Quelques heures à Savennières pour chercher mes Enclos 2002 d'Eric Morgat.
Arrivé en avance, Eric m'invite à discuter ensemble et me montre sa photo dans le spécial vins du Point qui vient tout juste de sortir. Il me parle de ses recherches, n'aimant pas le côté "ésotérique" de la biodynamie, mais préférant une approche en terme d' "énergie vibratoire"... concept proche de la physique quantique, mais assez obscur encore. Il n'a pas encore les moyens (financiers, de structure aussi, car seulement 4 ha) de mesurer l'impact réel des produits qu'il achète en Allemagne, par des tests sur des vignes témoins. Car, après tout, les sols sont travaillés, cultivés dans la mouvance bio (sans pour autant s'interdire des remèdes forts, s'il fallait sauver la récolte). Pas facile de connaître l'impact réel des produits apportés à la vigne... Son approche est assez pragmatique, somme toute.
Puis, nous évoquons la malo et l'élevage long en fût sur Savennières. Je n'arrête pas de comparer la situation avec Vouvray, où tant de grands vins sont conçus sans malo et avec un élevage court : ce que fait Eric est une véritable hérésie pour Foreau, par exemple.
Mais à Savennières, le chenin est sur une roche-mère constituée de schistes, d'où des stress hydriques que ne connaît pas son homologue vouvrillon, grâce aux argiles. En conséquence, les schistes engendrent un blocage de maturité récurrent, surtout au niveau des peaux et des pépins, à l'origine - au moins en partie - de l'amertume caractéristique des Savennières, voire d'une impression tannique en finale.
Il faut aussi noter le caractère capricieux, "sauvage" du chenin, qui ne mûrit pas de façon homogène sur une même grappe, donc les récoltes se font forcément par tries, avec parfois de superbes raisins dorés en septembres, alors que les derniers sont ramassés fin octobre, si et seulement ils sont atteints de pourriture noble. D'ailleurs, seul le botrytis réussit à percer la peau épaisse du chenin, ce qui en diminue l'amertume, parfois âpre. Ainsi, nombre de Savennières secs ont une proportion plus ou moins importante de raisins atteints de pourriture noble (allant de 10% à 70 % !).
L'acidité consitutive du chenin associée à la forte amertume engendre des Savennières (à l'ancienne dirons-nous...) très austères en jeunesse, avec une phase de fruit courte et une phase de fermeture pouvant être longue. La nouvelle génération de vignerons à Savennières essaient de domestiquer ces terroirs et cette austérité, par un élevage assez long et des malo partielles ou totales (chez Pierre Soulez en particulier).
Autant ce type de vinification et d'élevage ne me convainc pas en Touraine (où l'acide malique constitue un support de fraîcheur, de finesse et de longueur), autant je suis reparti de Savennières en étant convaincu qu'ils sont sur la bonne voie, en essayant de mieux maîtriser cette amertume et d'offrir des vins ne connaissant pas de longues périodes d'austérité.
Car si les Vouvray me donnent l'impression de droiture, de profondeur, bref de verticalité, les Savennières (toutefois moins que certains Anjou secs, pouvant se révéler un peu trop lourds) confèrent une sensation de largeur, d'opulence, de puissance. Si les Savennières peuvent être de si grands vins, c'est que la "minéralité", associée à l'amertume, étirent le vin au vieillissement, apportant la longueur et la fraîcheur qu'ils ne possèdent pas toujours en jeunesse.
Donc, Eric Morgat fut un des premiers à introduire un élevage long (18 mois) en partie en fûts neufs, avec des malos totales puis partielles (elles s'enclenchent d'elles-même)
Passons en cave où Eric me fait goûter un assemblage de ses 2003 pris à la cuve : tous ses vins ont été placés en cuve pour l'été seulement, cette période étant critique, risquant de trop boiser une matière pas forcément capable de supporter un élevage ambitieux. La FA fut très rapide, à cause de la chaleur.
Assemblage 2003 : joli nez, sur les fruits blancs&jaunes et les fleurs. Matière assez fraîche et bel équilibre, mais peu concentrée. Le millésime fut difficile sur le domaine, tant le stress fut important sur les schistes. A boire jeune vraissemblablement.
Lot à 80 g/L de sr (qu'il vinifie séparément) : joli moelleux (enfin je devrais dire doux !), beaucoup de fraîcheur. Par contre le vin est reparti en FA (malo totale selon analyse), d'où pas mal de CO_2 mais qui ne gêne pas beaucoup la dégustation, car la FA est lente. Eric tient à assembler ce lot au reste, je serais plutôt partisan d'une cuvée spéciale, "à la Soulez".
