Le millésime 2020 au domaine Guy Roulot
J2 de notre excursion printanière, presque estivale de part sa météo. Et c'est un Jean-Marc Roulot avec une barbe de plusieurs jours qui nous accueille sous un ciel parfaitement azuré. Pour répondre à mon expression de visage probablement interrogatrice, il prend les devants: "La barbe? c'est pour mon autre métier, en préparation d'un tournage
".
Nous sommes accompagnés cette fois d'un petit groupe de jeunes parisiens puis serons vite ralliés par de tous jeunes importateurs taïwanais et hong-kongais ayant fait une partie de leurs études à Dijon. C'est une première pour eux au domaine, comme quoi la Bourgogne demeure une région d'accueil, et nos hôtes répondront à leurs interrogations, même les plus simples. Bon j'avoue que nous avons quasiment monopolisé le flux des questions
.
Nous apercevons un nouveau visage:
- Bonjour je vous présente Julien, notre directeur technique. Il est au domaine depuis deux ans. C'est lui qui va débuter la dégustation. Je vous rejoindrai ensuite.
- Pouvons-nous lui poser toutes les questions?
- Oui, bien entendu. Il sait déjà tout
.
- Je vais tâcher de répondre au mieux, rebondit Julien.
Direction la cave, sauf qu'au lieu de nous rendre tout droit vers le pupitre habituel, nous bifurquons à gauche, entre deux murs de bouteilles non encore habillées. Nous aboutissons sur un grand plan marbré noir où sont déjà entreposés les flacons contenant la dégustation à venir.
- Nous ne vous avions pas encore rencontré. Qu'est-ce qui vous a mené au domaine?
- Ici, je peux voir et gérer plusieurs itinéraires techniques dont la distillation. C'est génial. Sinon je suis passé par différents domaines avant d'arriver ici, notamment dans l'Oregon avec Felipe Ramirez ou en Bourgogne chez d'Angerville.
Adapter ses gestes après le gel du Printemps 2021
- Parlons de 2021, à quelle date vendangez-vous?
- Je n'ai plus le jour exact en tête. Une équipe de vendangeurs nous a fait faux bond. Nous avons récolté plus tard que beaucoup de personnes. Après nous avons mis le même temps qu'habituellement, 12 à 15 jours.
Le domaine nous précise post-visite: "Le 19 septembre. Cette année les conditions étaient tellement compliquées que beaucoup de domaine se sont retrouvés dans les vignes au même moment."
- Et dans quel état étaient les raisins?
- Nous avons eu de l'oïdium. Nous avons tout séparé dès les parcelles. Un premier tri y a été fait pour séparer ce qui était touché de ce qui ne l'était pas. Au chai, il y a eu un second tri strict sur ce qui était touché.
- A quels rendements aboutissez-vous au final?
- Entre 8 et 20 hl selon les endroits.
- Sic!
- Ca fait -70%.
- Vous avez probablement retardé la taille en conséquence cette année. Quelques uns de vos confrères nous ont évoqué ce levier pour retarder la pousse et réduire un peu le risque du gel.
- Effectivement, nous taillions habituellement en fin d'année. Là les plantes ne sont pas encore taillées ni plumées. Les vignes les plus anciennes sont taillées mais non plumées. Nous allons nous y mettre. On dégrossit à l'électrique et on finit en manuel.
- Quels niveaux d'acidité obtenez-vous sur le millésime?
- Je n'ai pas l'AT en tête. En terme de PH, en fin de fermentation, nous sommes à 3,05 - 3,25. En 2020, nous étions à 3,20 - 3,35.
Bourgogne blanc
"C'est un vin important pour le domaine. Il représente 1/3 de notre production. 5 ha sur les presque 16."
Ce Chardonnay présente une maturité avancée en sa partie haute. Une belle concentration sur des notes de reine-claude et une bille tonique faite de zeste de citron vert et de pulpe blanche d'agrumes en son centre. Ce n'est pas le plus précis des Bourgognes en comparaison aux millésimes plus frais. Il existe néanmoins en finale une relance énergique entre la mirabelle dorée par le soleil et le cédrat. Un région d'un bon niveau que l'on pourra probablement patienter.
B
- Au regard de la superficie dont vous disposez, et parce que nous en croisons de plus en plus, n'avez-vous pas été tentés de faire du parcellaire sur le Bourgogne?
