Dès l’annonce d’un grand millésime en Languedoc pour 2013 (maturation des raisins bonne, très longue et donc douce), j’ai préparé cette dégustation, et ce n’est pas moins de 25 cuvées différentes dont je disposais en cave…
La plupart des dégustateurs ayant beaucoup de route à faire pour rentrer chez eux ensuite, je me suis forcément limité et j’ai fait une sélection … d’étiquettes.
Restait à savoir si les étiquettes seraient à la hauteur et si 2013 est vraiment un grand millésime en Languedoc ou si s’il a été annoncé comme tel car ailleurs en France ce n’était pas vraiment le pied…
Au programme, deux blancs et dix rouges, tous servis par paires, et un sucre pour terminer en douceur.
L’ordre de dégustation a été choisi en allant du plus léger au plus corsé, en tout cas d’après les commentaires dénichés sur un site intéressant, notamment pour ce genre d’information : lapassionduvin.com.
Le choix a été fait ensemble d’une dégustation à l’aveugle jusqu’au bout, plutôt que de dévoiler les étiquettes après chaque paire, permettant ainsi un classement complètement objectif.
Rillettes de daurade : chouette !
Domaine de Montcalmès – Coteaux du Languedoc – Blanc – 2013
Il s’agit d’un assemblage à parité entre marsanne et roussanne, avec élevage en fûts et demi-muids d’un ou deux vins.
La bouteille a été épaulée pendant deux heures puis carafée pendant une bonne heure supplémentaire.
La robe se présente sous un vieil or, pas très concentré.
Le nez, assez intense au départ mais sans plus, nécessite un peu d’aération pour bien s’exprimer sur des fruits secs et des accents tourbés, dénotant ainsi une pointe d’évolution, mais aussi sur un cocktail de fruits blancs et jaunes, montrant que le vin n’a pas dépassé son apogée.
C’est l’équilibre que l’on retient quand on passe le liquide en bouche, avec la même aromatique en rétro-olfaction mais teintée en plus d’une touche de caramel gourmande, une belle fraîcheur et une grande ampleur. La très longue finale montre toute sa classe par une salinité de grande finesse.
Très Bien ++ / Excellent
Domaine des Aurelles – Coteaux du Languedoc – Aurel – Blanc - 2013
C’est une cuvée de monocépage roussanne élevée pour partie en fûts et pour partie en cuves.
La bouteille a été épaulée pendant deux heures puis carafée pendant une bonne heure supplémentaire.
La robe arbore un or moyen.
Très intense et foisonnant, le nez affiche un fruité éclatant aux inclinations exotiques, complété par des fleurs lourdes et une pointe végétale rafraichissante.
La bouche est dotée d’une belle carrure avec pas mal de gras, mais un gras musclé, du genre première ligne. Sa richesse est étonnante, aussi bien en termes d’aromatique (caramel présent mais également quelques fins amers) que de densité. Une belle acidité permet de la recentrer mais c'est sur sa puissance que l’allonge se construit.
Très Bien ++
Un petit sondage permet de dire que Montcalmès l’emporte nettement par 8 à 1, les pdf n’ayant pas hésité alors que les deux styles me conviennent (d'après mes notes vous aurez compris que j'ai quand même voté pour Montcalmès)
Terrine de canard et de foie de volaille à l’orange confite : très goûteux !
Domaine La Terrasse d’Elise – Terrasses du Larzac – Elise – 2013
Il s’agit de la seule cuvée d’assemblage du domaine, peu commentée sur LPV, à base de syrah et de mourvèdre, avec élevage pendant deux ans en barriques neuves.
La bouteille a été épaulée pendant deux heures et demie puis carafée pendant une heure supplémentaire.
La robe assez sombre n’est ni jeune ni évoluée.
Une légère acidité volatile met en valeur un nez très intense et appétant, composé d’épices et de fruits noirs mûrs mais pas surmûris, complétés par des arômes qui vont picorer dans la gamme florale.
