Une première au domaine Bernard Faurie et la dégustation du millésime 2017
Au moment d'établir la feuille de route de notre périple, nous décidons d'écouter un précédent conseil de Jean Gonon et d'aller visiter l'appellation Hermitage. Je n'avais pas souvenir d'avoir goûté un vin de Bernard Faurie - camarade Antoine me dira plus tard que si en fait
bon ça n'a pas du me marquer. C'est donc quelques discussions locales complémentaires en 2017 qui nous incitent à aller voir ce vigneron bien établi. La rencontre avec Bernard Faurie était inattendue. Inattendue parce que je n'avais parcouru aucune littérature sur la personne ni sur ses vins mais aussi parce que je n'avais aucune attente. Elle fut également inattendue parce que de l'extérieur, la bâtisse ne présage aucunement que l'on y fait vin.
Point de plaque ou panneau annonçant le domaine. C'est un pavillon de taille modeste, peu large. Un garage est adossé dans son prolongement vers le fond du jardin. "Dîtes-donc les amis, vous êtes vraiment sûr que nous sommes à la bonne adresse?". Ce n'est qu'après quelques minutes qu'un homme à la chevelure et à la moustache argentées nous rejoint et nous confirme que nous sommes au lieu prévu.
"Bonsoir, Bernard Faurie. Vous m'excuserez, je terminais une conversation téléphonique. Je vous propose que l'on passe à la salle de dégustation. Nous y serons plus à l'aise." Nous entrons dans le bâtiment arrière pour nous asseoir dans ce qui pourrait ressembler à un salon des années 80: du carrelage brun, une cheminée en brique ocre et en son centre une table en bois massif. Ce qui est plus surprenant est la présence des tonneaux remplis.
Une brève présentation du domaine
- Merci de nous accueillir. Pouvez-vous nous évoquer le domaine?
- Il faisait 4ha à l'origine. En 2010 j'ai commencé à me délester des Saint Joseph. En 2012 je n'en ai plus.
- A qui les parcelles ont-elles été cédées?
- A mon gendre: Emmanuel Darnaud. Il fait du Crozes Hermitage et 2 Saint-Joseph. Il me reste aujourd'hui 2ha dont du vin de France situé en zone de Saint-Joseph, en plaine. Il est fait sous l'étiquette Héritiers Faurie-Marc. On a aussi du blanc. Il sert surtout à ouiller les fûts. On fait quelques bouteilles.
Bloquer la fermentation malolactique pour conserver de la fraîcheur
- Les vendanges ont été chaleureuses en 2018.
- Je confirme. Il a fait bien chaud. Nous avons vendangé tôt. Les premières cuves faisaient 13,5°C, les dernières 15,2°C. Mais Bessards, c'est solide. Je vais vous faire goûter le blanc.
Hermitage blanc
"Les vignes ont 72 ans. 100% Marsanne sur les sols de Bessards. C'est du granit."
C'est frais, pas lourd ni trop mûr. C'est acidulé avec quelques notes de pomme verte. Il y a de la densité et un filin acidulé qui s'étire en son centre.
AB
- Les blancs ont été vendangés le matin. Nous avons essayé 2 après-midi mais rapidement nous avons restreints aux matinées. Il fallait refroidir tout ça. Nous avons un groupe de froid pour l'équivalent de 4ha. Il a suffit pour tout juste 2.
- Vous avez bloqué les malos?
- Oui, un peu.
- Avez-vous déjà essayé d'acidifier?
- En 1983. Le résultat ne m'a pas du tout satisfait. Je préfère donc bloquer les malos.
- Et en rouge?
- J'ai fait un essai non volontaire en 2009. La malo n'était pas faite, même sur quelques rouges. J'ai tenté un élevage de 8 à 9 ans sur un St Joseph. Il restait un peu de malique. L'agrément m'a été refusé
Et Bernard Faurie de continuer:
- En 2016, les blancs sont superbes. Tous les sucres sont faits. Avec 2017, ils ne se sont pas tous terminés. Il reste un peu plus de 2g.
- Et en 2018?
- Moins d'un gramme à 15,2. Tout s'est fait en levure naturelle. J'ai acheté des levures mais je ne les ai pas utilisées.
- Pourquoi est-il si important de terminer les sucres?
- S'il reste du sucre, c'est difficile de stabiliser la volatile.
- Est-ce que vous filtrez?
- Oui presque stérile.
C'est étonnant par rapport aux domaines que nous apprécions par ailleurs mais nous verrons que le résultat est plutôt qualitatif.
Bessards, Greffieux et Méal
- Dans quelles proportions sont représentées vos différents terroirs?
- Bessards occupe 60%. C'est le dominant des vignes. Il est féminin et il a de la force à la fois. C'est celui qui apporte la longueur. Greffieux pour 20%. Il est également féminin mais il manque un peu de longueur. Et enfin 20% de Méal.
- Est-ce que vous faîtes des assemblages ou des parcellaires?
- Des assemblages la plupart du temps. En 2015 et 2016 je fais néanmoins Bessards seul.
Nous dégustons le millésime 2017.
Cuvée du Papy
"C'est de la Syrah. Elevée en bois neuf. Un des fûts s'est mis à couler. Heureusement qu'il suintait, j'ai pu m'en apercevoir sans trop de perte."