- Je ne vais pas parler pour Jean-Marc mais il pense probablement la même chose. Il ne faut pas faire du parcellaire si c'est pour dépouiller le Bourgogne générique. On perdrait certains équilibres si nous le faisions. Et est-ce qu'en faisant ainsi on arrive à raconter une histoire plus précise? Je n'en suis pas sûr. Ce n'est donc pas à l'ordre du jour.
Meursault
"C'est notre Meursault générique. Son assemblage contient quelques jeunes vignes."
La délimitation de la forme passe ici un cap, une netteté de bouche supérieure. Le coeur est dense, à la fois vertical et mûr. Il est traversé par un punch sur le kumquat.
B+
- L'année a été très pluvieuse, jusqu'à mi/fin Juillet dans certaines régions. Etes-vous parvenus à rentrer à chaque fois dans vos rangs?
- Nous avons eu un moment un peu long en Juin sans pouvoir y aller.
Meursault, Les Vireuils
Un équilibre plus végétal car il présente des notes de fougères en première approche. Quelques secondes d'aération et le vin se met en mouvement sur une belle, très belle dynamique qui propulse l'ensemble dans le temps. Un bonbon avec du pep's. Une partition d'une belle délicatesse.
TB
le choix des végétaux dans le renouvellement des parcelles
- Vous renouvelez régulièrement une partie de votre patrimoine végétal. Où en êtes-vous aujourd'hui?
- Jean-Marc avait hérité de son père des vignes en très bon état. Il est normal de rafraîchir les vignobles. Tillets revient. D'ailleurs même lorsque la 4ème feuille est arrivée, nous ne séparons les vins que s'ils goûtent bien individuellement. Une partie des Porusot est également revenue en production.
- Avec quoi avez-vous replanté?
- Luchets a été replanté avec du 3309, beaucoup. Tout a été taillé en Guyot Poussard. Avec le gel nous avons eu pas mal de rappels. Nous avons du coup tout refait en Guyot Poussard. Cette année nous allons regarder quelques sélections massales pour complanter. Nous choisirons celles qui ont le mieux résisté à la pression fongique.
Meursault, Les Meix Chavaux
"- Des vignes viennent de rentrer en production.
- Il me semble que les rangs contiennent des pieds anciens.
- Oui, le plus vieux bout dans les Meix date des années 1930. Je vais essayer de récupérer quelques individus pour les redisséminer ailleurs.
- En parlant de population, quelle est la profondeur de votre bibliothèque de pieds?
- Environ 200 à 300 ceps. Ca fluctue."
Un terroir à la résultante plus épicée. Des sphères de citron caviar qui tapissent les papilles. Une légère amertume en contrepoids. C'est dans le fonds de la gorge que le vin déploie tout son volume.
TB-
Meursault, Les Luchets
Effet séquence probablement, l'entame est ici plus discrète. La suite est également sur la retenue. La maîtrise semble supérieure puisque l'ensemble est serré et contenu. L'aération lui fait prendre des notes d'acacias dans les joues. De l'aubépine et une petite touche de citrus complètent le tableau.
B+. J'ai dû passer à côté, mes voisins ont bien apprécié.
- Je viens de terminer la mise 2020 avec la partie négoce. Ca a pris 2 mois pour l'ensemble du millésime. L'ordre ne suit pas le niveau des appellations. On a goûté à l'aveugle et seulement après nous décidions de l'embouteillage.
- Comment s'est répartie la durée de l'élevage?
- 12 mois en fûts, 6 mois en inox sur lies. On le fait assez tôt car c'est un levier efficace pour retendre les vins. Et il est indispensable de garder les lies.
Meursault, Les Narvaux
J'ai eu une absence répétée pendant plusieurs années
ou alors je n'ai jamais goûté ce vin auparavant...
"- Je ne me rappelle pas avoir déjà goûté ce lieu-dit.
- Nous avons deux parcelles en Narvaux, une vieille vigne que nous exploitons depuis 2019 et une autre, voisine de la première, qui a été replantée en 2015, première récolte en 2017. Les trois 1er millésimes de cette nouvelle parcelle ont fait partie de la cuvée de Meursault générique. C’est la première fois, avec le millésime 2020, qu’on assemble les deux parcelles pour la cuvée de Narvaux. Pour vous décrire l'endroit: le sol présente des différences de profondeur d'argile très importantes. Par endroit il est impossible de planter des piquets. Une partie est constituée de jeunes vignes, l'autre est plus vieille."
