Notre cercle d’amoureux du pinot noir s’est retrouvé chez moi pour la 3e soirée, cette fois-ci pour faire les choses bien puisque le thème retenu était « Grands Crus », tous bus à l’aveugle. Allons-y sans ambages, on n’a pas été déçus !
Après un
Condrieu « Terrasses du Palat » 2021 de François Villard floral et cristallin pour un apéritif léger pour nos papilles (mais dont le côté très abricoté a moyennement plu à certains), nous ouvrons les hostilités avec le
Charmes-Chambertin « Aux Charmes » 2014 de
Thibault Liger-Belair. Je crois que ses vignes sont situées sur la portion de Charmes bordant immédiatement le climat de Chambertin. Le bouquet est divin, on entre dans la poésie bourguignonne, c’est délicat, éthéré, floral, potpourri, corbeille de petits fruits rouges frais… Magique. La bouche n’est cependant pas au même niveau, on ne retrouve pas le fruité pur que le nez laisse imaginer, et je perçois un trait de verdeur amère. Avec un peu d’oxygène et de réchauffement (j’avais servi un peu trop froid), la bouche devient plus confortable, un caractère terrien et giboyeux se révèle, c’est très bon. Globalement un Charmes très fin, mais qui n’a sans doute pas tout le fond attendu d’un GC. (13°)
On reste en
Charmes-Chambertin avec celui du
domaine Sérafin en
2010, et le style change complètement : si le nez est discret, la bouche contraste avec une énorme puissance pas totalement domestiquée, autour des fruits noirs un peu compotés, le vin fait très jeune, quelqu’un lance 2018 et je comprends. C’est très extrait, la matière tapisse complètement le palais mais manque d’élégance, il lui faut sans doute dix ans de plus. (13,5°)
On continue d’explorer ce cru de
Charmes-Chambertin très étendu, pour aborder sa partie des
Mazoyères avec
La Vougeraie en 2012. J’aime ce millésime, j’aime ce domaine, j’en attendais donc beaucoup et je n’ai pas été déçu car selon moi ce vin a tout ! Très racé, profond, à la fois délicat et puissant, il fait la synthèse du meilleur des deux vins qui l’ont précédé. Il offre un caractère que l’on peut qualifier de 'terrien' au sens où il y a ce je ne sais quoi de rustique qui nous fait imaginer le sol dont il est issu... En même temps le jus est d’une grande noblesse, les tanins sont de qualité superlative, les arômes délicieux et complexes autour du réglisse, rafles (80% de vendange entière), mûre sauvage, cannelle, poivre… Les vignes plantées en 1902 et les petits rendements (23hl/ha) ont donné un jus concentré mais sans extraction excessive, j’en boirais des litres ! Si vous en avez une bouteille chez vous, à noter que je trouve qu’il a plutôt perdu à l’aération (je l’avais ouvert avec 8h d’avance), donc ne pas hésiter à le servir sans préparation. (13°)
Nous passons à
Chambolle avec le
Bonnes-Mares 2009 de Bart. Bon sang quel plaisir là encore ! Si le nez manque selon moi un peu d’élégance (végétal herbeux, cerises macérées), la bouche est absolument superbe, on a la concentration sans l’extraction, c’est un grand cru délicat plus que puissant, correspondant sans doute bien au style de ce vénérable domaine. Les arômes sont très plaisants autour des fruits rouges et des rafles (bien que je n’aie aucune idée s’il y a de la vendange entière), le jus est souple et sapide, très gourmand, avec une belle acidité qui rend le millésime indétectable. Ce n’est pas un pinot hyper complexe, mais c’est méga bon ! (13°)
Nous retrouvons le domaine
Thibault Liger-Belair, là encore sur un millésime difficile (
2013), mais cette fois-ci c’est pour approcher le sommet de la hiérarchie des crus de la Côte de Nuits puisque ce n’est rien de moins qu’un
Richebourg. Nez un peu renfrogné mais empreint d’un boisé noble. Ce qui me marque c’est sa très grande attaque qui électrise d’entrée la bouche et s’étire en longueur ; ce vin donne la sensation d’être vivant, parcouru d’une énergie saisissante. En revanche sur le plan aromatique je le trouve un peu simple, et les tanins agrippent un peu. Belle expérience de découverte de ce très auguste climat, sans doute mal servi par le millésime. (13,5°)
Bon, à ce stade j’avais peur que mon palais fatigue, mais le sixième rouge a constitué LE clou de la soirée. Quel sublime vin que ce
Chambertin-Clos de Bèze 2012 du domaine
Robert Groffier ! D’abord, nous avons été gratifiés d’un bouquet d'une complexité fabuleuse, offrant des effluves de rose fanée, de sous-bois, d’orange... En bouche on touche le summum du pinot noir, le genre de vin pour lequel on vit notre passion et qu’on espère qu’il sera à la hauteur quand on le rencontre... Le jus est suprêmement élégant et raffiné, puissant, dense mais frais, concentré, énergique... On retrouve la complexité aromatique promise par le nez, avec un ballet de saveurs autour de la cerise, épices douces, rafles (je suspecte qu’il y a de la VE)... Caractère minéral, corsé et raffiné... Finale poivrée qui ne quitte pas le palais. Waouh !!! (13,5°)
Dans son encyclopédie des crus de Bourgogne, Patrick Essa écrit : «
Le Clos de Bèze est au vin ce que la Bentley est à l’automobile. La quintessence du raffinement et de l’élégance sur une discrète touche de fougue et de sportivité. » Yves a trouvé une formule presque aussi juste : ce Clos de Bèze est "féminin comme un brésilien qui a changé de sexe" 😁
On termine avec un vin du siècle dernier : un
Corton « Le Rognet » 1999 de Bertrand Ambroise. A ce stade, mon palais était saturé et pourtant j’ai d’entrée été frappé par sa puissance et sa justesse. Il offre un nez sauvage et solaire, qui m’ont fait penser à de la « noble pourriture » et à des épices (muscade ?). C’est un Corton très puissant et séveux, à la matière totalement harmonieuse faite de tanins fondus et d’arômes évoquant le graphite et le bois noble. C’est très bon, et permet d’achever d’une belle façon cette balade au sommet du Mont Pinot. (13,5°)
Au final, mon classement personnel :
1. Groffier Clos de Bèze 2012
2. La Vougeraie Mazoyères 2012
3. Bart Bonnes Mares 2009
4. Ambroise Corton 1999
5. TLB Richebourg 2013
6. TLB Charmes 2014
7. Serafin Charmes 2010
Ce fut (encore) une très belle soirée pour notre petit groupe, un véritable bonheur pour amoureux de pinot avec un niveau relativement homogène, tous les vins apportant un grand plaisir aux dégustateurs et tous méritant dignement leur classement. A noter la capacité de vieillissement de ces GC, on sentait qu’ils étaient à peine au début de leur apogée et que 5-10 ans auraient permis de les mettre encore mieux en valeur… Seul le Corton 1999 donnait le sentiment d’être cueilli au bon moment. Bref, les grands crus semblent réellement bâtis pour durer.
Nous avons bu 8 bouteilles à 6 (quasi aucun recrachage) et ce matin je me sens pourtant comme un charme… Vive le bon vin !
Merci de m’avoir lu.
Les Mazoyères sont plus éloignées de Chambertin et du Clos de Bèze.