Le temps est venu de donner quelques nouvelles de Pontet-Canet. Depuis le temps, je ne boudais pas ni n’avais vraiment pris de la distance avec LPV. Je n’avais pas envie d’écrire tout simplement surtout pour redire toujours la même chose.
L’hiver a été marqué par la pluie sans vraiment de froid à Bordeaux. Partout, les vignerons ont subi ces conditions climatiques pénibles et souvent ils ont pris du retard.
Le froid est arrivé tardivement et quand ce n’était plus le moment.
Le débourrement a donc été influencé par la pluie et le froid. Les adeptes du « il n’y a plus de saison » diront que le printemps n’a pas existé en 2013.
Je m’étais préparé à des saisons culturales difficiles car passionné par les cycles de la lune, je pense qu’on est maintenant dans une période moins favorable que dans la décennie précédente.
Presque comme en 2012, il a fallu traiter sans baisser la garde jusqu’à l’été.
Le temps froid a persisté jusqu’après la fleur et donc celle-ci s’est déroulée dans les pires conditions avec deux semaines de retard par rapport à la moyenne.
Assez vite, on a supposé des taux de coulure très élevés ; particulièrement pour le merlot mais pour tous les cépages.
C’est la plus forte coulure depuis 1984 ; il y a presque 30 ans.
Même si l’effet du rognage est connu sur le taux de nouaison, c’est-à-dire la proportion de fleurs qui deviennent des grains de raisin, j’ai tenu à poursuivre dans le voie du non-rognage mise en place il y a de nombreuses années.
C’était selon moi une nécessité pour la vigne dans l’année mais aussi pour les années suivantes.
J’avais eu le même raisonnement en 2007, au risque d’en payer le prix sur les attaques de mildiou en maintenant un inoculum sur les feuilles. Et en 2008, on avait tourné la page du millésime précédent mais la vigne n’avait pas oublié l’effet positif pour elle de cette pratique.
Là, c’est la même chose. Malgré l’excès d’eau dans le sol qui allait rendre la vigne « poussante » quel que soit le temps estival, il fallait lui donner les conditions physiologiques pour qu’elle puisse suivre un cycle le plus normal possible avec un arrêt de croissance dans l’été pour une bonne maturation. Seul le non-rognage le permet. Il est d’autant plus nécessaire quand l’humidité est présente...mais il est aussi d’autant plus difficile à tenir quand justement, la vigne ne cesse de faire de nouvelles feuilles.
Il a donc fallu une présence bien plus forte que les autres années pour faire, refaire et refaire encore les fameux ponts qui remplacent le rognage.
Il faut ajouter le fait que chez nous le rendement que nous souhaitons, soit 35hl/ha, doit être obtenu sans rectification de charge par des vendanges vertes. La vigueur du vignoble est donc conditionnée par cela. Il est évident que quand un phénomène extérieur diminue le potentiel de rendement, on a effectivement un manque à la fin. Les vendanges vertes tamponnent les excès du climat dans un sens et dans l’autres mais possèdent des effets pervers que je ne souhaite plus voir chez nous.
On a supporté ces conditions peu favorables jusqu’à la fin juin. Evidemment, j’ai adapté les soins biodynamiques au climat que nous subissions, terroir par terroir et cépage par cépage.
Le temps a basculé au beau et même très chaud en juillet avec des températures proches de la canicule.
On a pu enfin souffler. Là aussi, il a été nécessaire de faire évoluer les traitements pour tenir compte de cette nouvelle donne.
Cela étant, le mildiou s’est progressivement développé sur feuilles durant tout l’été malgré des conditions qui sur le papier ne lui étaient pas favorables du tout.
Puis la nature nous a envoyé un coup rude le 26 juillet au soir. Une véritable tornade a traversé notre petite région et particulièrement Pauillac. La coiffe du clocher de l’église s’est envolée et allant atterrir sur une maison plusieurs dizaines de mètres plus loin ; risquant de tuer l’occupante.
Heureusement, la vigne n’a pas subi de vrais dommages mis à part des pointes tordues sur les piquets et des rangs parfois légèrement couchés.