Malgré la fraîcheur, le nez est plus perceptible ici. De la poire, de l'ananas mûr et de l'écorce d'agrumes verts. En bouche l'assise est plus large et solide que les parcellaires précédents. L'ensemble est bien installé jusque dans le moindre recoin des joues lorsque des notes de main de Bouddha en périphérie déclenchent un effet très salivant pour une finale d'une grande longueur.
TB+
2020 comparativement à ses aînés et la biodiversité
Jean-Marc nous se joint à nous à ce moment-là.
- Comment étaient les vins?
- Vireuils présentait un saut réel avec le Meursault. Meix possède des épices et un beau volume. Derrière, Luchets se faisait plus timide. Probablement par contraste au vin qui l'a précédé.
- J'aime bien Luchets.
- C'est également celui que j'ai préféré, nous dit mon voisin de droite, Paul.
- Je retente ma chance avec les dates de vendanges
.
- En 2020, nous commençons le 20 Août et terminons le 29. En 2021, je n'ai plus la date exacte non plus. Nous terminons en Octobre.
Meursault, A mon plaisir, Clos du Haut Tesson
"Les vignes ont été plantées en 1959 et 1961. A l'époque mon père n'avait pas de cru. Il a été le premier à explorer les lieux-dits."
Un registre un peu plus amer avec du calisson, du zeste de combava et de pomelos. La matière est bien plus épaisse ici. La tension joue en arrière plan.
TB+ voire plus pour le potentiel.
TB- dans l'immédiateté.
Meursault, 1er cru Porusot
"Des jeunes vignes situées dans « Le Porusot » sont revenues en production. Elles sont assemblées avec les vignes plus âgées que nous avons en Porusot dessous."
Un nez caillouteux, pierreux du plus bel effet. En bouche c'est moins calcaire, davantage sur l'amande, la chair asséchée du melon et les épices. Le tout est enveloppé par une petite texture douceureuse. C'est sur la pointe de la langue que se situe le nerf vif du vin. La persistance salivante a encore passé un cap avec ce cru.
TB+
- Pouvez-vous nous rappeler les rendements en 2020?
- Nous faisons du 40 hl. 8 à 10hl en 2021 au plus bas. Qu'avez-vous pu déjà goûter depuis le début de votre séjour?
- 2021 et 2020, tant sur Nuits que sur Beaune. C'est le grand écart.
- Je confirme.
- J'apprécie sur 2020 le côté mûr potentiellement taillé pour durer et l'acidité supplémentaire comparativement à 2019 qui rend l'ensemble très digeste. Même si je ne l'ai pas goûté récemment, cela me rappelle 2012 au même moment.
- Je mettrais 2020 comme un millésime entre 2017 et 2018.
- Sur 2021, les couleurs sont bien plus claires. La concentration et les maturités semblent moindres. Mais nous avons goûté des choses très chouettes.
- 2021 c'est un peu le retour des millésimes comme on en faisait dans les années 50-60
.
Meursault, 1er cru Charmes
- De mémoire il s'agit des Dessous.
- Exact. Il y de très vieilles vignes plantées en 1942.
Une grande fraîcheur faite non pas sur l'acidité mais sur la clarté de la teinte des fruits: de l'eau d'ananas, de la poire, du citron jaune, une grande fluidité. Aucune aspérité ne vient freiner le parcours. Un profil toujours longiligne et un fond doté d'une suave matière.
Exc
Meursault, 1er cru Clos des Bouchères
"C'est en général l'un des endroits que l'on vendange le plus tôt. Ce ne fut pas forcément le cas en 2021. Nous allons y amener de la biodiversité en plantant des arbustes là où ça ne gêne pas trop. Nous ferons de même sur Tessons, Clos de la Baronne et Meix. C'est déjà fait pour Luchets."
Une entame suave, un peu plus amère, sur la fougère, le tilleul et la fleur d'acacias. Le poivre gris et le clou de girofle qui succèdent à l'attaque confèrent une bouche plus chaleureuse. Et cette fois-ci ce ne sont pas uniquement les agrumes qui tendent le vin mais également des notes iodées/salines du plus bel effet.
