Il finit par y avoir quarante débats en un là.
1) Classement national ou classement des meilleurs restaurants ?
Ce classement
ne classe pas les pays entre eux, mais les 50 plus grands restaurants, sans juger du niveau moyen ou médian de la gastronomie d'un pays. A ce jeu là, je crois que la France, l'Italie (puisqu'Herbey 99 en parle, et je suis d'accord avec lui), et d'autres pays de grande tradition culinaire, en Asie par exemple, se trouveraient bien plus haut que les pays scandinaves - où l'on mange en moyenne une nourriture assez peu variée, et où les restaurants sont très chers - , que le Royaume-Uni (même si les choses bougent à Londres, ce n'est pas le cas dans tout le pays, loin s'en faut, ni dans toutes les familles), ou que les Etats-Unis (le plus clair des trois à mon avis, balladez vous dans un supermarché américain et vous comprendrez ce que je veux dire).
Là, on parle de l'élite des restaurants, et non,
ce n'est pas forcément parce qu'on a les deux trois meilleurs restaurants qu'on est le pays de la gastronomie. Ce serait comme dire: les Américains ont tous les champions olympiques d'athlétisme, c'est bien la preuve que les Américains sont tous des athlètes. Raté: ça veut juste dire que les plus forts des Américains sont les meilleurs athlètes du monde ; ça n'empêche pas qu'il y ait un tiers d'obèse dans le pays, dont les performances athlétiques prêteraient malheureusement à sourire...
Le raisonnement selon lequel les résultats de "l'élite" gastronomique seraient le reflet de l'état global de la gastronomie d'un pays est un séduisant sophisme, mais quand même un sophisme.
2)
Sur l'amalgame El Bulli (&consorts) /Noma (&consorts)
El Bulli, c'était, pour caricaturer, l'assertion du fait que la cuisine était dans le fond avant tout de la chimie, et qu'on pouvait donc utiliser les armes de la science pour obtenir du beau et du bon.
Noma, et ses compagnons scandinaves (Fäviken pour rester dans le classement, mais également le nouvel Aska à New York sur lequel je ferais un CR dès que j'aurais le temps), c'est pour moi une autre démarche. Dans des régions où justement, la gastronomie a toujours été assez pauvre, de par la nature souvent hostile comme de par une culture peu encline à s'intéresser à ce sujet, ces restaurants essayent d'inventer une gastronomie nationale, à partir de produits jusqu'alors peu ou mal exploités. Ça me paraît très différent, et mêler les deux assez injustifié. On peut par ailleurs détester les deux, ou les aduler de la même manière.
3) Sur le thermomètre: les plus grands restaurants où les plus innovants ?
Le débat principal, c'est peut-être François qui le révèle. Il dit, je cite "ce qui est important, c'est que ça bouge !".
Ce classement est en effet, à mon sens, le classement des restaurants qui inventent, qui "bougent" comme il dit. Pas les meilleurs, mais ceux qui bougent le plus. C'est là ce qui fait que, sur ce forum, les opinions divergent (et comme disait l'autre, "diverge, c'est énorme"
).
Il y a dans ce classement le reflet de la mode, de ce qui est nouveau, pas, à mon sens, le reflet de ce qu'il y a de meilleur. Le renouveau scandinave me passionne par exemple, dans ce qu'il révèle des terroirs nordiques, dans ce qu'il nous apprend sur une nature encore mal connue. Mais soyons honnête, en pur terme de plaisir, ces restaurants n'arrivent pour moi pas toujours au niveau de repas dit plus traditionnels (et qui ne le sont pourtant pas du tout, mais j'y viens) dans d'autres grands restaurants, français ou italiens en particulier.
A mon sens, le problème numéro 1, c'est que le thermomètre porte un mauvais nom: il ne mesure pas la "grandeur" d'un restaurant, mais sa capacité à surprendre (nonobstant le fait que "surprenant" ne veut dire ni "bon", ni "grand" ).
Pourquoi la France, et les pays de tradition gastronomique en général, innoveraient-ils moins ?
Reste alors une question: pourquoi la France est-il plus bas dans ce classement de l'innovation? Serait-on, comme on veut bien le dire, simplement un gros tas de paresseux ? Qu'on me laisse plaider non coupable, et faire un parallèle un peu barbant.
A mon avis, nous rencontrons ici le même problème que lorsque l'on compare les taux de croissance des pays émergents et des pays "développés". Bien sûr que les PIB de l'Inde, du Brésil ou de la Chine peuvent croitre de 8,10, 15 ou 20% . Ils étaient loin de la "frontière technologique", et lorsqu'ils s'en rapprochent (c'est à dire qu'ils accèdent à des technologies utilisées jusque là ailleurs mais pas chez eux), ils ont mécaniquement un taux de croissance très élevé. Par contre, les pays dits développés, utilisant déjà leurs capacités quasiment au maximum depuis déjà pas mal de temps, ne peuvent croître qu'à un rythme beaucoup plus calme (1,2,3%).
Pour la gastronomie, c'est un peu la même chose: d'un côté, des pays émergents qui découvrent le potentiel de leur terroir, et qui vont du coup beaucoup inventer, car il reste beaucoup à faire. De l'autre côté, des pays de tradition, qui n'ont pas cessé d'inventer, et qui arrivent forcément au stade où trouver encore quelque chose de nouveau à faire est possible, mais plus difficile que quand on part de rien ou quasi, comme en Scandinavie, aux Etats-Unis, en Belgique, pays qui n'ont jamais fait rêver pour leur tradition culinaire...
Vu l'histoire que nous avons, je trouve donc réjouissant, et non déprimant, que nous ayons encore tant de restaurants dans le top 20 des restaurants les plus innovants de la planète...