La beauté de l'age
Celle de vins de Bourgogne ayant la quarantaine ou plus, qu'il m'arrive bien trop rarement de déguster mais qui laissent souvent un bon souvenir qui appelle de ses voeux celui de la bouteille suivante.
Malheureusement les occasions se font trop distantes à mon goût et, je me disais que chacun pourrait ici évoquer une belle rencontre et partager son plaisir.
C'est toujours intrigant de rencontrer une bouteille plus vieille que soi, même lorsqu'on est encore jeune. Peu importe son pédigree, elle inspire le respect bien plus que ne le font nombre de stars en bas age.
Pour les plus mures d'entre elles, et sans pour autant donner dans la mélancolie, il est touchant de penser qu'un produit aussi fragile que du vin en bouteille ait pu survivre à son créateur, lui-même ayant vraisemblablement fait l'expérience de rencontres avec des flacons des générations précédentes. Cela sonne illusoire et irrationnel, cependant on a l'impression que le vin transporte, au cours des siècles, la mémoire des hommes.
Et c'est par nature plutôt un vieux flacon qui vous le fait ressentir.
L'age est aussi catalyseur de curiosité. Une curiosité qui domine amplement la crainte de trouver le flacon imbuvable. Ce n'est pas qu'une question d'optimisme, l'age individualise le flacon ou du moins y participe. S'il vous est commun de dire que vous avez, en cave, du château untel 1999, peut-être vous arrivera-t-il de dire que vous avez cette bouteille de Clos untel 1943. Ce qu'elle aura à offrir est bien plus imprévisible et différencié, attisant d'autant plus la curiosité.
Curiosité et joie de l'expérience d'un vin dévoilé, lequel aura attendu des dizaines d'années avant de se livrer pour quelques minutes. Un peu comme sur une partition, une tension accumulée de mesure en mesure et se libérant enfin. Il y a de l'intensité dans ce moment même si le vin n'est pas le meilleur que vous ayez pu boire.
Voilà qui déjà fait vibrer et nourrit un peu plus le plaisir.
Et biensûr il y a le plaisir propre, plaisir gustatif du vin qui offre des arômes souvent complexes, quelquefois inattendus, des textures variées parfois bien affaiblies mais d'où surgissent des finales épurées, des rétro-olfactions entêtantes dont la densité surprenante peut contraster avec des structures quelquefois érodées.
Et puis parfois, malheureusement, tout tombe très vite et c'est trop tard : vous arrivez trop tard. Mais vous pouvez déjà songer à la prochaine rencontre. J'ai le sentiment qu'on ne vivra jamais assez vieux pour s'en lasser.
Mon dernier plaisir m'obsède. Une bouteille avec certes un nom et un millésime mais pas de noble naissance. Elle est néanmoins bien née et surtout a bien vieilli cette Vosne Romanée 59. Dense dans sa couleur rubis sombre et cuivrée, dense dans ses parfums de roses, de fraise et d'épices doux au nez. Rayonnante, elle conquiert bouche et palais sans effort et sans acoup avec une rétro-olfaction littéralement envoutante de champignons et d'épices. Je succombe !
Pardon si je vous ai ennuyé, les gentils messieurs en blanc viennent me chercher aussi je vous laisse.
Au plaisir de vous lire.
Message edité (04-06-2004 11:00)