TB+/Exc-
La gestion du soufre
- A quel niveau de soufre vous situez-vous?
- J'ai un peu corrigé avant la mise pour atteindre 30 de libre, nous répond Julien. C'est le niveau total qui est assez bas.
Et Jean-Marc nous précise:
- Nous ne sulfitons plus sous le pressoir et avons diminué les doses de soufre sur moûts. Sur quelques essais (2018, 2020, 2021) nous avons travaillé sans souffre jusqu’à la malo en essayant de retarder au maximum l’apport de SO2. En 2018 on a été jusqu’à produire un Aligoté sans souffre, juste pour voir, pour l’expérience. Même pour les cuvées travaillées de façon classique, on goûte régulièrement pour estimer le bon moment pour intervenir et ne plus ajouter systématiquement le SO2 à la seule vue d’une analyse qui confirme une fin de malo. Ce sont des pistes que l’on travaille, on ne va pas faire des Meursault sans souffre mais on explore plusieurs voies pour essayer de réduire le souffre autant qu’il sera possible de le faire.
Meursault, 1er cru Perrières
Dès les premiers instants une sacrée énergie se dégage des premières gouttes de la gorgée. C'est tonique, pierreux, plein et dense. Le haut de bouche est capté par une évanescence des plus virevoltante. Et le socle s'appuie sur de solides fondations. C'est concentré et traversé par un filin d'agrumes tendus en son centre. #Goosebumps. Aucun doute
Grand vin. Le blanc du séjour. Et le large sourire de mes camarades ne le contredit point.
Corton Charlemagne, grand cru
- Vous aviez déjà goûté mon négoce?
- Oui sur le millésime 2014. Ce sont des achats de raisins ou de jus?
- De raisins. Nous avons 3 approvisionnements dont 2 au Nord, sur la partie des Hautes Mourottes. L'idée c'est d'élever l'ensemble dans 20 à 25% de fûts neufs. Sur 2021, nous avons 2,5 pièces.
Un vin probablement lui aussi desservi par le vin qui l'a précédé. Son volume, moindre, occupe plutôt la largeur. Sa délimitation est contenue. Et sa tenue est correcte. Il existe néanmoins une certaine complexité avec une languette de lime sur le devant et des épices en son pourtour. L'élevage est comparativement légèrement plus marqué.
TB-
Des projets en continu
- Vous continuez vos liqueurs et alcools forts.
- Oui. Les volumes d'abricots ont explosé cette année.
- Pas d'impact du gel?
- Non. Nous avons récupéré 9 tonnes. 5 seront dédiés à la liqueur. Et nous avons eu 4 x 1 tonne de 4 variétés différentes pour la distillation.
- Et vous avez toujours vos autres fruits.
- Le citron l'an dernier, en provenance de Sicile.
- De votre ami avec qui vous faites Chacra?
- Piero? Il est de Toscane
.
NDLR: Lecture faite sur le web, je vois maintenant qui est Piero Incisa della Rocchetta... Il fait un petit vin de pays sans prétention . Je suis vraiment ignare en vins Italiens .
- De la framboise aussi.
- La framboise est macérée, puis distillée.
- Vous vous rendez toujours à Chacra?
- Oui nous en revenons tous les deux.
- C'est un long voyage je présume.
- De porte à porte, 35h.
- Ouch. Vous y avez plus de liberté là-bas, comme l'irrigation par exemple.
- Le domaine a beaucoup évolué entre son achat et maintenant. Ils sont complètement autonomes désormais. Les 3/4 du domaine ne sont plus traités.
- Vous y allez pour les blancs mais il me semble que les rouges sont du Pinot. Vous avez peut-être ramené quelques idées?
- Non, les blancs m'occupent déjà bien.
Il est temps de partir, des étoiles plein les papilles. 2020 possède ici un équilibre qui allie maturité perceptible et acidité. Et la formule convient bien à l'évolution de mes goûts. Il existe en effet sur ce millésime un supplément de tension qui dote d'une allonge aérienne et filante un ensemble de vins solidement mûrs où l'identité de chaque lieu-dit continue à s'exprimer clairement. Merci Julien, merci Monsieur Roulot pour ce délicieux et instructif moment.