Luc,
Loin de moi l'idée de ranimer le débat de l'opportunité ou non d'acheter en primeurs, et que nous avons clôt de manière fort civile il y a quelques semaines. Il est absolument évident qu'habituellement de nombreux beaux Bordeaux peuvent (encore) être trouvés dans le commerce après la mise. Souvent, et c'est vrai, à des prix avoisinant ceux des primeur (+/- 10%).
Mais à mon sens, il faut peut-être envisager les choses un peu différemment cette année. L'évolution prévisible des prix pour les (meilleurs) 2003 sera, probablement différente de celle des 2000.
- Par rapport aux prix des 2000: ainsi que le relève justement notre ami zbat dans une discussion parallèle (SOCIANDO MALLET : 23€ !!!! +38% !!!!), il y a, en 2004, des signes indiscutables de reprise économique dans le monde depuis plusieurs mois. On est donc actuellement au début d'une phase ascendante de reprise conjoncturelle. En 2000, nous étions exactement à l'autre bout du cycle économique, c'est à dire au sommet de la phase de croissance précédente, laquelle durait en gros depuis le milieu des années 90. Ce qu'on peut constater aujourd'hui, c'est qu'en quelques mois, la tornade financière a été d'une brutalité rare en 2001/2002. Ainsi, au moment de la sortie des 2000 sur le marché fin 2002, c'était encore la grosse tempête qui soufflait. La demande, bien que demeurant soutenue du fait des qualités intrinsèques du millésime 2000, avait cependant tari du fait de la situation financière altérée de nombreux amateurs de par le monde. Les prix de sortie des 2000 sont donc logiquement restés aux alentours des cotations en primeur. J'avais déjà utilisé cet argument voici plusieurs mois lors d'une de nos discussions.
(PS: A noter encore qu'avec leurs 2000, les "buveurs d'étiquettes" ont quand même réalisé quelques belles plus-values sur les noms les plus prestigieux.)
- Par rapport aux prix des 2003, en tenant compte des évolutions cycliques historiques, il y a fort à prévoir que d'ici fin 2005 - date de leur sortie sur le marché, nous avons probablement de grandes chances de nous trouver dans une période économiquement plus faste, où les richesses globales vont augmenter à l'échelle mondiale. Ceci est exactement à l'inverse de la situation prévalant en 2001/2003. Donc, si je devais m'aventurer à pronostiquer une évolution des cotations sur le millésime 2003, je présume qu'il faille tabler sur une hausse significative des prix sur les 2 prochaines années, du moins sur les 30 meilleurs vins estampillés "Parker". Au vu des évaluations élogieuses des critiques, il n'y a d'ailleurs aucune raison que les meilleurs 2003 ne rejoignent pas rapidement les niveaux de cotation des meilleurs 2000.
- Cependant, cette année, il y a un large élément irrationnel - beaucoup de gens faisant un amalgame hâtif "année chaude et sèche = année mythique". Or je viens de discuter hier soir avec Jacques Perrin, éminent dégustateur et (entre autres) membre du GJE de notre ami François Mauss. Après plusieurs semaines passées à Bordeaux, son avis est très partagé. Les grandes réussites sont littéralement phénoménales - totalement uniques et littéralement jouissives (selon ses mots). Mais il n'y a qu'une faible proportion de producteurs, toutes appellations confondues, qui entrent dans cette catégorie. Il se trouve que nombre de domaines - et pas des moindres - n'ont pas forcément réussi leur vinification. De nombreux terroirs ont également énormément fait souffrir la vigne. Il juge donc que beaucoup de 2003 sont lourds, alcoolisés, souffrant de mollesse structurelle, de manque de fraîcheur et de tannins envahissants, le ratio pépin / jus étant très élevé en 2003. L'acidification, pour ceux qui l'ont pratiqué, n'a pas forcément donné de beaux résultats, de plus, certains ont eu la main lourde...
Donc je rejoins (partiellement) le camp des sceptiques comme Luc, Yves, Claudius et d'autres. Il ne sert à rien d'alimenter la spéculation et de courir après des vins, dont les qualités intrinsèques et absolues ne sont absolument pas claires (un avis en la matière n'est certainement pas suffisant). Probablement que ceux d'entre nous qui désirent absolument acquérir les vins du Top 10, vont devoir le faire en primeur - tout en acceptant de payer une prime de 25-40% par rapport au prix 2002. Pour ces vins, les chances de voir leurs prix descendre dans les prochaines années, sont réalistiquement proches de zéro. Par contre, lorsque je vois des offres sur des châteaux, certes prestigieux, mais dont les qualités à long terme ne sont pas absolument claires aux yeux de certains experts objectifs, j'avoue ne pas bien comprendre la frénésie acheteuse actuelle.
Cette année, hors une poignée de vedettes incontournables, dont les noms ont déjà abondamment circulé sur ce forum, je pense qu'il faudra au contraire faire preuve de grande prudence. Il sera absolument essentiel de goûter avant d'acheter. Certains défauts, peu perceptibles encore lors de l'élevage, vont probablement apparaître avec le temps. Je ne serai pas surpris que la qualité finale de certains vins soit mise et cause et sanctionnée dans 3-5 ans.
Circonspectivement vôtre,
Alain