Sous ce titre qu'Olif n'aurait sans doute pas renié, vous trouverez le compte-rendu d'une magnifique journée passée en compagnie de quelques LPViens avec en particulier le moment fort et assurément inoubliable que fut la rencontre avec Sylvain Pitiot au Clos de Tart.
Tout a commencé le 4 janvier de cette année 2004, lors d'une rencontre chez DidierT, qui a eu l'idée lumineuse d'ouvrir une bouteille de Clos de Tart 1997 au milieu d'une série d'autres grandes bouteilles de ce millésime souvent décrié par ceux dont l'univers en matière de vin se limite au Bordelais. Le coup de foudre sera immédiat en ce qui me concerne, et j'ai ce jour-là acquis la certitude d'avoir enfin trouvé le Grand Bourgogne que j'attendais depuis longtemps. Quelques jours plus tard, après un compte-rendu méritoirement laudatif sur LPV, Sylvain Pitiot nous fait l'honneur d'intervenir sur le site et lance une très généreuse invitation qui, plus de cinq mois après, s'est enfin concrétisée pour notre plus grand bonheur.
Rendez-vous est pris en face du Clos à 10h30 ce samedi matin, ce qui signifie un réveil à 4 heures pour les plus éloignés du vignoble, mais il est des causes qui méritent bien ce petit sacrifice en terme d'heures de sommeil. Sont présents : Olif, Le Seb, DidierT, Stéphane, JMP, Tophe, Vincent, Hamitan, Herbert et Sandrine, Patricia et votre serviteur.
Le vignoble.
Nous sommes accueillis par Sylvain Pitiot et commençons par visiter le vignoble entièrement ceint par un mur de pierres, d'une superficie d'un peu plus de 7,5 hectares, situé entre le Clos-des-Lambrays au Nord, et Bonnes-Mares au Sud. La vigne est belle, en parfait état sanitaire, la période de floraison venant de se terminer. Ce qui frappe en premier lieu, c'est la disposition des rangs de vigne, plantés perpendiculairement à la pente. Cela semble offrir deux gros avantages : tout d'abord, une meilleure lutte contre l'érosion des terres de surface ; ensuite, un ensoleillement plus homogène permettant une meilleure maturation dans les années froides et un moindre risque de brûlure des baies en période de canicule. Le Clos de Tart 2003 n'aurait sans doute pas été aussi réussi sans cette particularité.
Le Clos est subdivisé en trois parties distinctes par la nature du calcaire présent dans le sous-sol : le bas, la mi-pente et le haut, qui seront vinifiés séparément.
Les pourtours de vigne sont enherbés, de même qu'une partie des rangs, pour effectuer des essais. On n'utilise pas ici d'engrais artificiel mais uniquement du compost, et les traitements sont limités au maximum. Un respect manifeste de la nature mais sans aucun dogmatisme, autrement dit, tout ce que j'aime...
La densité se situe à 11.000 pieds par hectare, avec des essais à 12 ou 13.000 pieds pour les nouvelles plantations. La moyenne d'âge du vignoble se situe quant à elle aux alentours de 55 ans.
Les opérations de taille, d'ébourgeonnage et de vendanges vertes permettent de limiter les rendements aux alentours de 35 hectolitres par hectare, en ne laissant finalement que 5 grappes par pied au maximum. L'essentiel du travail à la vigne s'effectue manuellement, la disposition du vignoble rendant difficile et même dangereuse la manipulation des machines agricoles, surtout dans le haut où la pente est plus prononcée.
Les installations.
La pluie se mettant à tomber, nous passons à la visite des anciennes installations dans une splendide pièce récemment restaurée où trône fièrement un énorme et ancien pressoir dit "à perroquet" datant, si je me souviens bien, du XVIe siècle, toujours en état de marche (nous n'aurons malheureusement pas droit à une démonstration). Nous avons droit alors à un bref et très intéressant aperçu de l'histoire du Clos, qui s'appelait autrefois la Forge, dont les différentes parcelles ont été progressivement acquises par le clergé pour constituer le vignoble tel qu'on le connaît aujourd'hui. Je passe sur la vente des biens de l'Eglise à la Révolution pour en arriver à la fin des années 30 où la crise économique sévissant, de nombreux domaines sont mis en vente, Le Clos de Tart étant alors facilement acquis aux enchères, sans la moindre concurrence, par la famille Mommessin qui en est toujours l'actuel propriétaire.