Pour illustrer ces propos lors de notre discution sous sa tonnelle, il m'ouvre un Enclos 1995 : selon lui, ce vin (son premier !) s'est depuis quelque temps refermé. Eric n'aime pas les vins austères, même (et surtout...) à Savennières !
Pourtant, le nez est épanoui, avec une note de gelée de coing savoureuse, puis des notes de miel, de fleurs... jolie fraîcheur en bouche, belle longueur aussi, moi j'aime beaucoup !
J'espère qu'Eric voudra bien nous en parler ici-même, car il devait le goûter le soir même. J'aimerais bien avoir ses sentiments sur ce vin.
Puis direction les vignes, où il me montre la parcelle qu'il a faite défricher, planter (portes-greffe riparia gloire, si ma mémoire est bonne) : superbe coteau exposé est-sud-est, au bord de la Loire, d'où l'on ressent de frais embruns. Sols constitués en partie d'argiles (très rares sur Savennières !), de galets (?) et évidemment aussi de schistes très friables, que la vigne peut pénétrer aisément.
Mais attendons que les portes-greffe poussent, qu'il greffe les plants de chenin (je n'ai pas pensé si ce sera en massale ou non, je pense que oui) : premiers raisins en 2008 et bouteilles en 2010 vraissemblablement. J'ai hâte de pouvoir y goûter !
J'en profite pour le remercier de son accueil toujours aussi attentif. C'est passionnant de suivre les progrès, les doutes d'un jeune vigneron comme Eric. Qui plus est, il sait parfaitement transmettre sa passion. Bravo et bon courage pour la vendange 2004 !
Mais je n'allais pas quitter ce beau village sans aller au château du maestro Joly. Impressionnante Coulée, superbe parc. Bon, quand on voit l'état des vignes, on peut se demander si elles sont bien entretenues (surtout comparées à d'autres grands domaines ligériens en bio-d comme Huet ou Chidaine...), mais je ne suis pas compétent en la matière, alors je me dis que c'est peut-être normal, voire recherché ? Enfin, ce lieu est superbe, c'est le plus important !
Je passe sur l'accueil (enfin, le non-accueil, ça tranche par rapport à Eric...) : Savennières 02 étonnament évolué, mais agréable, et séduisant en l'état. Pas trop la peine de le garder, il se boit déjà bien.
Il n'y a plus de Clos de la Bergerie 02 en vente, mais désormais le 2003 est proposé : la personne à l' "accueil" a beau me dire que 2003 est un très grand millésime, ce vin ne me convainc pas, j'ai préféré le 2001 la première fois que je suis venu au domaine.
Coulée de Serrant 2002 : belle fraîcheur, assez austère, il m'a semblé. Mais pas la grande émotion pour le moment.
voilà , 10 minutes top chrono... et surtout, je crois que dans ce domaine, ils n'ont pas compris ce que douceur angevine signifiait... il y règne une "vibration" (si j'ose me permettre), enfin une atmosphère que je trouve détestable ... Ce ne sont pas les passionnés qu'on accueille ici-bas, ce sont les carnets de chèque !!!
Pour me remettre de cette non-émotion, je file chez Pierre Soulez, qui me reçoit en personne. On voit qu'il a l'habitude de commander et ne s'en laisse pas compter (surtout avec les journalistes...), mais en toute cordialité. Contrairement à ce que je pensais (après avoir lu le B&D), les 2002 sont en bouteille, mais pas encore disponibles à la vente (8 mois de repos...). Sortie pas avant début 2005.
Seuls les 2001 sont en dégustation :
Savennières Bizolière : bien fait, mais ne m'intéresse pas particulièrement. A laisser vieillir, comme son aîné 99 très en verve actuellement.
Savennières Roche aux Moines ch. de Chamboureau : robe soutenue, dorée, comme tous les 01 du domaine (forte proportion de botrytis). Joli vin, bien équilibré, à la noble amertume ; bel avenir.
Savennières Clos du Papillon : on passe dans la catégorie moelleux (40 g/L). Nez complexe, séducteur, marqué par un certain rôti. C'est le vin que j'ai le moins aimé, car une note oxydative apparaissait en finale et la longueur était un peu décevante, lui enlevant beaucoup de race. Mais, la bouteille était peut-être ouverte depuis un long moment, car le nez comme la première impression en bouche était très positive. A revoir.
Savennières RaM doux Chevalier de Buhard (50 cL) : superbe liquoreux (euh...doux), issu de raisins atteints de pourriture noble, riche mais doté d'une agréable fraîcheur portée par les amers nobles. Vraiment une très jolie bouteille à encaver !
Je suis reparti définitivement amoureux des Savennières, avec l'espoir de revenir bientôt et surtout d'y passer plus de temps qu'une après-midi et de pouvoir prendre en photo les magnifiques coteaux.
Message edité (04-09-2004 11:50)