LPV75: le millésime 2018 et 3 Clos la Roche au domaine Hubert et Laurent Lignier
A époque inédite, période de visite inédite. Notre habituelle visite printanière s’est exceptionnellement muée en excursion estivale cette année. Nous n’avions pas encore eu l’opportunité de voir cette Côte d’Or paré d’un vert aussi éclatant. Alors que nombre de domaines sont accaparés par un cycle végétatif précoce, quelques domaines et vignerons ont tout de même accepté de prendre un peu de leur précieux temps pour nous accueillir, comme un plaisir de revoir quelques visages familiers et ainsi montrer que la vie commence à ressortir plus forte encore des mois qui viennent de s’écouler.
Les degrés sont très élevés en ce début Juillet. Avant de retrouver les températures plus clémentes de la cave, Laurent Lignier nous montre les travaux entrepris pour agrandir le bâtiment face au chai et qui servira désormais de bureau:
- Vous avez bien entamé la refonte et l’extension de la bâtisse.
- Oui. Les travaux ont néanmoins été suspendus avec le confinement.
- Qu’allez-vous y mettre ? Vous nous aviez évoqué l’an passé des bureaux.
- Ils seront à l’étage. Le rez-de-chaussée accueillera une petite salle de dégustation, une salle de repos et un atelier qui me permettra de regrouper toutes les petites pièces et outils au même endroit.
- Qu’est-ce qui vous a conduit à rénover complètement cette partie?
- Il nous faut rendre les locaux où se trouvent nos bureaux actuels. On passe à la dégustation? Vous préférez goûter 2018 ou 2019?
- Nous n’avons goûté de 2018 que le vieilles vignes.
- Gardons 2019 pour le Printemps prochain dans ce cas.
Nous entrons dans la cuverie pour les premiers vins.
2020, un millésime précoce, après un 2019 plus difficile
- Comment se passe 2020? Le millésime semble plutôt précoce et saine.
- Nous sommes effectivement en avance. Après nous avons eu de la coulure et il y a des poussées d’Oïdium dans les blancs en Coteaux Bourguignons. Ils ont été replanté en 2017 après avoir été arraché en 2015. Ils ne faisaient plus que 145 l sur 35 ares… Il faut donc être vigilant avec ces jeunes vignes.
Nous dégustons sur cuve les 2 premiers vins.
Pommard En Brescul
« Ce sont des vignes acquises avec un ami sportif en 2014. En 2018, la richesse du millésime a pu allonger la vinification. Quelques fins de sucres ont été longues. »
C’est frais, assez tendu, sur la cerise rouge burlat et plutôt vif. La finale manifeste une petite accroche caillouteuse qui donne du relief. L’ensemble est plutôt juteux et digeste. Nous ne l’avions jamais goûté, c’est plutôt bien.
B
- Pour continuer sur 2018 d’ailleurs, la densité du Grand Chaliot a mis du temps à descendre de 1000 à 992. J’ai fait un ou deux pigeages et surtout des remontages pour être plus doux.
- Les rendements étaient au rendez-vous.
- Nous sommes à +10/15%.
- 2019 a été en revanche plus compliqué il me semble.
- Nous sommes à -30% comparativement à 2018. Nous sommes sur une moindre récolte. La fleur a été plus chaotique, il a fait froid et nous avons eu de la coulure et du millerand. De mémoire, le BIVB a recensé 1,8 million d’hl en 2018 contre 1,2 en 2019. J’ai 8 pièces de Brescul en 2018, 4 en 2019.
- Et en terme d’acidité? 2018 était faible en malique.
- Il n’y en avait pas beaucoup sur 2019 non plus. + de tartrique en revanche.
Chambolle Musigny les Bussières
Un vin plus long, plus droit, plus vertical, sur la groseille. La gourmandise est un peu moindre et moins immédiate mais la portance paraît supérieure.
B-
- Avec une succession d’années aussi mûres avez-vous tenté d’augmenter encore la part de rafle?
- En 2018, il y a un tiers de vendanges entières. En 2019 également. En 2017 j’ai fait des essais à 100%, un tiers et 0%. Nous avons tous préféré la proportion à 33%.
- Et en terme de futaille, comment avez-vous géré le yoyo entre 2018 et 2019?
- Nous avons libéré une cinquantaine de fûts.
Nous descendons d’un étage pour retrouver les tonneaux et les bouteilles fraîchement remplies.