De très gros travaux ont été engagés et terminés en 1999 pour moderniser les bâtiments, et il faut bien avouer que le résultat est tout bonnement superbe.
Le cuvier tout d'abord : pressoir moderne, table de tri, sept cuves inox thermorégulées, chacune des trois parties du Clos étant encore divisée en deux, nous obtenons une subdivision en 6 parties qui sont vinifiées séparément, la septième cuve servant à accueillir le vin de presse. Le raisin est égrappé en totalité, mais non foulé (des essais sont prévus dès cette année, si le temps le permet, en laissant une partie de la récolte non égrappée) ; les raisins entiers sont amenés dans les cuves grâce à un petit tapis roulant, sans manipulation agressive. La fermentation démarre naturellement et lentement, sans ajout de levure exogène, avec contrôle des températures, les pigeages sont mécaniques. Rien de révolutionnaire, mais une installation moderne, avec un souci constant de la propreté.
Nous prenons un petit coup de froid en passant dans le nouveau chais à barriques, la pièce étant climatisée et particulièrement fraîche. Une centaine de barriques neuves provenant de cinq fournisseurs différents accueillent les vins issus du millésime 2003, que nous aurons l'occasion de déguster au fût afin d'essayer de définir les caractéristiques propres à chacune des trois parties du Clos. Actuellement, le vin est élevé en totalité en barriques neuves, de chauffe moyenne. De nombreux essais sont également entrepris à ce stade pour tenter d'améliorer encore la qualité du vin, tant sur les essences que sur l'épaisseur des douelles ou l'origine des bois. Une saine émulation entre les différents tonneliers est mise en place grâce à la dégustation à l'aveugle et en leur présence des différentes barriques. Gare à celui qui se retrouverait trop régulièrement mal classé dans ce genre d'épreuve !
Une fois entonnés, les vins ne sont pas soutirés, il n'y a pas non plus de bâtonnage ; le vin se fait pour ainsi dire tout seul. Le 2003 était toujours en cours de fermentation malolactique quand nous l'avons dégusté, ces fermentations se faisant très lentement grâce à la faible température qui règne dans la pièce.
Dernière étape de notre visite, nous nous dirigeons vers la cave où sont stockées les bouteilles. Il s'agit d'une grande cave entièrement creusée dans la roche, impressionnante, où la température est naturellement constante à 12° et où règne une humidité importante. Nous y dégusterons les 2002 et 2001.
C'est ici que se fait la mise en bouteilles, à la main, après un léger collage mais sans filtration. L'assemblage des différents lots se fait uniquement sur base de la dégustation, ceux qui sont jugés indignes de porter l'étiquette du Clos de Tart servent à l'élaboration d'un Morey St Denis 1er Cru baptisé La Forge, que nous n'avons malheureusement pas eu pas eu l'occasion de déguster (il y en a eu très peu en 2002).
Le domaine conserve dans cette cave une petite partie de la production de chaque millésime pour la mettre en vente une quinzaine d'années après la récolte, moment où selon Sylvain Pitiot, les vins se goûtent le mieux dans les bons millésimes. Le 1990 sera ainsi bientôt proposé aux amateurs désireux d'acheter un grand vin à maturité.
Les vins.
Clos de Tart 2003
Le millésime 2003, canicule oblige, a vu les rendements à la vigne baisser de 25 %.
Il s'agit d'échantillons prélevés de différents fûts correspondant chacun à une partie du Clos. Les fermentations malolactiques ne sont pas encore terminées, ce qui avec la t° un peu basse de la pièce, rend la dégustation un peu difficile.
Le bas du Clos a donné un vin très charmeur, riche en alcool (il titre plus de 15°) mais magnifiquement équilibré, avec un fruité généreux et mûr, un boisé bien présent à ce stade, dans un style peut-être un peu rhodanien, souple, facile d'accès, mais tellement agréable dès maintenant.