Les plus gros dommages ont concerné des toitures, la garenne du Château, une nouvelle fois marquée mais surtout c’est notre plantation de peupliers de 15 ans qui a été décimée. 95% des arbres ont été coupés à mi-hauteur alors qu’ils étaient bons à exploiter.
Un vrai coup au moral même si ce n’est pas vital pour nous.
La véraison est intervenue au début aout. On commençait à entendre des dates particulièrement tardives pour le début des vendanges.
Heureusement, dans ce contexte morose, aout et la première moitié de septembre ont été chauds et secs.
La maturation a été chaotique. Mais paradoxalement c’est peut-être la faible production qui nous a sauvés. En effet, dans les conditions de l’année, la vigne n’aurait jamais pu vraiment murir une récolte « normale ». Pourquoi cela, je ne sais pas car on a déjà eu des mois d’aout et septembre bien pires avec une meilleure efficacité. La viticulture n’est pas une science exacte !
Très vite les grains se sont bien goûtés sur le domaine. Et je n’envisageais pas qu’on puisse attendre au 15 ou 20 septembre comme on l’entendait, même en cas de vrai beau temps.
La biodynamie a changé les raisins depuis plusieurs années et c’est particulièrement vrai pour le cabernet-sauvignon.
Les pluies de fin septembre ont ensuite changé la donne. Tout le monde s’est mis à surveiller l’état sanitaire des grappes et quand la situation a évolué de manière visible, les gens ont commencé les vendanges.
Chez nous, ce fut le 30 septembre avec une équipe. Puis l’humidité persistante nous a suggéré de convoquer la deuxième équipe pour cueillir les parcelles de cabernet sauvignon au meilleur moment (dans le millésime).
On a alors terminé le 10 octobre.
Le rendement est de fait lilliputien car il devrait être voisin de 15hl/ha ; du jamais vu depuis très longtemps. C’est sûrement dans la fourchette basse des rendements mais les plus élevés ne devraient pas être très élevés.
Il s’agit de ma 25ème vendange à Pontet-Canet ; un cap psychologique évident mais avec un accouchement difficile.
Avec 23 cuves au lieu de 45 et le cuvier bois pratiquement vide, il faut se concentrer pour garder le lien nécessaire avec les cuves.
Je l’ai souvent dit, la vinification est devenu chez nous un acte secondaire. C’est-à-dire qu’il faut la faire sérieusement mais sans espérer changer le potentiel de la vendange de départ.
Cette année encore, les intensités d’extraction sont dans la lignée des années précédentes et donc très faibles. Ce n’est pas un choix personnel mais une constatation qui s’impose à moi quand tous les jours je déguste les moûts pour élaborer la suite des niveaux d’extraction.
Cela étant, je suis satisfait du niveau de qualité des vins jeunes. Personne n’a encore fini de fermenter et je suis optimiste pour les assemblages. Mais je ne referai pas une fois de plus le coup de l’année du siècle…Donc, je n’en dis pas plus.
Cependant, je suis suffisamment confiant pour penser qu'il ne devrait pas y avoir obligation d'aller chercher ses magnums de 2013 à Vingrau pour les enfants nés dans l'année...
-D;)
Par contre, les chais à barriques seront pratiquement vides.
C’est une année qui montre que la viticulture est une partie de l’agriculture et qu’on est soumis aux aléas du climat.
Les néo-investisseurs de la filière vont avoir besoin de toute leur motivation pour supporter des comptes d’exploitation qui seront la plupart du temps négatifs ; mais dans tous les cas très loin de la situation après 2009 et 2010.
C’est sûrement la principale leçon de ce millésime hors-normes du début à fin.
Il est encore trop tôt pour tirer des leçons de ce qui a marché et ce qui au contraire n'a pas été à la hauteur de mes attentes. Et je sais déjà que dans ce dernier cas, la liste est longue.
Heureusement, on a pu aussi découvrir des perspectives nouvelles qu'il faudra fouiller dans le futur. Parfois c'est pour l'an prochain, mais il arrive aussi qu'on se fixe un programme sur les 30 ans à venir, donc il n'y a pas matière à s'ennuyer...