CABERNET SAUVIGNON, DOMUS AUREA, 2002, ALTO MAIPO, VINA QUEBRADA DE MACUL
Le Clos Quebrada de Macul est un vignoble de 16 hectares adjacent au vignoble traditionnel de Cousino Macul qui va bientôt disparaître en banlieue de Santiago. Le Clos Quebrada de Macul lui persiste et produit actuellement ce qui est considéré par plusieurs comme un des meilleurs, sinon le meilleur vin de Cabernet Sauvignon du Chili. Quand j’ai vu ce 2002, considéré comme le meilleur millésime de ce vin, offert pour 40$ à la LCBO, je me suis empressé d’en commander quatre bouteilles. Les vignes du Clos Quebrada de Macul ont été plantées en 1970. Jusqu’au milieu des années 90, les raisins qui en étaient tirés étaient revendus à des producteurs comme Santa Rita ou Errazuriz. On dit qu’ils s’agissait des raisins les plus coûteux du Chili. Toutefois, en 1995, Ricardo Pena qui avait hérité du vignoble, a décidé qu’il vaudrait mieux vinifier ces raisins, et ainsi fut créé formellement le Clos Quebrada de Macul. On y produit deux vins, le grand vin de la maison, le Domus Aurea, dont il est question ici, et son petit frère, le Stella Aurea, un vin que j’ai déjà en cave et qui est excellent. Le vignoble est situé en pente aux pieds des Andes, et il est divisé en 45 parcelles, dont certaines avec une inclinaison allant jusqu’à 45̊. La plupart des parcelles incluses dans l’assemblage du Domus sont parmi les plus inclinées. Le micro-climat du vignoble est frais et le sol est composé de dépôts de gravillons de faible fertilité, permettant un excellent drainage, et donc, un parfait contrôle de l’irrigation goutte à goutte. Les rendements sont faibles aux environs de 35 Hl/ha. La vinification se veut la moins interventionniste possible, mais l’évolution des différents lots est suivie de très près pour s’assurer du maintient de la qualité. La fermentation alcoolique se fait à température contrôlée, sans macération à froid préalable. Suit une macération sur lies d’environ un mois et ensuite une fermentation malolactique lente en barrique, à 20̊C, avec inoculation. Le vin est ensuite élevé pendant environ 18 mois en barrique de chêne français neuves à 80%, le reste étant de second usage. Durant la première année d’élevage le vin est soutiré à tous les trois mois pour être ensuite tenu à l’abri strict de l’oxygène. Le vin est ensuite collé, puis chaque lot subit une analyse microbiologique stricte avant l’assemblage final et l’embouteillage par gravité. Le vin n’est ainsi pas filtré. Comme on peut le voir, le Domus Aurea est un vin ambitieux, élaboré avec un grand souci du détail par l’oenologue Jean-Pascal Lacaze et Patrick Valette qui agit comme consultant. Pour ces deux français, 2002 était leur premier millésime. Ils avaient alors pris la relève du réputé oenologue chilien Ignacio Reccabaren. 2002 marque donc un tournant pour ce vin. C'est aussi l'année où des arbres d'eucalyptus ont été coupés pour atténuer ce caractère qui était très présent dans les millésimes antérieurs du Domus. Voyons maintenant si tout cet effort qualitatif est transposé dans le contenu de la bouteille.
La robe est d’un grenat foncé totalement translucide face à la la lumière intense. Dès le premier abord du bouquet de ce vin, je me dis WOW!!! Voilà quelque chose de spécial. Le bouquet de ce vin transpire la classe, la finesse et la profondeur. Il est clair que je suis en face d’un vin très sérieux. Le dosage y est juste et l’équilibre entre les arômes semble presque parfait. On y retrouve bien sûr le cassis si typique des bons Cabernets de Maipo, auquel s’ajoutent d’autres arômes de fruits noirs de grande qualité. À cette base finement fruitée, s’entremêlent des notes de cèdre, d’épices douces et une fine touche chocolatée. La réduction désirée du caractère d'eucalyptus semble être un succès, du moins, je ne perçois pas cet arôme. Quoi qu'il en soit, mes capacités de dégustateurs sont trop limitées pour bien rendre compte du bouquet de ce vin, mais les mots classe et équilibre ne cessent de me revenir en tête, comme mon nez ne cesse de retourner humer ce vin. Juste au nez, ce vin est déjà un pur délice. Heureusement, la bouche n’est pas en reste et confirme le haut niveau de ce nectar. Point d’outrances ici, ni de débordements. Ce qu’on retrouve en bouche n’est que le prolongement de ce qu’annonçait déjà le nez. Encore une fois, de la classe, de la profondeur et une structure compacte rappelant forcément l’archétype européen, bien que la richesse du fruit n’est pas sans rappeler sa véritable origine. On pourrait résumer ce vin en disant que le savoir-faire français à su domestiquer la fougueuse matière chilienne. Ce vin est très civilisé, il est très Cabernet Sauvignon, mais en même temps, son lieu d’origine transparaît dans le profil qu’il exhibe. Il y a un côté dans ce vin qui me rappelle les bons vieux Antiguas Reservas du vignoble voisin de Cousino Macul. Un côté que j’ai de la difficulté à mettre en mot, mais qui est bien présent. Toutefois, le Domus Aurea arrive à transcender cela et à aller beaucoup plus loin dans le raffinement et la profondeur, avec quelque chose de plus et de mieux. Ce vin représente pour moi la quintessence du Cabernet en terre chilienne. Je n’utilise jamais les mots “grand vin”, sauf pour m’interroger à son sujet. Toutefois, pour moi, à mon échelle, et selon mes références, ce vin doit se rapprocher de ce qu’est un grand vin. Il en a les caractéristiques: l’équilibre, la finesse, la richesse maîtrisée, la profondeur et la longueur. Il s’agit sans l’ombre d’un doute du meilleur vin chilien qu’il m’ait été donné de déguster. Quand on y pense bien, ce n’est pas vraiment étonnant. Tout a été mis en oeuvre pour produire un vin de très grande qualité. Lacaze et Valette sont des français qui croient que le Chili a un terroir qui lui est propre. Leur savoir-faire européen, allié à l’expérience du terroir chilien, le tout conjugué à un vignoble de 32 ans d'âge, idéalement situé, ne pouvaient manquer. Le Clos Quebrada de Macul, pour moi, c’est un avant-goût du Chili vinicole à venir. Ils sont nombreux maintenant les producteurs qui ont plantés les bons cépages, de la bonne façon, aux bons endroits, mais ces vignobles sont tous très jeunes. Je ne pense pas qu’il faille attendre 32 ans pour atteindre le niveau du Domus, mais le temps doit encore faire son oeuvre. Dans l’intervalle, l’expérience s’accumulera. Les rouges chiliens les plus reconnus proviennent de vignobles d’un certain âge (Don Melchor, Clos Apalta, Almaviva, Montes M, etc..). Pour moi, une chose est certaine, c’est qu’au prix de 40$, le Domus Aurea représente l’aubaine des aubaines parmi les super-premiums chiliens. Voilà un vin qui ne met pas la charrue avant les boeufs, comme trop de vins chiliens se voulant prestigieux. Le Chili doit offrir ses meilleurs vins à des prix avantageux. Le RQP favorable est sa marque de commerce et cela doit se transposer jusqu'au haut de l’échelle. C’est de cette façon qu’il arrivera à se bâtir une réputation solide et brisera les préjugés trop tenaces à son endroit. Une chose est certaine, ce sont des vins comme ce Domus Aurea qui contribueront à changer l'image du Chili et lui permettront d'entrer de plein droit dans la cour des grands.