventes en France représentent respectivement 60% et 17% des volumes, et même 22% pour les vins rosés, alors qu’ils sont complètement marginalisés dans ce travail (0,8%)
[13]. Cette observation concerne également les régions de productions puisque la Bourgogne, plébiscitée dans ce travail et dont plus d’une bouteille sur cinq est issue de cette région, ne représente que le 7ème rang du vignoble français en superficie (29000 ha) et en volume de production (1,34 million d’hl)
[14]. Il en est de même pour les deux autres régions les plus représentées ici, la vallée du Rhône (3ème en superficie, 5ème en volume) et la vallée de la Loire (4ème en volume et en superficie)
[3]. Les vignobles du Languedoc et du Bordelais, les deux plus importants en superficie et en volume, sont par conséquent un peu mis à l’écart par les dégustateurs. Enfin, la tendance globale est de laisser les vins vieillir en cave quelques années, hormis pour les rosés, puisqu’environ 75% du panel a au moins 5 ans. Ceci est particulièrement marqué pour les vins présentant des sucres résiduels, et à un degré légèrement moindre, pour les vins rouges.
Le deuxième point marquant est que l’on obtient un taux de vin bouchonnés bas, évalué à 1,5% des 1980 vins goûtés, ce qui correspond effectivement aux bornes inférieures déjà trouvées dans la littérature
[7][15]. On observe également que le risque diminue depuis le début des années 2000 puisque la probabilité d’avoir un vin bouchonné lorsqu’il est issu d’un millésime postérieur à 1999, est statistiquement inférieure à un vin produit avant (
p=0.002 ; OR : 0.31 ; IC95% : 0.15-0.65). Ce risque se rééquilibre et la différence n’est plus significativement marquée (
p=0.06) à partir des vins produits depuis 2012, mais cela est lié à la faiblesse des cohortes concernées par les millésimes récents, inférieurs à 5 ans d’âge. Néanmoins, on émettra toutefois une réserve quant au fait que l’on n’ait pas la proportion de vins à bouchage alternatif dans cette étude, afin de mesurer plus précisément le lien entre les différents types de bouchage et le goût de bouchon
[16]. Cependant, cela confirme bien la représentativité du panel exploré, d’autant qu’il ne représente finalement qu’un tiers des bouteilles présentant un défaut. Concernant la typicité des vins bouchonnés, on observe que les vins rouges étaient statistiquement plus touchés que les autres (n=19/928 ; OR : 2.42 ;
p=0.02). Une hypothèse pourrait être que les vins de cette couleur seraient moins fréquemment obturés par des bouchages alternatifs (synthétique, capsule à vis…). De même, les vins de Bourgogne ont été fortement et significativement impacté par ce problème (n=14/446 ; OR : 3.52 ;
p<0.001) puisque ce défaut était majoritaire dans cette région, en particulier sur les vins rouges de Côte de Nuits. Cependant, bien qu’il soit démontré que l’origine du goût de bouchon provienne dans 75% des cas d’une pollution des chais
[5][7][17], il paraît difficilement concevable que cela soit la seule explication possible à ces résultats peu reluisants…
Le troisième point de discussion concerne évidemment les bouteilles défectueuses. On l’a vu, la répartition est conforme à ce que l’on attendait, le ratio ED/bouchon étant d’environ 2/3-1/3, et avec un taux de bouteilles défectueuses, toutes causes confondues de 4,3% (n=85), ce qui est relativement bas, et très inférieur à ce que l’on pouvait imaginer. Les « ED », sous leurs différentes formes, sont donc le défaut majoritaire rencontré dans la plupart des régions concernées par ceux-ci (hormis la Bourgogne, et dans une moindre mesure le Sud-Ouest), et statistiquement significatif concernant le Languedoc (
p=0.03). Bien que cette dernière soit un des viviers de l’agriculture biologique et de la limitation des intrants, nous ne retrouvons pas ces caractéristiques dans des régions dont le mode cultural et les philosophies de conduite à la vigne peuvent être similaires (Jura, Alsace, Roussillon, Corse…)
[18], exception faite, peut être, de la Provence mais sans certitude cependant (
p=0.07).
Ainsi, les « ED » touchent essentiellement les vins les plus sensibles à l’oxygène tels que les vins blancs (
p<0.01 ; OR : 2.21) et les vins rosés (
p=0.02 ; OR : 4.96). En effet, la maîtrise et la gestion de l’oxygène tout au long du processus de vinification et d’élevage est un facteur fondamental et largement décrit
[19][20][21] concernant l’équilibre ultérieur des vins, leur préservation et leur protection contre les phénomènes d’oxydoréductions. Le cas des « prémox » bourguignons, probablement en lien avec l’oxygène, est un cas intéressant et statistiquement confirmé dans ce travail (
p=0.005 ; OR : 11.43). La ou les causes n’ont jamais été formellement établies (pH plus élevés ?, mésusage du SO2 ?, maturités plus hautes ? problématique de l’embouteillage ?...), mais un lien avec l’oxygène est clairement suspecté
[22], avec par exemple l’usage d’un bâtonnage important
[21].
Enfin, avec 2 échantillons touchés (1 « ED », 1 bouchonné) les effervescents sont significativement moins concernés par des défauts que les autres types de vins (
p=0.02). La présence de gaz (CO2 dissout) pouvant protéger des phénomènes d’oxydation
[23] est certainement un des éléments à prendre en compte. Une autre piste pourrait être le rôle du dégorgement, et sa date, quand à la prévention de l’apparition d’éventuels défauts, en retardant potentiellement les phénomènes oxydatifs, en particulier concernant les effervescents millésimés
[13]. Dans ces conditions, il paraît assez logique de voir la Champagne préservée quand à ces différents problèmes (
p=0.01). Les vins de provenance étrangère sont également dans ce cas (
p=<0.01), tout comme la Savoie, la Corse et les différents vins doux naturels, mais sans significativité pour ces derniers groupes faute d’échantillonnage suffisant.
Conclusion
Evidemment toujours trop nombreuses, les bouteilles défectueuses font malheureusement partie de l’univers de la dégustation, le risque zéro n’existant pas. Néanmoins, cette étude rétrospective met en évidence que les chiffres que nous avons obtenus, que ce soit pour les « ED » ou les vins bouchonnés, sont comparables, et parfois même inférieurs, à ce que l’on peut trouver dans différentes revues, ce qui est satisfaisant. D’ailleurs, les champagnes et les vins étrangers ont eu des résultats particulièrement positifs et intéressants pour le consommateur. Concernant les problèmes de bouchons, on pourrait imaginer que l’on commence à arriver à un effet seuil avec le liège, nonobstant une amélioration toujours possible via des systèmes de bouchages alternatifs, avec cependant une marge de manœuvre relativement étroite. La problématique concerne finalement plus les « ED », majoritaires, pour lesquels les questions de protection des vins et de gestion de l’oxygène notamment, restent encore posées. Des études complémentaires sont toutefois nécessaires pour évaluer plus précisément les causes des « ED », afin de pouvoir mettre en évidence des moyens plus spécifiques de prévention.
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