Pour ajouter une pierre à l'édifice de Laurent, je considère également Jadis 2007 de Barral comme un grand vin, comme le fut et l'est encore son aîné 2005. Mon dernier "grand" Languedoc en date fut un superbe Mas Laval 2007, qui m'a produit une jouissance des papilles comme j'en rencontre peu dans l'année : une explosion de fruits variés portés par de douces épices et une longueur formidable en bouche. Bien entendu, de grands Bordeaux rouges à maturité (20-30 ans d'âge) possèdent un registre inimitable, une perfection de forme et de fond éblouissant, tout comme de précieux crus bourguignons (à l'instar des Volnay et Pommard de Joseph Voillot, encore accessibles à prix d'ami en direct) mais j'aime tout autant, peut-être plus encore, les envoûtants Châteauneuf du Pape de Brunel (cuvée les Cailloux) des années soixante-dix dégustés ces dernières années grâce à la générosité d'un ami. Je tais par pudeur mon amour des vieux cabernets francs de Loire.
En blanc, la situation me semble plus difficile pour les vins du Languedoc et du Roussillon, mais ceci s'avère également très personnel, le seul blanc languedocien véritablement Grand à mes yeux étant celui porduit par le Mas Jullien, avec un profil plutôt bourguignon. Ceux de Padié m'ont aussi épaté, mais pas tout à fait autant que ceux d'Olivier Jullien. Les blancs du roussillon à dominante de grenache gris sur schistes me semblent porteurs d'une originalité et d'une complexité dignes des plus grands et en dehors de toute mode.
Je rejoins les propos de Robert, qui correspondent à ce que les historiens du Vin ont montré : les Grands Vins ont été établis par volonté politique, par un pouvoir fort et dont l'émergence a été favorisée par des infrastructures et des voies commerciales efficientes. Bordeaux en est la parfaite illustration. On pourrait même arguer que le Languedoc et le Roussillon ont été des terres à vins probablement antérieures au Bordelais et à la Bourgogne, par l'entremise des Grecs et des Romains.
En aparte, je rêve qu'on produise à nouveau de grands vins en Région Parisienne, car au Moyen-âge jusqu'à la Révolution, ces vins étaient fort prisés (qu'attendent les grandes maisons champenoises ?
).
[size=x-small]Bien entendu, il faudrait d'abord que la pression urbaine baisse très sensiblement...[/size]
Quand je lis ou j'entends des Bourguignons, des Bordelais, amateurs ou professionnels du Vin, nous vanter les terroirs "éternels" de la Bourgogne ou de Bordeaux, cela me fait doucement sourire. Il n'y a rien d'éternel, tout est construit, importé, fabriqué - temporairement - et adapté aux besoins du moment par les Hommes à chaque époque. Qu'y a-t-il de commun entre les
"clarets" chers aux Anglais du XVIIIème siècle et les grands crus bordelais actuels ? De l'encépagement aux terres cultivées, en passant par les méthodes viticoles, de vinification et d'élevage, tout a changé. Les grands vins d'aujourd'hui ne ressemblent aucunement à ceux d'il y a deux ou trois cents ans, il en sera de même pour les grands vins futurs, dans les siècles suivants. Où seront-ils produits ? En Languedoc, en Roussillon ? en France ? Le réveil de la Chine et ses méthodes marketing nouvelles pourraient changer la face du monde du Vin dans les siècles à venir. Tremble, Bordeaux !
Boire des vins vénérables, c'est boire une mémoire collective, voyager dans un passé imaginaire, fantasmé, car le plaisir est dans l'instant. Que le vin soit âgé ou de l'année, à son contact, seules les impressions de l'instant sont réelles pour nous-même. Il faudrait s'entendre pour définir une échelle objective de valeurs sensorielles à partir de laquelle on pourrait dire : "ce vin est un Grand Vin". Longueur en bouche ? complexité des fragrances et des saveurs ? qualité des acidités, finesse des tannins ?
Je reviens toujours à cet adage que je considère comme très clairvoyant concernant les vins âgés (on va dire plus de trente ans, durée de vie moyen d'un bouchon de qualité) : il n'existe pas de grand vin, mais uniquement de belles bouteilles. Plus j'avance dans cette passion, plus je me dis que cela est également vrai pour les vins plus jeunes ; pas de grands vins "objectifs", mais que de grands moments accompagnés de grandes émotions !
Cordialement,
Philippe Belnoue