MR Lanèfle
On conçoit que le sel modifie les perceptions. Très bien.
Ma référence à la thermodynamique du vivant était effectivement non avenue
Désolé je devrais citer des références
ça va embêter peut-être Mr Daviolo que derrière un discours qu'il qualifie de pédant et phrasé, il y a malheureusement beaucoup de travail de lecture, de rassemblement d'information.
Lois thermodynamiques et biologie
Comprendre pourquoi le jus devient vin
La thermodynamique est un ensemble de lois qui permettent de prédire l’évolution d’un système. Bien qu’elle ne soit que très peu appliquée pour des systèmes biologiques, il serait intéressant de connaître ses applications au vin, ne serait-ce que pour comprendre ce qu’est la stabilité d’un vin et comprendre la fermentation au plan thermodynamique. Ce texte est très inspiré d’un ouvrage de Jean-Nicolas Tournier : “Le vivant décodé”, dont les propos sont repris et appliqués aux questions œnologiques.
Les phénomènes de la vie peuvent-ils être expliqués par des concepts utilisés en physique comme les lois thermodynamiques. Ces lois sur “les systèmes en équilibre” s’appliquent-elles à une fermentation ? Il n’y a pas de débat de ce point de vue dans l’enseignement de la biologie, et a fortiori en œnologie. Les biologistes ne sont pas enclins à porter une réflexion sur la thermodynamique de la vie. “Ses lois seraient insuffisantes pour être opératoires en biologie.”
Pourtant, l’idée d’évolution du vivant est associée à une croissance de l’organisation et à la formation de structures de plus en plus complexes. L’évolution est donc associée à des notions de thermodynamique.
Mais la complexification de la matière a conduit à penser que l’organisation biologique ne pouvait être décrite à partir des lois de la thermodynamique. Car cette évolution va à l’encontre du deuxième principe de la thermodynamique. Rappelons les deux principes. Le premier porte sur la loi de la conservation de l’énergie pour tous les systèmes. “L’accroissement de l’énergie au sein du système est égal à l’énergie reçue par celui-ci.” Selon le deuxième principe, “un système isolé évolue spontanément vers un état d’équilibre qui correspond à l’entropie maximale, c’est-à-dire au plus grand désordre”. Rappelons que l’entropie, notion relativement abstraite, est une grandeur physique qui caractérise “l’état de désordre de la matière”. La notion d’ordre en thermodynamique est très large : la complexité moléculaire, l’arrangement cristallographique, un cycle biologique soumis au rythme circadien.
Selon ce deuxième principe, l’évolution spontanée vers le désordre pourrait caractériser par exemple dans le vivant la dégradation de la matière organique. En comparant deux systèmes, celui du jus et celui du vin : le système a évolué à partir de macromolécules complexes, des sucres, des protéines, vers des molécules plus simples. Ce deuxième principe de la thermodynamique a conduit à démontrer en physique une certaine irréversibilité de la transformation de l’énergie. Il conduit progressivement à “la détérioration de la qualité de l’énergie qui se dégrade et s’uniformise”. “L’entropie, grandeur physique, introduit le sens de ces transformations.” Plus il y a désordre d’un système, plus son entropie augmente.
Ces deux principes qui sont à la base de la thermodynamique classique, permettent de décrire la plupart des systèmes en physique comme les moteurs thermiques. Et en biologie ?
Depuis 4 milliards d’années, la cellule n’a cessé de se complexifier. Le vivant est capable de réordonner la matière et donc de diminuer l’entropie d’un système. Dans une bouteille de vin, une prolifération spontanée de levures ou de bactéries à partir de quelques germes traduit ce réordonnancement de la matière. Aussi, envers et contre ce deuxième principe de la thermodynamie, les phénomènes vitaux sont-ils problématiques dans la mesure où un liquide biologique contient des “cellules capables de produire de l’ordre”, de construire des édifices macromoléculaires en conséquence de quoi l’entropie du système devrait diminuer. Notons cependant qu’entre un jus constitué de protéines, de sucres, d’hétérosides et de polyphénols complexes et l’état final qu’est le vin, l’entropie (état de désordre) a augmenté, conformément au deuxième principe.
Ainsi que l’écrit Jean-Nicolas Tournier, se posait la question d’introduire “un principe contradictoire pour faire entrer la vie dans le champ d’une explication physicochimique rationnelle”. C’est le physicien Boltzmann qui a tenté de lever la première fois l’ambiguïté en proposant de différencier les approches macroscopiques et microscopiques : un ordonnancement de la matière par les cellules, mais globalement une entropie croissante. Entre une levure, une bouteille de vin ou une cuve, la question est donc de savoir quel système est à considérer. Trois types de systèmes sont considérés en thermodynamique. Le système ouvert qui échange de l’énergie et de la matière, le système fermé qui n’échange que de l’énergie et le système clos qui n’échange ni énergie, ni matière.
Aussi une bouteille de vin avec un bouchage parfaitement hermétique et inerte pourrait s’apparenter à un système fermé où les seuls échanges énergétiques proviennent des variations de température et de l’exposition à la lumière. Les lois thermodynamiques enseignent que dans un système fermé (cas de la bouteille de vin), la variation d’entropie est toujours positive. Ainsi le vin évolue inexorablement dans le sens de l’augmentation de l’état désordonné de l’énergie. Cependant, l’approche de Boltzmann était largement insuffisante pour expliquer notamment le hasard de la vie et pourquoi tel ou tel germe se met à proliférer, à ordonner la matière, dans un système fermé.
Pour expliquer les phénomènes, le physicien Illya Prigogine a proposé de se placer au niveau de la levure et de la considérer comme un système ouvert, c’est-à-dire qui échange de l’énergie ou de la matière avec son milieu. “Loin de l’équilibre thermodynamique environnant, la cellule est stabilisée grâce à sa consommation d’énergie.” Elle a besoin de consommer de l’énergie pour maintenir son équilibre. Cette “loi thermodynamique de non-équilibre” explique comment des organisations biologiques peuvent se développer à partir du désordre. C’est le concept de “structure dissipative” ainsi développé par Prigogine. Il explique comment des cellules arrivent à proliférer. Et ainsi à se créer “un système auto-entretenu dans un état hors de l’équilibre thermodynamique”. Dans la thèse de Prigogine, le cycle de la glycolyse - réaction essentielle pour l’énergétique des cellules vivantes dont la levure - est un système dissipatif. C’est un “cycle maintenu “limite stable dans le temps” - oscillations de période et amplitude constantes - pour que l’énergie de la cellule soit maintenue “au-delà de l’instabilité d’un état stationnaire de non-équilibre”.
Le cycle de la glycolyse de la levure est un système dissipatif qui consomme de l’énergie solaire chimique - les sucres - “dont l’oxydation libère de l’énergie pour d’autres besoins cellulaires”. Sa mort jusqu’au phénomène d’autolyse correspond au retour à l’équilibre thermodynamique à l’échelle de la cuve si on considère cette dernière comme un système fermé.
DL
Jean Nicolas Tournier, « le vivant décodé »
Illya Prigogine, 1917-2003 : Lois thermodynamiques et biologie.