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Une visite privilégiée à Pontet-Canet
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Une visite faite sans mes comparses habituels pour une fois et sans calepin. Mais elle fut tellement prégnante que son souvenir reste vif dans ma mémoire. Ma petite famille et moi arrivons au château. Nous avançons dans l’allée bordée d’arbres jusqu’à la cour adjacente au bâtiment d’accueil. Une dame se renseigne sur notre rendez-vous et Jean-Michel COMME nous rejoint rapidement. Nous commençons la visite devant le perron du château, face à la splendide vigne.
une petite photo panoramique pour tenter de restituer la vue du paysage
J’avais préalablement affiché dans ma demande de visite mon actuelle région de prédilection. Jean-Michel - je me permettrai d’utiliser ses initiales pour le nommer par la suite, JM – n’a pas manqué de me poser la question en presqu’introduction:
- Vous n’aimez que la Bourgogne en ce moment ?
- Oui. Les Bordeaux que j’apprécie sont âgés, 20-30 ans en général.
- Ah, effectivement.
JM commence par nous raconter l’histoire du domaine. La provenance du nom du château est conforme à la pratique du temps : l’adjonction du patronyme des propriétaires et la dénomination du lieu-dit. Il nous explique également l’évolution architecturale de la bâtisse principale où l’on distingue effectivement la partie originelle de celle édifiée une vingtaine d’année plus tard avec l’essor Bordelais, au XVIIIème.
[size=x-large]Les chevaux et leur attelage[/size]
Nous voyons rapidement au milieu de l’exploitation le bal des chevaux et des attelages conçus sur mesure. 5 à 7 chevaux s’occupent de traiter 40% de la surface du domaine. L’objectif à terme est bien entendu d’en couvrir l’intégralité. JM coupe son explication, à l’affût du moindre détail, il observe des lumières clignotantes au loin : « il doit y avoir un faux contact. Il faudra réparer cela ».
Pour revenir à l’attelage, les chariots ont été conçus dans un souci d’efficacité et de confort pour tous: le cheval, la terre et l’homme. Ils sont relativement légers pour être tractés dans de bonnes conditions. Ils tassent considérablement moins le sol (il me faudra retrouver les pressions évoquées). Et le cavalier/employé viticole peut s’y asseoir. JM ne souhaitait pas en effet un appareil où l’homme aurait été derrière. La sécurité aurait été moindre, la visibilité réduite et la vitesse de travail en retrait.
La présence d’un moteur thermique pour la pompe qui épand les traitements biodynamiques pourrait surprendre ce qui rêvent d’une émission zéro. J'y trouve néanmoins une parfaite illustration des réflexions qu’a dû mener le géniteur de ces engins. Bien entendu il a pensé à installer un moteur électrique. Les kilos des batteries qui eurent été nécessaires auraient néanmoins compromis la densité au sol recherchée.
J’ai ainsi pu commencer à mieux appréhender la philosophie viticole souhaitée par JM. La lecture de ses récits ici est déjà un privilège; les voir in situ en est un plus grand. Aucune course à l’image marketing : pas de charrette à l’ancienne, ni de charrette du 22ème siècle. Juste celle qui vise à conserver la respiration des sols avec des moyens contemporains. Et en voici la diminution de l'impact
Cet état d’esprit est semblable sur de nombreux sujets au domaine. Il suffit de conserver en mémoire la finalité, et les décisions pour y parvenir prennent tout leur sens.
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« Et une vigne en biodynamie, à quoi cela ressemble-t-il ? »
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Nous ouvrons l’un des portillons blancs et nous nous dirigeons entre les rangs pour observer les fruits:
Pas de doute, le traitement est bien soufré, ma fille s’exclame « ça ne sent pas très bon ».
Visuellement, ce qui est homogène de loin devient de près une diversité de hauteurs, de vigueurs et de densités végétales. Il est alors essentiel d’adapter l’attention portée à chaque pied. Le concept a déjà été évoqué dans les précédents compte-rendus de visites, la place du plant en tant qu’individu est au cœur des efforts. Par exemple, la quantité de compost variera ainsi selon son aspect frêle ou fort.