La protection du délicat 2018
Gevrey Chambertin, les Seuvrées
« Les vignes poussent sur sol sableux. La mise a été faite hier. Le vin est peut-être un peu serré.»
La bouche débute par une étonnante fraîcheur saline pour se prolonger sur une sacré concentration. Quelques épices sont saupoudrées sur des fraises et des mûres. Si le vin goûté tel est serré, vivement qu’il s’assouplisse. C’est bien bon déjà. Meilleur que 2017 à mon avis.
B+/TB-
- Le vin a été soutiré il y a 2 mois. Nous mettons quelques centilitres de SO2 par pièce, 2 jours avant la mise.
- A quels niveaux aboutissez-vous ?
- 17 à 18 de libre pour un total aux alentours de 60. Nous étions entre 40 et 50 en 2017.
- Pourquoi en avez-vous finalement plus sur 2018?
- 2018 est plus fragile. Les montées de volatile ont été plus importantes. Sur les Seuvrées nous avons habituellement 30 au maximum. Cette fois nous sommes à 40. Il était donc nécessaire de le stabiliser. La malo donne en général +0,15 de volatile, c’était +0,68 en 2018.
- C’est surprenant, je ne goûte aucune note balsamique ni défaut. La volatile participe d’ailleurs peut-être à la fraîcheur du vin.
- Oui, si je n’évoque pas les mesures on ne s’en rend pas compte.
- Vous conservez vos filets anti-grêle au final?
- Nous les avons toujours. Ils demandent des manipulations supplémentaires et peuvent s’accrocher avec la charrue et les écarteurs mais nous les gardons.
- Et vos confrères, qu’en ont-ils fait?
- Il en reste entre Beaune et Pommard. Sur Nuits Rossignol Trapet en a sur les Combottes et Latricières.
L’impact de la précocité du millésime 2020 sur l’organisation au domaine
Morey Saint Denis, Trilogie
Second vin en bouteille
« Il y a eu un peu moins de millerand sur 2018 et de nouveau + sur 2019.»
La gourmandise s’affirme d’année en année. C’est très friand avec des notes de fraises, de mûres et de framboises. Peut-être un peu moins dense que 2017.
B+/TB-
Nous retournons à la cuverie pour déguster la suite.
- Avec des vignes en avance sur le calendrier, vos tâches au chai ont peut-être dû être adaptées?
- En effet, la plupart des soutirages a été avancé à Avril au lieu de Mai / Juin. Toutes les mises n’ont en revanche pas encore été faites. Nous nous sommes adaptés aux travaux nécessaires dans les vignes. Il y en a eu beaucoup, beaucoup en Juin. Nous sommes toujours à 18 mois d’élevage minimum au total. Certains vins passent plus de temps en masse. Et je surveille régulièrement l’état des vins et ils peuvent attendre.
Morey Saint Denis, 1er cru la Riotte
Un velours de mûres et de cassis. L’acidité de la groseille propulse l’ensemble en un filin horizontal au devant de la langue. Une belle persistance sur la vivacité et un grip sur les papilles.
TB
- Vos confrères ont commencé à évoqué des vendanges fin Août pour le Chardonnay et début Septembre pour les rouges s’il n’y a pas d’incident d’ici-là. Qu’en est-il pour vous?
- Nous sommes en 2020 sur les mêmes bases que 2018. La tendance est effectivement à un début de vendanges début Septembre.
- De notre fenêtre parisienne, il semble y avoir eu une succession de petits épisodes pluvieux et de grande chaleur.
- Il y a un peu plus d’eau que 2019. 100ml de plus à la même période, en particulier grâce au mois de Février. Peu de pluies depuis Avril si ce n’est quelques passages.
Morey Saint Denis, 1er cru les Chaffots
La bouche est moins texturée que son prédécesseur. Elle est en revanche plus vive, nette et fraîche. Elle se situe dans le haut du palais avec de la groseille et de jeunes fraises. La rémanence est très digeste.
TB+/Exc-
- Nous sommes allés dans quelques vignes et il ne semble pas manquer de fruits.
- En 2020, nous faisons beaucoup d’évasivage. On a fait tomber quelques raisins en aligoté et en Bourgogne Pinot Noir. Sur les jeunes Chambolles (1980), pour corriger, nous avons rogné à 1,35m au lieu de 1,25m. Sur les vieilles vignes, il y a eu un peu de coulure.
