Cher Oncle Charly (je déteste, je l'avoue, ce concept d'anonymat, mais bon...), tu t'exprimes particulièrement clairement d'habitude et fort bien. Tu as d'ailleurs bien compris ce que je voulais dire. Si pour toi le plus important est le terroir plus le travail, le cépage plus le travail, le millésime plus le travail pour l'exprimer au mieux, l'élevage et la vinif qui sont du travail, et bien le plus important pour faire un grand vin est donc bien le travail :-)
Au niveau du terroir, je ne suis pas du tout persuadé que le "plus talentueux et le plus acharné des vignerons" ne puisse pas faire un grand vin dessus... Il y a bien des grands en dehors du "noir/boisé/concentré" et s'il sera sans doute limité dans cette voie, s'il plafonnera un jour, il en reste bien d'autres. Le plus parfait exemple est Rayas, qui sur les sables de ce qui est loin d''être le meilleur "quartier" de Châteauneuf, fait un vin considéré par beaucoup ici comme leur graal personnel. Un grand vin peut être aussi blanc, ne l'oublions pas, et pourquoi pas rosé. Il peut être aussi basé sur la finesse, sur la buvabilité, sur l'acidité, sur le sucre résiduel avec en particulier l'option mutage. Toute la difficulté sera donc pour le "grand" vigneron de sortir des sentiers battus, de se réinventer totalement et de tenter de faire exprimer à son "petit terroir" ce qu'il a de mieux et, en tous les cas, ce qu'il a d'original. Et bien sur de lui donner du sens...
Ton intervention m'interpelle : je ne pense pas qu'il manque à certains vignerons un "réseau" (qui n'existe pas, d'ailleurs, ni au niveau communication, ni au niveau vente, en France et dans le monde) mais avant tout la compréhension que nous vivons désormais dans un monde à la recherche de sens.
Hors, nous sommes particulièrement riches en sens, nous les vignerons, car il suffit bien souvent de raconter notre vie au quotidien, si complexe, en rapport avec la nature, à la fois locale (les pieds dans la terre), et mondiale (nous exportons presque tous à l'autre bout du monde) pour donner du sens à notre vin, à l'homme ou à la femme qui le fait, au plaisir qu'il procure, au lien social et culturel qu'il crée. Nous sommes privilégiés et, pourtant, presque personne ne le met en avant, ce "sens". Plus qu'une fiche technique, c'est bien l'histoire de ton vin, donc ton histoire, qui m'intéresse, qui va me permettre d'avoir envie de boire ton vin ou de parler de toi si j'étais journaliste.
L'exemple parfait est d'ailleurs donné juste là, un peu plus haut, par Enzo. Il parle d'un vigneron qui m'est inconnu. Je cherche et tombe sur
CA
grâce à lui. Son vin prend du sens, j'ai envie de le goûter et de le rencontrer. Et si son vin était sur une boutique en ligne, je crois même que j'en aurais commandé, là, dans l'instant...
Pour en revenir au sujet, si les grands vins historiques sont nés grâce à des moyens d'échanges physiques (routes, ports, voie ferrées) ou politiques, sociaux, culturels (vin des puissants désirés par simple mimétisme) et au passage sans "notes", la nouvelle voie d'échange et de communication, c'est Internet. Et là, d'un clic, pour 0 euros, en un dixième de seconde, mon avis, notre avis, peut changer ou du moins évoluer, non pas en reniant un grand vin historique mais bien en ouvrant le cénacle à un nouveau. Comment ? En l'achetant, tout simplement, au prix fixé par celui qui l'a créé.. La naissance d'un grand vin passera donc aujourd'hui obligatoirement par internet (sans pour autant bien sûr oublier les médias classique, du conseil de son caviste aux journaux, la télé nous étant malheureusement interdite, pour l'instant). Ce qui est formidable, c'est que cela va permettre à des vignerons d'émerger plus vite, donc de vendre plus vite, donc d'investir plus vite et, normalement, de faire des grands vins reconnus comme tels pendant leur vie terrestre, pour toutes les raisons physiques évoquées plus avant. Ce qui est super, parce qu'on va pouvoir peut-être faire ça dans une vie, bien limitée en millésime, ne l'oublions jamais, alors qu'avant, ça demandait trois générations ;-)
Hors, dans le L.R., grand espace de liberté, nous avons sans doute plus de chance que d'autres appellations très anciennes qui, finalement, rabâchent toujours les mêmes choses : le passé, les moines, on est les meilleurs parce que l'histoire l'a décidé, Curnonski a dit, etc... Et qui auront encore plus de mal à prendre le réseau en marche...
Encore faut-il que les vignerons se bougent dans ce domaine là. On voit bien que certains en ont ici largement les capacités, l'humour, le charme, la plume. Pourquoi ne le font il pas est un grand mystère pour moi...
Il faut peut-être aussi que nous vivions dans la réalité : un grand vin est un vin qui a rencontré un client, un marché. Sinon, il n'existe pas. C'est dur, certains vont hurler, mais c'est ainsi, pour le vin et pour tout les autres objets qui doivent se vendre pour continuer à être produits.