Les raisins récoltés à mi-pente ont donné un vin plus serré, qui m'est apparu légèrement plus chaud que le précédent, peut-être à cause de son caractère plus épicé. Plus minéral, plus droit, plus bourguignon dans l'âme, il possède une superbe longueur.
Le haut du Clos a donné de l'avis quasi général le meilleur vin, tant au niveau de la complexité aromatique qu'au niveau de la structure et de l'équilibre en bouche, tout simplement renversants. Plus floral et plus minéral que les deux autres cuvées, il possède une longueur éblouissante.
L'assemblage de ses vins aux qualités complémentaires devrait nous réserver un très beau Clos de Tart 2003.
Clos de Tart 2002
Millésime médiatique s'il en est, 2002 a bien évidemment donné naissance à un magnifique vin, assez facile d'accès, souple, gras, ample, fruité et épicé, à l'équilibre parfait et possédant une longueur exceptionnelle. La puissance indéniable de ce vin qui titre près de 14°5 d'alcool est parfaitement maîtrisée. Les tannins sont très racés et d'un rare soyeux de texture. Grand vin !
Clos de Tart 2001
Le préféré de Sylvain Pitiot, mais également de la plupart des invités présents. Un peu plus austère sans doute que le précédent, il semble également plus racé, plus minéral et possède sans doute un potentiel de garde plus important. Les tannins semblent plus présents, mais d'une finesse incomparable. Un vin tout en finesse et en longueur, qui a fait chavirer de bonheur l'ensemble des participants. Il ne faut assurément pas oublier ce millésime qui a été injustement occulté par la plupart des médias. L'avantage de la situation, c'est qu'il en reste encore un peu !
Clos de Tart 2000
Dégusté au restaurant en compagnie de Sylvain Pitiot, il avait l'avantage sur ses cadets d'être servi à bonne température, dans un cadre superbe et accompagné d'un plat bien accordé. Néanmoins, je ne peux pas passer sous silence l'excellente impression qu'il m'a faite, dans un style certainement plus accessible que le 2001, déjà très agréable à boire dès maintenant, et où l'on retrouve toutes les qualités (énormes mais finalement assez rares) d'un grand vin de Bourgogne. Un grand vin de plaisir (presque) immédiat, mais qui a tout ce qu'il faut pour évoluer favorablement dans les dix ou quinze ans qui viennent.
En guise de conclusion...
Sylvain Pitiot a fait montre pendant plus de deux heures qu'ont duré la visite d'une gentillesse, d'une disponibilité et d'une modestie confondantes. On sent chez lui une véritable passion pour le Clos de Tart, avec une recherche constante et rigoureuse, tant à la vigne que lors des vinifications et de l'élevage, par petites touches successives et sans interventionnisme excessif, dans le seul but d'améliorer la qualité du vin qui en est issu. Force est de constater qu'il y réussit fort bien, et ceux qui ont eu la chance de déguster son vin peuvent en témoigner. Certains, quand ils sont au sommet de leur art, ont tendance à s'éloigner des amateurs et deviennent plus difficilement accessibles, s'enfermant en quelque sorte dans leur tour d'ivoire. D'autres, à l'instar de Sylvain Pitiot, consacrent une partie de leur temps précieux à accueillir les amateurs, alors que la renommée de leur produit n'est plus à faire. Non content de nous faire visiter le domaine et déguster une magnifique série de vins, il invite tout le groupe (12 personnes !) au Castel de Très Girard, très bon restaurant de Morey-Saint-Denis, où nous pourrons poursuivre de passionnantes conversations autour de plats raffinés, accompagnés de Clos de Tart 2000 ! Une telle générosité est si rare, que même si sa modestie doit en souffrir, je ne pouvais la passer sous silence. Nous étions partis à la rencontre d'un grand terroir, nous avons eu la chance de rencontrer un grand homme, voilà des moments rares dans la vie d'un amateur de vin et ceux-ci ne sont pas prêts de s'effacer de nos mémoires. Que dire d'autre que merci !
Luc