Les points abordés ci dessus illustrent la lecture du
traité d'oenologie Tome 1, relatif aux travaux de Frezier, Dubourdieu et Masneuf dans les années 90 sur les levures.
Point n°1 : les souches de levures sont elles présentes au vignoble?
Oui puisqu'il est possible de réaliser une fermentation avec des raisins récoltés, pressés, sulfités et fermentés dans des conditions stériles. Une ou plusieurs souches de levures présentes sur le raisin est ou sont capable(s) de fermenter un moût.
Point n°2 : est ce la même souche de levure responsable de la fermentation des moûts chaque année? (dans le cas des fermentations spontanées)
Il a été montré que certaines mêmes souches de S. cerevisiae isolées lors de fermentation issus d'une même parcelle de vigne et dans plusieurs millésimes, intervenaient. Mais cette répétition n'est pas systématique. D'autres souches majoritaires peuvent se développer.
Point n°3 : quelles autres levures sont présentes sur le raisin et présentent elles un risque lors de la fermentation?
S.cerevisiae responsable de la plupart des fermentations de moûts de raisin est étonnamment présente en quantité limitée sur la peau des baies avant fermentation. On retrouvera préférentiellement des levures à métabolisme oxydatif tel Rhodotorula et quelques espèces non fermentaires dont les espèces apiculées Kloeckera apiculata.
Après sulfitage de la vendange, S.cerevisiae est la levure qui s'implante le mieux sur un prélèvement de moût en début de fermentation.
Dans le cas d'une vendange non sulfitée, S.cerevisiae est beaucoup moins représentée et ce sont les levures apiculées qu'on retrouve en plus grand nombre.
Néanmoins dans les deux cas, on se rend compte que cerevisiae reprend vite le dessus en milieu de fermentation. Il n'y a donc a priori pas de risque de déviations aromatiques en cours de fermentation.
En fin de fermentation, la population de cerevisiae diminue progressivement. Si les sucres sont épuisés rapidement dans des bonnes conditions de fermentation, aucune autre espèce n'est susceptible de se développer significativement.
En revanche dans le cadre d'une fermentation dite languissante, il est possible de voir se développer des levures non désirées telles que Brettanomyces, responsable des goûts d'écurie.
En conséquence, que ce soit une fermentation naturelle issue de souches présentes au vignoble ou bien d'une fermentation maîtrisée par l'apport de souches sélectionnées, il n'y a peu à craindre de déviations aromatiques durant la fermentation, si ce n'est le possible risque d'une fermentation languissante dans le cas des vins naturels.
Point n°4 : la fermentation alccolique est elle neutre sur le plan aromatique?
Reprenons un peu nos vieux cours de chimie!
Les levures dégradent les sucres de 4 manières :
la
glycolyse : précurseur de la fermentation alcoolique, elle permet par une chaîne enzymatique de transformer le glucose en pyruvate
la
fermentation alcoolique : elle transforme ce pyruvate en éthanol.
la
fermentation glycéropyruvique : chaîne de transformation moins connue, elle est pourtant importante ; elle conduit à la synthèse de glycérol et produits secondaires à partir du pyruvate (comme le diacétyle responsable de la note beurrée)
la
respiration : le même pyruvate entre dans un cycle de transformation (cycle de Krebs) qui permet d'obtenir l'énergie suffisante pour l'ensemble des biosynthèse de la cellule.
Point 4.1.
Parmi les produits secondaires de la fermentation glycéropyruvique, l'acétaldéhyde est responsable de l'arôme « purée de pommes » (arôme oxydatif donc). Si la fermentation est languissante, l'acétaldéhyde a tendance à s'accumuler et la seule manière de le confiner alors est d'utiliser des doses massives de dioxyde de soufre pour le combiner et qu'il reste une partie libre pour protéger le vin de l'oxydation.
Mais attention, l'utilisation massive de sulfites sur la vendange, donc avant fermentation, est toxique pour la levure qui se met à synthétiser plus d'acétaldéhyde pour combiner le dioxyde de soufre.