La bouche est immédiate, exprimant un beau fruité tout en gardant un profil droit (mais pas du tout raide). Aucune aspérité ne trouble son déroulé tranquille jusqu’à une finale paisible.
Très Bien ++
Le surlendemain, le reste de la bouteille s’est écroulé, l’acidité s’étant beaucoup développée, au nez comme en bouche.
Mas Jullien – Terrasses du Larzac – Autour de Jonquières – 2013
C’est un assemblage associant 40 % de mourvèdre, 40 % de carignan et 20 % de syrah, avec élevage en foudres pendant deux ans.
La bouteille a été épaulée pendant deux heures puis carafée pendant une heure et demie supplémentaire.
La robe est sombre et montre encore des reflets violets de jeunesse.
Intense, mais moins qu’Elise, le nez se révèle également moins appétant avec certes des fruits bien noirs mais aussi un côté sanguin et du végétal noble.
L’aromatique est encore un peu plus sérieuse voire sévère en bouche avec des touches animales et de la garrigue, cette caractéristique étant peut-être renforcée par une matière très serrée, aux tanins denses mais polis. Une belle tension lui procure élan et allonge. Associée à une chair irréprochable, elle permet de se rassurer sur son avenir, mais il faudra je pense attendre au moins cinq ans.
Très Bien (+) en l’état.
Sans trop de surprise, le vin passe beaucoup mieux sur la terrine : il se civilise et réussit même un meilleur accord qu’Elise.
Champignons farcis à l’italienne (jambon cru, olives, tomates séchées, mozzarella) : une vraie tuerie !
Mas Champart – Saint-Chinian – Clos de la Simonette – 2013
Un assemblage de 65 % de mourvèdre, 20 % de grenache et 15 % de carignan, avec élevage en demi-muids, sauf pour le carignan élevé en cuves.
La bouteille a été épaulée pendant une heure et demie puis carafée pendant deux heures et demie supplémentaires.
La robe est bien sombre et plutôt jeune, en tout cas sans trace notable d’évolution.
Bien expressif, le nez évoque le cuir noble, en s’appuyant sur une base de fruits noirs aux accents gourmands.
La bouche présente une belle harmonie, sans caractère exacerbé : la vivacité apporte de l’éclat au fruité de la matière, elle-même encadrée par des tanins taquins. L’allonge est très intéressante en durée, mais aussi par son compromis entre race et gourmandise.
Très Bien ++
Le surlendemain, le reste de la bouteille s’est très bien tenu, conservant beaucoup de fond.
Domaine Léon Barral – Faugères – Valinière – 2013
Un assemblage qui privilégie le mourvèdre (85%), avec le complément en syrah, élevage de trois ans en vieux fûts.
La bouteille a été épaulée pendant une heure et demie puis carafée pendant deux heures et demie supplémentaires.
La robe est sombre et laisse percevoir encore quelques reflets de jeunesse sur le pourtour du disque.
Le nez s’avère puissant, une très grande intensité exacerbée par une forte volatile que le carafage n’a pas atténuée. Les senteurs sont marquées par le gibier et des fruits noirs assez stricts, teintés d’olive noire.
La bouche est dans la même veine, marquée par une grosse acidité. Dommage car il y a également une grande matière, pourvue d’extraits secs en abondance. Un manteau de tanins demande à s’affiner, d’autant qu’ils assèchent un peu la finale qui, par ailleurs, s’allonge remarquablement. Je salue certaines composantes de ce vin mais le plaisir n’est pour moi pas au rendez-vous.
Bien ++ mais c’est le vin le plus clivant de la série : certains ont beaucoup apprécié sa finesse, ce que j’ai considéré moi comme une très forte acidité.
Il faut dire que, sur le plat, les excès du vin en tranchant et en astringence sont fortement gommés.