[size=x-large]L’importance du bourgeon terminal[/size]
Pour les plants les plus avancés en terme de croissance, j’observe que les branches peuvent être pontées, comme lorsque des danseurs classiques forment un cercle en joignant leurs deux mains au-dessus de leur tête.
JM nous narre alors l’importance du bourgeon terminal. Il ne faut surtout pas le couper. Cela évite l’apparition d’entrecoeurs. La conséquence immédiate est que les opérations d’effeuillage et de vendange en vert ont ainsi pu disparaître. Les grappes voient le soleil sans intervention. JM dit d’ailleurs de ces dernières techniques que l’homme a créé ses propres contraintes. Couper les feuilles et réduire le nombre de raisins permettent certes à la grappe de concentrer davantage de jus mais d'autres feuilles réapparaissent. Supprimer le bourgeon terminal bloque la végétation dans sa phase d’adolescence et de pousse de la feuille. Elle a au contraire besoin de passer à l’âge adulte avec le dépérissement naturel de cette extrémité et pouvoir ainsi s’occuper de ses fruits. Ce cycle de vie est semblable à celui de l’homme. Il y a un temps pour tout. Je lui demande alors s’il a appris à désapprendre. Il acquiesce tout en reformant un pont qu’il a vu dénoué. Décidément, rien ne lui échappe.
Nous passons devant une partie où l’œil néophyte ne distingue rien de particulier. JM nous dit alors « Un bon pied est un pied où l’on voit naturellement les grappes. Cela suscite chez moi une certaine émotion ».
Nous voyons effectivement des grappes vertes aérées et en pleine forme. Je comprends que c’est la réussite de l’ensemble de ses choix pour y parvenir qui lui doivent lui faire plaisir.
Un poteau en tête de rangée est déterré, il tâche de le remettre d’aplomb, sans succès. Je ne doute pas que ce fut fait avant la fin de la journée.
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Le grand ou le très bon
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Nous marchons vers les chais et y pénétrons. Nous sommes au centre de la salle où sont entreposés les foudres qui reçoivent les raisins après la récolte et regardons brièvement le cuvier.
Je profite du moment pour retourner à JM sa question d'introduction. Il sait se contenter de tout vin mais lorsqu’il s’agit d’évoquer sa préférence « Ah, c’est très difficile ». « Mon épouse et moi avons eu la chance de rendre visite à Lalou Bize Leroy. En dégustant ses vins, j’ai été submergé d’émotion. (…) On trouve maintenant beaucoup de très bons vins. Des grands en revanche, il y en a peu. C’est là que l’on peut mesurer l’écart qui existe». Lucide et honnête, il indique notamment que le terroir de Champs de Treille est un bon terroir mais il ne fera jamais de grands vins. Il ne dit rien de l'endroit qu'il régit mais on devine que celui-ci serait plus propice.
[size=x-large]Pontet Canet 2013[/size]
Nous montons à l’étage, une demi-bouteille du millésime 2013 nous attend.
- Il faut attendre en général non ?
- Vous allez voir, pas celui-là.
La robe est très dense. Le nez encore sur la retenue. L’aération. En bouche, les fruits ne sont pas encore très expressifs. L’élevage sans excès et les tannins occupent le pourtour et donnent le volume. Au centre de la langue, je goûte des notes graphites, du grain de café non torréfié, mais surtout une finesse incroyable pour un Pauillac de cet âge. C’est fluide et la dimension verticale est largement occupée. Je fais part de mon étonnement. JM rebondit « Certains l’ont qualifié de bourguignon » (Eric B c’est toi ?
). Et je confirme qu'il ne sera pas nécessaire d'être aussi patient que d'accoutumée
C’est décidé, je vais guetter la sortie du millésime.