Un vin dense, noir et acidulé à la fois. Des notes herbacées, une texture de craie noire.
B
- Eraflez-vous?
- Non, je n'ai pas acheté d'appareil pour cela. Je ne me pose donc même pas la question. Et sur une année solaire, il ne faut surtout pas érafler. Après, il ne faut pas que la rafle prenne le dessus.
Greffieux / Bessards
Un bouche mentholée d'emblée. De la violette et de la fleur de sureau qui se poursuivent sur un long sirop de cassis. C'est fin, fruité et doté de tanins certes présents mais emportés par la gourmandise. Sans aucune hésitation
Excellent
- Nous faisons -25% sur 2017. Il fallait remonter à 2003 pour avoir une baisse importante. C'était alors -60%. En 2002 et 2003, j'ai perdu l'équivalent d'une récolte. Les vignes ont mis du temps à récupérer.
- Comment se passe la transmission du domaine?
- J'ai 2 tracteurs et un chevillard. Ce sont de vrais jouets. Avant, il fallait des tracteurs avec des chenilles en fer. Ils étaient trop lourds pour les sols. Maintenant, je m'amuse tellement que je n'ai pas envie d'arrêter. Et puis, il faut voir les vignes à l'automne. Elles deviennent progressivement jaunes. C'est beau. Ça m'apporte la paix. Mon gendre attend donc tous les ans
- Et il vous aide?
- Pas du tout. Il doit déjà s'occuper de 17ha.
- Nous dégustons depuis les bouteilles. Les mises se font assez tôt.
- Je fais une mise précoce; une autre à la fin du Printemps. Je n'ai pas beaucoup de place.
- Comment faîtes-vous la différence?
- Avec le numéro de lot sur la bouteille.
Bessards / Méal
Une acidité haute, des tanins en abondance qui tapissent la bouche. L'ensemble demeure néanmoins très digeste grâce à ses fruits d'un rouge vif et gourmand. La longueur est grande. Nous avions tendu la joue gauche avec Greffieux / Bessards. Nous tendons la droite avec Bessards / Méal.
Excellent également et certainement les 2-3 rouges du séjour à l'unanimité du groupe parce que les plus inattendus
(le 3ème étant la Côte Brune de Rostaing). Waouh.
- Sur un millésime solaire, les élevages sont plus difficiles. Ils nécessitent un contrôle plus important. Il faut ajuster le SO2 plus régulièrement.
- A quel niveau êtes-vous?
- En total? 80-90. Les analyses affichent parfois un niveau plus bas. Après, c'est comme le sel en cuisine, trop de SO2 gâte le vin. Il devient brun, durailleux et carré.
Bessards
Quelques microbilles de gaz trahissent un léger perlant. La texture est d'une finesse remarquable. La portance altière confère de l'élégance au tout. Les fruits se déclinent sur la groseille et la mûre.
Excellent
"Nous n'allons pas rester là-dessus (...)" Dans mon fort intérieur: euh, c'était déjà redoutablement top. "(...) Je faire vous faire goûter quelque chose de plus âgé. J'aime bien les moments de partage."
Défier le temps
Vin inconnu
La bordure brune dans le verre est la traduction d'un âge fort respectable. La robe est brillante.
Au nez, ça champignonne. Le contact continu avec l'air lui donne des effluves mentholée et de chlorophylle. En bouche, nous avons un peu de morilles. Les tanins sont poudrés. Et toute la complexité de saveurs fumées, poivrées et pivoine se déroule sur les papilles. Viennent ensuite des notes de fèves de cacao et de café. L'acidité se goûte encore.
Excellent -
- Alors à votre avis?
- Je suis incapable de le dater. Les arômes demeurent bien présents, aucun signe de fatigue. Une vingtaine d'année peut-être ?
- Et en terme d'assemblage?
- Je dirais Bessards / Méal.
- Il s'agit de l'assemblage des 3 et c'est 1989.
- !!! Il paraît pouvoir tenir encore une dizaine d'année sans sourciller.
- Ah la conservation. J'utilisais avant du liège de Sardaigne. Ça tenait très bien dans le temps mais ça marquait un peu. On a arrêté. Les vins sont d'une remarquable durabilité. J'aime bien aller dans la nature. J'ai une caravane à 1100m d'altitude. J'aime m'y rendre régulièrement. J'avais ouvert un Hermitage un jour et l'avait laissé dans le frigo. Je reviens un mois après avec un ami et nous n'avions rien emmené. Il fallait tout de même que je lui offre un verre. J'ouvre le frigo et vois la bouteille. Je me préparais à la jeter lorsque par acquis de conscience, je goûte. Le vin était parfaitement en place...
La nuit est tombée depuis de longues minutes déjà. Nous avons été happés par les histoires et les vins de Bernard Faurie. Ces 2017 sont une franche réussite. Et leur géniteur est un homme d'une passion communicative. Il était calme, posé et intarissable. Quels vins! Je n'ai pas l'occasion de déguster souvent des Hermitages mais je vais sans aucun doute y revenir régulièrement. Et nous ne sommes pas pressés que notre vigneron prenne sa retraite. Bon, dîner et au dodo, notre séjour est loin d'être achevé.