Bilan, le soufre total s'accumule dans le vin.
Par conséquent, l'emploi de sulfites est à raisonner sur la vendange, surtout si cette dernière est saine, ou convenablement triée. L'ajout de sulfites n'est également pas une garantie de protection si la partie libre (non combinée par l'acétaldéhyde) n'est pas en quantité suffisante dans le vin.
Point 4.2.
L'acide acétique (vinaigre) est également produit par la levure lors de la fermentation. En conditions normales, le taux d'acide acétique synthétisé varie entre 100 et 300 mg/L, ce qui n'est pas suffisant pour ressentir une déviation aromatique.
Le taux peut s'accumuler pour différentes raisons :
la richesse du moût en sucres conduit à plus d'acide acétique
les moûts botrytisés induisent une inhibition de croissance des levures qui favorise la teneur en acide acétique
les conditions anaérobies, des pH très bas ou très hauts (3,9), des carences du moûts en acides aminés et vitamines, des températures trop élevées (au delà de 30°C) en pleine croissance des levures, induisent également l'augmentation de la molécule.
Aussi, les bactéries lactiques responsables de la fermentation malolactique peuvent se développer au profit d'un moût fermentant lentement et avec des sucres résiduels et provoquer l'accumulation d'acide acétique. On parle alors de piqûre lactique.
Point 4.3.
Le diacétyle, dont j'avais parlé comme composé produit par la fermentation glycéropyruvique, est produit par la levure en début de fermentation mais est rapidement réduit en molécules moins odorantes.
Les bactéries lactiques en revanche, dans le cas des vins qui réalisent leur fermentation malolactique (transformation de l'acide malique en acide lactique) produisent ces composés carbonylés en quantité plus importante que les levures. On parle d'arômes beurrés, voire beurre rance si ces composés sont en concentration trop importante.
Point 4.4.
Mais les levures ne dégradent pas que les sucres dans le moût : elles interviennent aussi sur les acides aminés. Ces derniers n'ont pas d'impact aromatique mais certaines chaînes de transformation conduisent à la formation d'alcools supérieurs.
Excepté le phényléthanol qui évoque la rose, les autres alcools supérieurs sont plutôt malodorants.
Certains sont lourds comme l'alcool isoamylique (odeur de solvant).
Certains rappellent l'odeur de chou (donc de réduction)
Mais heureusement, ces défauts sont souvent mineurs et correspondent plus à des vins vinifiés à haut rendement, dilués ou sans caractère.
A noter que les levures sélectionnées ont une activité estérase souvent accrue ; ces enzymes permettent de transformer les alcools supérieurs en molécules bien mieux odorantes : le fameux arôme de banane ou bien l'odeur de rose, la figue... Ne pas s'imaginer donc que l'arôme du beaujolais nouveau varie à cause du millésime!
Dans le cas des levures dites « neutres », cette activité estérase est bien moindre, et perturbe beaucoup moins le profil aromatique du vin.
En conclusion, dire que la levure n'agit pas sur le profil aromatique du raisin est faux. Je pense avoir montré que beaucoup de chaînes de transformations chimiques dans le métabolisme de la levure mènent à des produits plus ou moins odorants.
En revanche, dans le cadre d'une fermentation bien menée, donc avec une consommation des sucres rapide et complète, la plupart des dérivations évoquées plus haut n'interviennent pas et le profil final est peu bousculé.
J'en reviens donc aux propos de M.Bettane sur les vins naturels :
Une vendange non protégée, des levures issues des raisins sont autant de risques de voir ses fermentations languir et dévier le profil aromatique. Cela est un risque qui à mon sens n'est pas acceptable quand le client est le consommateur lambda que nous sommes et acceptons les arômes de pomme fermière en guise d'expression du terroir. Mais cela est ma propre interprétation des vins naturels.
Voilà, j'ai été un peu long mais je pense qu'il est important de clarifier le rôle de la levure. La fermentation est certainement l'un des points les plus étudiés mais certainement encore le plus obscur.
François