Trois visages du Clos la Roche
Laurent nous avait déjà partagé une ludique dégustation sur l’impact du fût neuf il y a 4 ans de cela. Le thème de cette année n’allait pas démériter non plus
Clos la Roche Grand cru
Une grande fluidité faite de petites baies, de myrtilles et de gariguettes. Les tanins conjuguent délicatesse dans leur enveloppe et consistance/fonds dans leur corps. La dynamique est tendue, longiligne et fine. Top.
Exc
- J’ai lu que vous aviez une cuvée 1955.
- Ah? répond Laurent feignant l’interrogation. Qui est né en 1955?
- Les vignes qui y sont plantées. C’est une cuvée en hommage à votre grand-père je crois.
NDLR: Ouf, merci LPV, j’avais un peu révisé
.
- C’est cela. Je tenais à faire quelque chose. Il s’agit d’une parcelle de 65 ares vers Monts Luisants acquise en 1944 par ma grand-mère pour 100 000 anciens francs. C’était cher pour l’époque. Convertis en Euros, ce montant fait aujourd’hui rêver. Elle tenait absolument à l’acheter car il n’y gèle jamais. Il n’a d’ailleurs pas gelé en 2016. 25 ares ont été arrachés et replantés en 1955. Le chiffre est écrit en chiffre romain pour éviter tout confusion.
- J’imagine bien.
- La cuvée a plutôt un but confidentiel pour les clients historiques. Nous n’en faisons pas beaucoup. Nous avons commencé en 2017. La parcelle n’a donné que 2 pièces; 3 sur 2018. 438 bouteilles et 77 magnums en 2017. Je voulais avoir un vin réellement différent, pas séparer ces vignes pour le principe de les séparer. Je le fais aussi pour marquer un symbole. Sur la partie la plus vieille, les plants sont fins et il y a beaucoup de millerands.
Et comme pour anticiper la question:
- Pour ceux qui diraient que cela appauvrit le Clos la Roche habituel, les vignes qui sont immédiatement les plus vieilles ont été plantées en 1959 et 1965. Vous voulez goûter 2019?
- Ce ne sera pas de refus!
Et quoi de mieux pour approcher le millésime que
Clos la Roche Grand cru 2019
« En 2019, d’une manière générale, la fleur a eu du mal à se faire. Puis il a fait froid. Quelques graines ont séché. »
Un nez un peu réduit. C’est déjà bien élégant, un peu moins dynamique que 2018 pour le moment mais plus évanescent, plus floral. Aucune lourdeur. Seule la finale noire, avec quelques notes de graphite rappelle la maturité du millésime.
Exc-/Exc
Et parce que ce n’est pas fini
Clos la Roche Grand cru 2019, cuvée hommage MCMLV
« Nous faisons 2 pièces en 2019. »
Un nez ne présente cette fois aucune réduction. Il fait même preuve d’une fraîcheur supérieure. La bouche est d’une grande densité. Les tanins sont nombreux, plus serrés, plus noirs et manifestes. Les papilles sont excitées par les quelques épices et les notes d’ardoises dès l’entame. Le potentiel de vieillissement paraît superlatif. Un vin vraiment différent du précédent.
Exc-
Nous avons pu goûter le Clos la Roche sous trois prismes différents. Et la cuvée hommage se distingue aisément de son frère de la même année. Il s’agit réellement d’un vin différent, comme le souhaite Laurent Lignier. Question de goût, et peut-être de l’effet d’une année solaire, je crois préférer le premier des deux 2019 par sa portance plus haute.
Il existe une tradition à laquelle Laurent ne saurait déroger : la bouteille mystère de fin de dégustation. Il s’absente brièvement pour revenir avec un demi-format.
Vin mystère
C’est fluide, assez tendu, sans un corps épais, des tanins bien fondus. Quelques notes d’évolutions secondaires. Très bon et digeste.
TB+/Exc-
- Alors?
- La texture et la structure me font dire spontanément 2014 mais les arômes plus évolués me disent plus vieux. Peut-être 2007 ou 2010?
- Et quel cru?
Je suis mon voisin:
- Morey, et ajoute : premier cru?
- C’est bien 2014.
- Flûte !
NDLR: foutu effet demi-bouteille!
- Et c’est Charmes.
- Etonnant, il n’est pas du tout opulent.
Il est temps de repartir, non sans remercier l’hôte de nos deux dernières heures. Le domaine démontre une régularité qualitative qui se renouvelle chaque année. Et 2018 y est assurément fort réussi. Son aperçu l’an passé a été nettement confirmé ici. Ce n’est pas tout, mais il y a d’autres compte-rendus à écrire

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