Mijoté d’agneau au vin rouge et aux épices (cannelle bien présente) : miam !
Ce mijoté, servi en deux fois, accompagnera les quatre vins suivants.
Domaine de la Grange des Pères – Pays de l’Hérault – 2013
Un assemblage de syrah, mourvèdre et cabernet sauvignon, élevé en barriques dont un tiers de neuves.
La bouteille a été épaulée pendant deux heures puis carafée pendant deux heures et demie supplémentaires.
La robe sombre dévoile un léger tuilé sur la frange.
Très intense et flatteur, le nez exhale un fruité somptueux, de l’olive noire, une touche balsamique et une autre vanillée.
La bouche est magnifique : tous les curseurs sont hauts mais pas trop, que ce soit en ampleur, en concentration, en acidité et en aromatique ; seul ce dernier critère est un peu en dessous des meilleurs millésimes que j’ai bus, 2010, 2012 et le merveilleux 2005. Les tanins sont parfaitement fondus dans la belle matière et la persistance est somptueuse, toute en raffinement.
Excellent
Le surlendemain, le vin a peu évolué, prenant peut-être un profil plus en finesse.
Clos Marie – Pic Saint-Loup – Les Glorieuses – 2013
Un assemblage à égalité entre grenache et syrah.
La bouteille a été épaulée pendant deux heures puis carafée pendant deux heures et demie supplémentaires.
La robe est bien sombre et encore assez jeune.
D’une belle intensité, assorti d’une pointe de volatile, le nez propose des fruits noirs mûrs, des notes de suie et de belles épices.
La bouche est indéniablement racée, de grande droiture, mais sans aucune trace d’austérité. Le toucher présente une formidable densité grâce à des tanins puissants, classieux et polissés. La belle allonge, favorisée par une acidité bien calibrée, révèle le graphite.
Excellent
Le vin réussit un superbe mariage avec le plat, qui le civilise et met en valeur son caractère épicé.
Ermitage du Pic Saint-Loup – Guilhem Gaucelm – 2013
Également un assemblage à parité entre grenache et syrah, élevage d’un minimum de 24 mois en
fûts de chêne foudres.
La bouteille a été épaulée pendant trois heures puis carafée pendant deux heures supplémentaires.
La robe se situe entre deux âges, celui de l’adolescence et celui de la maturité.
Le nez, expressif et irrésistible, prend des accents reynaudiens avec son fruité plutôt rouge, contrairement aux autres vins de la série, ses tonalités d’orange sanguine et sa grande pureté.
La bouche affiche une structure pleine, conjugue une acidité mûre et structurante avec une aromatique toute aussi voluptueuse et des tanins patinés et classieux. La finale n’est pas en reste et invite à la gorgée suivante.
Excellent (+)
Le surlendemain, le reste de la bouteille n’a quasiment pas bougé !
Domaine de Montcalmès – Terrasses du Larzac – 2013
Assemblage de 60 % de syrah, 20 % de grenache et autant de mourvèdre, avec un élevage de 24 mois en fûts d’un et deux vins.
La bouteille a été épaulée pendant trois heures puis carafée pendant deux heures supplémentaires.
Je n’ai rien noté sur la robe.
Bien intense, le nez livre une aromatique d’un grand classicisme, mêlant de beaux fruits noirs, des épices et une pincée d’herbes aromatiques de la garrigue.
La bouche fait preuve d’une grande concentration, se montre chaleureuse tout en gardant suffisamment d’équilibre. Les tanins soyeux l’enrobent et la conduisent vers une finale de bonne facture qui s’allonge sans s’étirer, passant plutôt en force mais sans lourdeur.
Très Bien ++ car la matière est somptueuse et le plaisir très grand, mais pour la première fois dans la série j’aurais apprécié un peu plus de peps.
Edit : trois jours après, le vin est somptueux et a gagné en acidité !?
