Le millésime 2018 au domaine Duroché
La période estivale me permet enfin de terminer l'écriture des compte-rendus de visites laissés en suspens jusqu'à présent. J'aurais pu ne pas les rédiger mais cela n'aurait pas fait honneur au temps que les vignerons ou leur moitié nous ont consacré
. Evoquons d'ailleurs ici notre dégustation au domaine géré par Pierre Duroché.
Au moment d'établir le programme, nous hésitons dans le choix. Il y a d'abord un nombre important de vignerons auxquels nous souhaitons rendre visite depuis quelques temps déjà. Et pour faire preuve de transparence, quelques-uns d'entre-nous avaient largement apprécié notre dégustation il y a 4 ans lorsque d'autres n'avaient pas eu le même grand enthousiasme. J'étais plutôt dans la seconde catégorie. Il faut dire que le millésime était plutôt compliqué. Nous avons finalement cédé à l'insistante persévérance de notre camarade du Québec "J'ai dégusté il y a 6 mois, c'était top!". Le propos concordait, et je ne plaisante pas
, à l'amélioration de la notation que des revues bien établies ont attribuée. Les vins se sont-ils donc améliorés?
Petit retour au Printemps dernier. Nous sortons de notre précédente dégustation à Gevrey et optimisons très largement notre temps et notre trajet puisque nous nous rendons à une centaine de mètres de là: destination Place du monument. C'est Marianne, l'épouse de Pierre, qui nous accueille. Des travaux ont manifestement eu lieu. Les murs ont été refaits et les portails ouvrent sur deux bâtisses désormais. Nous avions été reçus par Pierre dans celle de droite, nous nous engouffrons cette fois-ci à gauche dans celle abritant la salle de dégustation avant de descendre dans les caves.
- Bonjour, bienvenus.
- Bonjour. Nous n'avions pas eu l'opportunité de déguster en cave la fois dernière. Elle est en fait très grande. De ce que nous avons aperçu vous avez entrepris de sacrés travaux.
- Effectivement. Le tunnel reliant les 2 côtés date de 2013. Et la cave où reposent les bouteilles a été terminée en 2017. Il y a eu la salle de dégustation, l'enceinte du domaine, les portails, etc. Nous n'arrêtons pas puisque nous préparons la Saint-Vincent tournante de Janvier.
En écho à la conversation que nous avons eu la dernière fois avec Pierre, notre hôte nous fait part des changements de matériels:
- Nous avons investi dans une cuve thermorégulée pour refroidir le raisin.
- Cela vous permet de démarrer la pré-fermentation à froid du coup.
- Oui, c'est un outil utile à la direction que nous avons prise: conserver plus de fruit encore au goût. Je vous propose de commencer.
Les choix pour conserver de la fraîcheur sur le millésime 2018
Bourgogne
- Nous faisons 10 pièces de Bourgogne.
- Etes-vous contents de 2018? Avec un millésime plutôt mûr et le souvenir de 2003, avez-vous été tenté d'acidifier?
NDLR: je sais, ça commence sec
- Nous avons fait le choix de vendanger tôt. Nous commençons le 31 Août et nous avons enchaîné à partir du 3 Septembre. On souhaitait absolument garder de la fraîcheur. Nous avons commencé avec Gevrey le Clos car il était le plus mûr. Nous avons terminé les vendanges un dimanche en famille avec Griottes. La malo est bien faite, la fermentation alcoolique également. Il y a de la quantité et de la qualité. Au début, 2018 était plus fermé que 2017.
- Avez-vous fait d'autres choix en ce sens?
- La vinif a été plus courte, pour ne pas trop extraire. Il n'y a eu que des remontages.
Le fruit est très net. La matière n'est pas énorme mais l'office désaltérant est rempli.
AB+
Gevrey-Chambertin village
"Nous faisons environ 40 pièces."
Là également le vin est marqué par la gourmandise des fruits: cerise, fraise et framboise s'entremêlent. Le vin possède une épaisseur supérieure.
B
Gevrey-Chambertin, les Jeunes Rois
Un vin plus concentré qui s'étire sur l'acidulé de la groseille. L'arrière bouche révèle du fond.
B+
- Sur les vins dégustés jusqu'à présent, je leur trouve une netteté bien supérieure aux 2013 et 2014 abordés auparavant. L'impression que les évolutions entreprises se traduisent dans le vin.
- Merci. C'est gentil.
Une futaille variée à flux tendu
- L'élevage est court. En Novembre nous ferons la mise. Nous avons un seul jeu de tonneaux afin ne pas avoir de fût vide.
- Vous devez tout de même les renouveler régulièrement j'imagine.
- Nous travaillons avec 6 à 7 tonneliers différents. Nous cherchons à chaque fois des fûts neufs non toastés. Nous essayons un nouveau fabricant. Depuis l'an passé nous avons quelques fûts provenant de chez François Frères. Nous avions historiquement surtout Cadus.
Gevrey-Chambertin, Les Champs
" La parcelle se trouve au dessus de la route des grands-crus. Les raisins sont entièrement égrappés. Sur 2018, seuls les premiers-crus et les grands-crus ont de la vendange entière."
L'entame est encore réduite et il subsiste du perlant. En aérant et secouant un peu le verre, le registre des fruits rouges apparaît d'une maturité plus grande.
B
Gevrey-Chambertin, Aux Etelois
"Nous en prenons un tiers pour le séparer, le reste entre dans le village. C'est une parcelle enclavée entre Griottes et Charmes."
