Bertrand, vous m'avez fait rire, et ça, c'est précieux.
C'est un rire auquel je donnerais 93/100 ou 16,8/20, les deux n'étant pas antinomiques dans mon acception de ces notations.
S'obstiner à voir Loup en moi ne peut être justifié que par l'expression : "l'homme est un loup pour l'homme".
Je suis bien d'accord avec beaucoup de remarques qui sont faites, et je ne cherche pas la polémique dans une discussion qui est particulièrement affable.
Il y a quelques sujets qui me chagrinent :
- quand, aux USA, on fait de la débauche de grands vins, alors que le dixième des vins ouverts ferait déjà un événement rare. Dire : "je n'en peux plus", quand s'ouvre Cheval Blanc 1947, je trouve cela un gâchis pas possible. Lire ce que je lis : "arrive alors Yquem 1921, mais je ne m'en souviens plus, parce que je n'en pouvais plus", ça me rend malade.
- quand on boit les vins trop jeunes, avec pour excuse : j'essaie de vérifier comment il évolue. Et quand il est bien à son niveau, à la bonne date, on s'aperçoit qu'on n'a plus qu'une seule bouteille.
- quand des vins sont seulement bus en compétition. Il y a quand même des moments où il faut boire un vin pour lui-même et pas toujours en compétition. Les horizontales ou verticales oui de temps en temps. Mais il y a des gens qui n'ont bu certains vins que dans des séances de ce type. Et c'est très dommage.
- quand une dégustation à l'aveugle fait qu'on passe à côté d'un grand vin.
- quand la démarche cognitive prend le pas sur la démarche hédoniste
- quand certains se prennent pour des juges alors qu'ils sont des amateurs.
En ce qui me concerne, j'ai si peu de confiance en mon palais que je me méfie des dégustations à l'aveugle, car j'aurais peur de passer à côté d'une splendeur sur laquelle j'aurais fait un effroyable contresens.
Le pire exemple que j'ai vu est lors d'un dîner où un ami avait ouvert Mouton 1870. Dans ce cas, on boit la rareté plus que la qualité, car si on vous met dans les mains un incunable du 16ème siècle, le livre se respecte, même si "à l'aveugle", on dirait qu'il n'est franchement pas pratique dans les mains.
Ce Mouton 1870 était franchement grand. Et un ami à l'aveugle (ami qui a tendance à fusiller avant de goûter, ça existe) a commencé à dire : "on voit nettement que c'est un petit vin".
J'aurais tellement peur de ces contresens que je ne désire pas la dégustation à l'aveugle. Car dans ces cas extrêmes, il ne faut pas juger trop vite.
Il faut comprendre que pour les vins anciens, il y a de telles variations d'une bouteille à l'autre, qui dépasse les variations de classement, que je n'ai pas à me poser la question de la hiérarchie des vins dans le même contexte.
Je viens de recevoir ce matin la bouteille de Lafite 1865 qu'un ami américain va partager avec moi, quand j'ouvrirai (entre autres) Pétrus 1947 et le Chateau Chalon 1864 dont j'ai parlé dans la section Jura de LPV.
Il est bien certain qu'à ce moment là, on se fiche de la pertinence de nos jugements : on a envie d'en profiter au maximum.
Quand j'ai bu Pétrus 1915, qui objectivement n'entrera pas dans mon Panthéon, ce qui compte, c'est la rareté de l'instant. Mais si le vin ne m'a pas fait grimper aux arbres, alors qu'un Sauternes de 1926 inconnu au bataillon m'a ému, je dis que j'ai été ému par le Sauternes largement plus que par le Pétrus 1915 pourtant largement plus rare et plus cher.
Donc on va aborder ces vins totalement religieusement parce qu'ils sont incroyablement rares. Mais on ne va pas se mettre à dire qu'un vin est grand s'il n'est pas suffisant. Mais au moins, oui, et je rejoins là le jugement de Luc non pas pour le prix mais pour la rareté, on va faire un maximum d'efforts pour essayer de les apprécier, beaucoup plus d'efforts que si c'est un Brouilly 2004. Même si le Brouilly 2004 peut être passionnant.
Là où je rejoins Loup, et je l'ai d'ailleurs dit, c'est que chacun fait ce qu'il veut, selon sa sensibilité. Mais la jouissance d'un vin prendra toujours le pas, pour moi, sur son jugement.
Donc je ne cherche pas de polémique là où il n'y a pas lieu d'en faire, je recommande seulement à certains amateurs : restez plus amateurs que censeurs. Doublonner les professionnels ne sert pas à grand chose.
Boire un vin en sachant ce que c'est (petit ou grand) accroit mon plaisir.
Un exemple : j'adore les Ménetou-Salon quand ils sont sincères. Je peux en boire à l'aveugle, car je pense que je les reconnais. Mais quand je sais, je m'installe tout de suite dans la jouissance de ces vins fiers et nobles comme la terre quand elle est bien travaillée.