Pour accompagner les fromages (gruyère suisse 12 mois, comté 18 mois et vieil Etorki, tous très bons mais les vins proposés n’étaient pas à la fête en raison de leur caractère chaleureux et de leur aromatique riche) :
Mas Cal Demoura – Terrasses du Larzac – Feu Sacré – 2013
De très vieilles vignes de grenache (70 %), associées à du carignan et de la syrah.
La bouteille a été épaulée pendant trois heures et demie puis carafée pendant une heure supplémentaire.
La robe est assez sombre et ne fait pas ses dix printemps par ses reflets encore violine sur le cordon extérieur du disque.
Le nez développe avec générosité et charme des arômes enjôleurs de prune bien mûre, presque du pruneau, aux accents chocolatés.
La bouche est dans la continuité, étoffée et séduisante, corsée et d’une texture très serrée. L’acidité émerge avec bonheur dans la finale plus effilée.
Très Bien
Domaine des Aurelles – Languedoc Pézenas – Aurel – 2013
On retrouve les 85 % de mourvèdre de Valinière mais cette fois-ci complétés par du grenache, l’élevage ayant lieu en cuves pendant 48 mois (!).
La bouteille a été épaulée pendant trois heures et demie puis carafée pendant une heure supplémentaire.
La robe sombre ne montre pas vraiment de trace d’évolution.
Moyennement intense, le nez affiche un fruité sombre, égayé par quelques notes chocolatées.
La bouche est très gourmande, avec même une sensation sucrée très nette, extravertie et capiteuse. L’acidité est un peu insuffisante pour recadrer cette opulence mais je peux comprendre que ce vin puisse plaire à certains palais.
Bien ++ / Très Bien
Et pour finir, un sucre en after, pour accompagner un gâteau du genre Reine de Saba, mais recette de famille.
Domaine Semper – Maury – Viatge – 2019
La bouteille a été épaulée pendant plus de cinq heures (ouverte avec les autres rouges pour vérifier l’absence de problème) puis carafée juste avant service.
La robe bien sombre montre fièrement de beaux reflets violets de jeunesse.
Le nez très intense est l’archétype d’un VDN de grenache vintage, avec ses arômes de mûre et de cassis bien mûrs, ainsi que de cacao.
La bouche, d’un équilibre souverain, est gainée par une remarquable acidité, enrobé d’un sucre discret et parfaitement dosé, bâtie sur une matière au fruité addictif et élégant sur la durée.
Très Bien + et très bon accord avec le gâteau au chocolat, même si une touche de framboise en plus aurait sublimé le mariage.
Alors, quel verdict ?
C’était en tout cas amusant et intéressant d’écouter les avis au jeu des devinettes du type « C’est quoi ça ? ».
Toutes les cuvées ont été citées, souvent pas à leur place
, parfois si.
Florent et Vivien se sont distingués, notamment en étant sûrs d’eux et sans se tromper, sur le Clos Marie pour le premier et sur Guilhem Gaucelm pour le deuxième.
Edit : Florian avait aussi annoncé Montcalmès pour le premier blanc.
Ce qui nous a tous étonnés est la grande fraîcheur de ces vins du Sud dans un millésime pour le moins pas froid, en tout cas pour les sept premiers rouges sur dix.
Je pense que c’est donc un très bon millésime, sans atteindre le niveau du 2007, voire du 2010, ou encore du 1998 (mais en 1998 il n’y avait pas autant de bons domaines !).
Et le classement ?
Guilhem Gaucelm remporte la palme haut la main, cité huit fois premier et une fois troisième.
Puis La Grange des Pères (cinq fois deuxième et deux fois troisième) et Les Glorieuses du Clos Marie (trois fois deuxième et trois fois troisième) sont dans un mouchoir de poche.
Ont également été cités Valinière (trois fois troisième), Feu Sacré de Mas Cal Demoura (une fois premier) et Montcalmès (une fois deuxième).
On déguste quand les autres cuvées ?
Jean-Loup