Vos informations seraient franchement bien venues pour aider les pros qui lisent LPV et qui veulent continuer avec les levures indigènes, car nous sommes faces à des situations que nous n'avons jamais vu, que ce soit en 2005, 1990, etc...
Tout d'abord, je ne veux pas jouer au vieux sage qui distille la bonne parole. Je ne suis rien ou pas grand chose pour donner mon avis !
La question posée sur la « maîtrise" des fermentations avec levures indigènes est intéressante mais il n’existe pas de solution miracle.
Quand on a un cancer en phase terminale, il n’y a guère que les miracles qui sauver le patient. C’est un peu pareil avec les cuves arrêtées.
La vinification avec des levures indigènes ne se décrète pas, tout comme la vinification sans soufre, le non-collage, la non-filtration, le non-soutirage,…
C’est la vendange qui doit le permettre, donc c’est le vin qui décide. Comme c’est dans la vigne que les choses se passent, c’est la vigne qui décide si on peut le faire ou non.
Une cuve de rouge qui s’arrête avant la fin représente une catastrophe car il est difficile de ne pas écouler.
Il y a deux raisons à cela. La première c’est l’erreur dans le travail. En général, il s’agit d’un pic de température et la cuve s’arrête. Cela se voit sur la courbe de fermentation car il y a une pente avant le pic de température et une pente beaucoup moins forte après, voire même plus de pente du tout.
La deuxième, c’est le milieu « malsain ». Ce peut être effectivement une concentration très élevée en sucre, une teneur faible en azote (qui constitue la nourriture des levures), mais tout autre chose difficilement palpable.
Dans ce cas, en l’extrapolant, la courbe de densité nous indique si la fermentation a des chances d’aller au bout ou pas. Si, on pense que des problèmes sont à venir, il faut donc anticiper pour éviter que la fatalité ne s’exerce. Il faut donc essayer de comprendre ce qui se passe et pourquoi la cuve fermente mal.
Depuis que j’ai la charge de la vinification à Pontet-Canet (1999), je n’ai jamais acheté un gramme de levure. Pourtant, on vinifie en moyenne 40 cuves par an.
Ici, les fermentations lentes sont recherchées pour extraire les tanins dans la douceur. Le vignoble est peu vigoureux et donc les mouts sont carencés, ou très carencés en azote (teneur mini 2009 : 32 ml/l). Je fais systématiquement doser l’azote dans les mouts pour savoir de quoi on parle. Par contre, je n’en tiens pas forcément compte quand il s’agit d’ajouter ou non de l’azote.
Les puristes diront qu’il ne faut pas ajouter d’azote. C’est un peu le problème de ces gens là ; ils préfèrent s’auto-détruire plutôt que de déroger un peu à la règle la plus rigide qu’ils s’imposent. Parfois, sans apport d’azote, la fermentation ne peut pas se terminer. J’ai la responsabilité du vin mais cela veut dire aussi, des emprunts du domaine, des salaires des gens,…
Donc, depuis quelques années, quand il s’agit de prendre la décision d’ajouter ou non de l’azote, je regarde plus l’évolution de la courbe que l'analyse. L’an dernier, j’ai employé seulement 3 kg d’azote.
Cette année, ce sera un peu plus car les concentrations en sucre sont plus élevées et je compense cette difficulté en rendant la vie plus facile (ou moins difficile) aux levures.
En moyenne, chez nous une fermentation alcoolique "classique" dure 3 semaines. L’an dernier, c’était plutôt 2 semaines, mais en 2005 on était à 4 semaines. Cette année, ce sera pareil.
Donc, une fermentation dans ces conditions, c’est un peu comme prendre le volant d’une formule 1 sous la pluie avec des pneus lisses. Il faut du doigté, de la concentration, beaucoup de sérieux et d’attention. Sinon, c’est le mur et quand on est dans le mur, c’est fini.
Pour y parvenir, ou au moins essayer d’y parvenir, on suit des règles de vie strictes. On refuse les systèmes automatiques de contrôles des températures. Chaque cuve est thermo-régulée en chaud et froid, mais tout est contrôlé et mis en œuvre manuellement ; Aussi, il y a toujours quelqu’un sur les cuves pour prendre les températures, surveiller. On sent vivre la cuve. Les deux personnes qui surveillent les températures dans la journée (et la nuit) sont devenus des métronomes de la température. En remplissant les fiches, je suis parfois impressionné et fasciné par la précision qu’ils peuvent avoir.
Les températures, c’est mon premier travail du matin, à 6 h et cela me prend environ 1 heure. C’est long, rébarbatif et je pourrais déléguer à quelqu’un ; mais c’est le prix à payer pour vivre la vinification totalement.
Ensuite, je saisis les densités et les températures sur des feuilles en papier. J’ai un logiciel de gestion du chai mais on ne peut pas rentrer dans l’intimité de chaque cuve. Les courbes sont jolies, mais on ne les vit pas. On peut même saisir les chiffres sans regarder les courbes.
Avec une gestion papier, c’est différent. Lorsque je trace mon point sur la courbe, je me dis ou non qu’il est à « sa » place, c'est-à-dire à l’endroit qui veut dire que tout se passe bien. Si le point est erroné, il y a deux explications : erreur de mesure ou problème sur la cuve. J’évalue donc la situation avant de passer à la fiche suivante.
Lorsque j’ai fini, je revois toutes les fiches pour adapter la vinification et aussi pour revoir toutes les courbes avec un peu plus de distance, au cas où…
L’intensité du travail n’est pas énorme pour moi car le travail physique est fait par d’autres. C’est pour cela que j’ai du temps pour écrire dans LPV…
Mais je ne sors pas beaucoup à l’extérieur pour l’instant car je tiens à être dedans ; « dedans » la vinification et les fermentations et pas « dedans » le chai.
Lorsque la fermentation arrive à la fin, il faut changer d’appareil de mesure et prendre un « extracto-oenomètre ». C’est un densimètre très précis et gradué de 0.1 en 0.1 au lieu de 1 en 1. Ainsi, on peut suivre des évolutions de densité très lentes; quand on perd 1 point par jour, voire moins. Lorsque que la densité chute, c’est signe qu’il y a de la vie !
En fin de fermentation, on ne peut pas le voir avec un densimètre.
Les volatiles sont plus élevées en levures indigènes . Ce n’est pas grave car c’est pour la bonne cause ; cela vient du travail fait sur les cuves pour rendre le vin meilleur.
Ensuite, il faut être propre pendant l’élevage et il n’y a pas de problème. Par contre, une volatile qui monte pendant l’élevage, c’est le signe que les gens travaillent salement. Et là, ce n’est pas normal.
Notre vinification, c’est donc énormément d’énergie, d’efforts et de sacrifice familial mis au service de ce vin ; 7 jours sur 7 aussi longtemps que le vin le nécessite.
C’est un travail d’accompagnement des raisins pour les extractions et des levures pour les fermentations.
Et en plus, vous savez quoi ? Tout cela ne sert pas à grand-chose car la qualité, la vraie qualité qui fait passer un vin au niveau de Grand Vin, elle vient du vignoble et elle est arrivée dans les chais avec le raisin !
Pour 2009, mis à part les fermentations qui sont lentes, les extractions se sont faites seules ou presque et le résultat semble être impressionnant…