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Le terroir de Pontet Canet
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JM considère prend ce que la vigne lui donne, cela inclut les éventuelles variations d’une année à l’autre. Il pense avoir cependant constaté des cycles de 3 ans : 2007 / 2008 / 2009 ; 2010 / 2011 / 2012. Et 2013 en débute peut être un nouveau. La trajectoire prise par ce dernier n’est pas pour me déplaire.
J’interroge ensuite JM sur la grêle au regard de la récente actualité météorologique en Côte de Beaune et dans le Minervois. Il compatit grandement avec ses collègues. Pour le cas de sa région, il se retient d’en parler en détail, comme par superstition, car il se rappelle les fois où c'est arrivé.
Sur les terroirs, et l’absence de crus distincts, JM nous indique la variété des sols du domaine. Il pratique 8 à10 biodynamies différentes. La raison réside dans son souhait à hisser qualitativement chacun de ses pieds. Il fait l’analogie à un système éducatif où lui viserait à faire exceller chaque élève. Nous avons alors évoqué le vin qu’aimerait faire JM. Il a dans sa tête un vin pur, sans bois. Cela serait une transmission du terroir et du fruit jusque dans le flacon, sans artifice, ni maquillage complémentaire. Pragmatique, il sait néanmoins que c’est pour le moment utopique pour la région, personne n’y serait prêt, le consommateur le premier.
[size=x-large]L’élevage[/size]
Nous redescendons vers les salles d’élevage.
Nous passons devant les fûts pour mieux rejoindre la salle des dolias qui donne l’impression de pénétrer dans le tombeau chinois avec les soldats en terre cuite.
Sur la forme des dolias, JM ne souhaitait pas une forme d’œuf : une base plus large que le haut aurait agrandit la surface de contact avec la lie. Il a donc inversé la proportion. Sur la composition, 50% des dolias sont composés de pierres calcaire en complément du béton, lorsque les 50% autres principalement des galets de graves. JM fut agréablement surpris de la différence d'élevage. On entend la préférence pour le second même si c’est l’assemblage issu des 2 + celui élevé en barrique qui est meilleur. En comparaison, la barrique d’un vin le satisfait le moins.
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Pontet Canet et ses projets
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Le château cherche à former davantage une unité autonome, une « ferme » pour être en autarcie. A cet effet, des vaches occupent désormais une partie des terrains dans le but d’avoir un compost micro-local. Et pour nourrir ces animaux, le domaine s’est lancé dans sa propre production de foin. Une machine à former des bottes est actuellement à l’essai.
En terme de constructions : des écuries plus grandes et des logements vont être construits. Et elles suivront certainement les règles que JM a lutté pour imposer lors de la restauration des bâtiments actuels:
- le recours aux pierres, pas de plaquo, Il ne faut pas qu'on voit la différence entre nouveau et ancien. Les techniques doivent être conformes aux matériaux alors usités.
- interdiction du bois exotique, il y a tant de forêts dans la région,
- le recours minimum aux adjuvants, notamment dans les techniques d’enduits,
- etc.
Sur le plan énergétique, plusieurs pistes ont été étudiées : le solaire n’est pas suffisamment puissant pour alimenter des moteurs, l’éolienne à axe vertical est à l’étude ainsi que la géothermie. Pour ce dernier le circuit ne devra aucunement se déverser dans des nappes ou toute autre source destinée à la consommation courante.
Il est l’heure, les chevaux nous raccompagnent. Cette magnifique visite et ce passionnant échange prennent fin
. Nous sommes ravis d’avoir pu rencontrer un homme précis, rigoureux, méticuleux, riche de convictions et qui sait avant tout l’émotion.
A peine la visite finie, conforme à l’image que nous avons pu dessiner de cet homme, il partait voir comment se passait la réalisation des bottes de foin
Encore un grand merci à vous Mr COMME et votre précieux temps! N’hésitez pas à apporter les éventuelles corrections ou précisions nécessaires.