Ce qu'il y a de fantastique avec Pierre, c'est qu'il ne fait pas dans la demie-mesure. Quand il nous invite, on ne vient pas pour enfiler les perles. Non.
Rendez vous est donc fixé un jeudi soir pour savourer la pêche d'une grande marée. Je connaissais sa tête de handballeur, gardant une barbe de trois jours pour conserver l'influx nerveux, je découvre désormais une vraie gueule de patron pêcheur, du genre à aller déverser une demie-tonne de hareng devant les grilles de la préfecture parce que le gasoil est trop cher.
A défaut de chalutier, la coquette maison familiale nous accueille confortablement. Mais le maître de cérémonie n'est pas encore arrivé. Au dernières nouvelles, il serait en pleine discussion avec les gros bleus Manchots ramenés quinze jours auparavant.
Quand l'Homme au T-shirt arrive, radieux, c'est pour nous montrer le fruit d'une belle pêche effectuée quelque part là-bas lors de la dernière grande marée : pétoncle, palourdes et pieds-de-cheval garnissent aimablement un seau de 30 litres.
Entre-temps ont fait leur apparition Benoît, Amadeusmaldoror et sa compagne, Gildas et sa femme, Olivier et,
last but not least, Laurent Baraou,
The Flying caviste.
Ce dernier n'est pas arrivé les mains vides et nous embauche illico comme cobayes pour tester un vin sans étiquette proposé sur deux millésimes différents. Au nez, ça sauvignonne dur. La couleur est jaune très pâle. Le premier vin présente une bouche acide avec une légère note de pomme verte, alors que le deuxième est plus rond, moins acide, mais bizarrement plus fermé. La finale est marquée par l'amande douce. Il s'agît des
Montravel du Château de Bloy 2007 et 2006. Moyen.
Au terme de cette mise en papilles, nous passons à table. Il n'aura pas fallu beaucoup de temps à Cap'tain Vetshow pour ouvrir les huîtres et autres coquillages. Sa maman me murmure qu'il les a ouvert avec les poings... Une Légende est née.
L'entrée qu'il nous présente est un véritable régal pour les yeux et les papilles :
- une petite pétoncle crue et marinée,
- de la chair d'étrilles avec sa mayonaise maison,
- des praires tièdes en vinaigrette,
- et une praire chaude en chapelure et persillade.
C'est très fin et ça se mange d'autant mieux que c'est accompagné d'un
Chablis GC Vaudésir 2001 de William Fèvre. Ce Chablis présente une magnifique couleur dorée et un incroyable nez de miel d'acacia ! Bien qu'équilibrée, la bouche est un tantinet molassonne.
Eh ! Oh ! Pépère ! On ne s'endort pas sur ses lauriers ! Le nom n'empêche pas le dynamisme ! Rien à faire...
C'est d'autant plus dommage que la bouche, grasse, correspondait parfaitement au nez avec une petite touche de cèpe de Bordeaux fort agréable et un retour sur la minéralité. C'est un très bon Vaudésir, mais un peu plus d'acidité lui aurait permis d'être vraiment très, trrrès bon.
Pour accompagner les pied-de-cheval (de très grosses huîtres plates),
le Corton Charlemagne 2002 du Domaine Dubreuil Fontaine s'annonce par une belle couleur jaune. Le nez est cependant moins expressif, plus fermé. Bizarrement, il est aussi plus “rond”, plus fruité. La bouche présente également du gras, et une curieuse note de camphre et/ou d'eucalyptus. C'est bon, mais le miel du Chablis nous a marqué. Nous nous interrogeons... J'y reviendrai.
Arrive un fait-tout gros comme Pierre. Je ne peux m'empêcher de voir Obélix portant son menhir. A l'intérieur, c'est un carnage comme Hollywood ne nous en a pas encore inventé. Il y a des têtes coupées partout, des pattes arrachées, des queues tronçonnées...
Des pinces grosses comme ma main ont été broyées entre le pouce et l'index (c'est ce que m'a dit la petite amie de Pierre). Ce n'est plus un fait-tout, c'est Verdun, la Marne et la Somme réunis... La Manche mettra du temps à s'en remettre.
Face aux nobles crustacés, il fallait un noble vin. L'Homme qui sait parler aux animaux nous présente un
Puligny-Montrachet Les Perrières 2002 du domaine Carillon.
“ Nez vif, minéral, tendu, serré, pierre à fusil, champignon, vif, acide. Toute la tension et la minéralité d'un grand vin pur et complet” ai-je noté sur le moment. Que dire de plus ? Que je n'avais pas été vraiment enthousiasmé par le Puligny village 2004, mais que là, nous sommes assurément dans une autre dimension.
Coincé entre le Vaudésir et les Perrières, le Corton-Charlemagne se fait bien petit. Je choisis de lui redonner sa chance et découvre un autre vin. Le nez présente désormais une incroyable note tourbée, comparable à celle que l'on rencontre sur certains whiskies écossais. Le Corton Charlemagne a pris de l'ampleur et de l'assurance, mais reste néanmoins un ton en dessous du Puligny. Une fois de plus, nous ne laissons pas assez de temps au vin pour qu'il s'exprime totalement...
Nous poursuivons avec un vin présentant un nez fermé à double tour. Le peu qui dépasse permet de se faire une idée de sa noble origine mais... Dur à percevoir et bien malin qui pourrait, en l'état, se faire une idée.
En bouche, je perçois une sorte de petit défaut. Une perception fugace de bouchon qui s'efface aussi rapidement qu'elle apparaît. Des notes de pêche blanche et d'ananas très discrètes font leur apparition et signent un vin plutôt frais. La finale, trop amère à mon goût, est beaucoup moins éclatante que sur le puligny. Stupéfaction à la découverte de la bouteille :
Auxey Duresses 2003 du Domaine d'Auvenay. Pas convaincu en l'état, je pense néanmoins que ce vin donnera tout son potentiel d'ici trois à cinq ans.
Pour accompagner le fantastique plateau de chêvres
(“Pierre récolte le lait en comprimant d'un coup sec une chêvre sous son aisselle” m'a soufflé discrètement Augustin, l'ami de sa mère), notre hôte nous sert un vin qui m'a dérouté.
A la première olfaction, ce blanc m'a surpris par ces effluves de groseille et de fraise des bois ! En l'oxygénant, des parfums plus “classiques” - pêche blanche, abricot - sont apparus. La bouche, plutôt suave, est agréable, vive et équilibrée. Le vin s'accorde d'autant mieux avec les fromages qu'il s'agît d'un
Sancerre La Moussière 2006 d'Alphonse Mellot. Si n'était cette fin de verre un peu déroutante, sur la levure de bière, j'aurais été convaincu.
Le Sauternes qui arrive s'annonce par une robe splendide : un roux éclatant, envoûtant. Le nez est safrané, puissant, délicat et captivant. L'orange amère met en lumière un splendide botrytis.
La bouche est riche, avec un fort taux de sucre.
Guiraud 95 ? Non... Lafaurie 96 ? Pas plus... Suduiraut ? Encore moins...
Tirecul La Gravière 2001... Heureusement que nous étions assis ! Incroyable complexité et puissance pour ce formidable Monbazillac.
Vous, amis Bordelais qui élaborez des liquoreux, vous devriez aller voir plus souvent les époux Bilancini. Nous aussi d'ailleurs !
Voilà, c'était tout pour cette fois-ci. J'ai bien des trucs à raconter sur Gildas, notamment une sombre histoire de grenache et de Taliban qu'il ne souhaite pas que je mette sur la place publique, mais bon... Je vous la raconterai une autre fois. Peut-être.
Vougeot