C'est très floral sur la rose et la violette et gourmand avec de la fraise mûre.
B+/TB-
Le négoce, les petites cuvées et le SO2
Vous aurez pu commencer à le remarquer à la lecture de la dégustation, les cuvées sont en nombre au domaine. Et encore, nous n'aurons pas goûté quelques vins du domaine - le Bourgogne blanc, Gevrey Le Clos et Gevrey 1er cru Estournelles Saint-Jacques - ni ceux issus du négoce.
- J'ai cru voir dans la salle de dégustation que vous aviez entre autre du Vosne-Romanée. C'est récent non? Peut-être du négoce?
- C'est le cas. Cela permet d'avoir un autre village.
- Cette activité provient probablement des liens familiaux de votre côté?
NDLR: Le père de Marianne est en effet vigneron sur Vosne. Pour ceux qui auront un peu suivi, c'est déjà elle qui nous y avait accueillis.
- Ce sont effectivement des achats auprès du domaine de mon père et mon frère.
Gevrey-Chambertin, 1er cru Champeaux
Une densité accrue se goûte dès l'attaque. L'entame est gourmande lorsque le fond est un peu plus strict.
B+/TB- également, mais plutôt pour des raisons de structures que de variété de saveurs.
- C'est le premier cru le plus au Nord. Nous en faisons 2 pièces. C'est également celui que nous avons le plus retravaillé car il produisait précédemment de gros raisins. Nous avons fait de la sélection massale depuis Clos de Bèze.
- Vous avez beaucoup de petites cuvées. Comment parvenez-vous à en gérer autant?
- Ce n'est pas un problème pour nous. Le plus important c'est un remplissage régulier. Nous ouillons parfois avec des petites billes en verre sur les petites quantités.
Gevrey-Chambertin, 1er cru Lavaut Saint-Jacques
"0% de vendanges entières. Nous avons 17 pièces sur les 23 auxquelles nous aurions le droit. Nous avons la chance d'avoir de bons clones. Mon beau-père n'a pas trop eu à replanter."
La rondeur d'accès est supérieure encore. La droiture et la plenitude dans sa portance emmènent l'ensemble dans les secondes.
TB
- A quelle part de SO2 avez-vous recours?
- Nous n'en utilisons pas beaucoup en vinif. Nous préférons le CO2 pour la protection du chapeau. Ensuite, les volumes oscillent entre 0,2 et 0,3. (...) La malo s'est terminée fin Janvier et ne n'y toucherons plus avant un certain moment, nous ne faisons pas de soutirage pendant l'élevage notamment.
Les grands crus
Nous poursuivons notre parcours dans les sous-sols du domaine pour nous diriger vers les grands crus.
Charmes-Chambertin, grand cru
Très digeste, de petites baies concentrées. Des micro-billes de fruits qui éclatent en bouche. De la matière et une largeur sans excès pour un Charmes. Une interprétation de la parcelle fort plaisante ici. Il y a encore un peu de perlant mais rien d'anormal à ce stade.
TB+/Exc
Latricières-Chambertin, grand cru
Des tanins d'une juste accroche, ceux qui persistent un quart de seconde en bouche avant de se laisser emporter par le flot. L'ossature et la structure sont plus verticaux que sur le vin précédent. Il subsiste un soupçon d'élevage. Le tout appelle néanmoins grandement à d'autres gorgées.
TB+/Exc-
Chambertin Clos de Bèze, grand cru
"Les vignes seront centenaires en 2020."
Une fluidité mariée à une concentration superlative. La plus belle sensation tactile de la série. La suavité du vin se dresse sur un filin tendu. Peut-être pas le cru le plus expressif en terme de fruits mais quel avenir prometteur.
Exc.
- Vous faîtes aussi Griottes il me semble.
- Nous n'en produisons guère que 100 bouteilles par an. Nous ne l'incluons donc pas dans la dégustation.
Nous revenons à notre point de départ en surface. Notre hôte est rejointe par Pierre. Ils nous proposent de terminer par 2 vins en bouteille.
- Vos confrères nous ont dit que 2019 est plutôt sec pour le moment.
- Il n'a pas beaucoup plu depuis le début de l'année, 75 mm. A la même période en 2018, nous avions 380 mm.
- La question des traitements ne se pose donc même pas. Où en êtes-vous d'ailleurs en terme de pratiques Bio/Bio D?
- Elles sont davantage présentes chaque jour dans nos gestes. Nous prêtons très attention au calendrier par exemple. Nous faisons toujours les mises un jour fruits et tâchons au maximum de tailler ces mêmes jours fruits.
Gevrey-Chambertin village 2017
Une belle acidité. Un style glycériné. C'est enrobé, propre et gourmand.
B+
Gevrey-Chambertin, 1er cru Lavaut Saint-Jacques 2016
"Nous avons 2 à 3 fûts de Lavaut vieilles vignes par an."
Fluide, frais, plus vif comparativement à 2018. De la groseille.
TB-
Il est temps de repartir non sans avoir remercié Marianne et Pierre pour les vins goûtés et le moment passé.
"Alors?" me demanderez-vous. Pierre passe beaucoup de temps dans les vignes. Il y consacre une énergie incroyable. Et je pense que l'on perçoit aujourd'hui un peu plus le résultat de cet investissement. Avec les importants travaux sur les structures et les moyens désormais à disposition, notre vigneron et son épouse possèdent dorénavant un réceptacle capable de faire la transition du raisin à la bouteille en conservant leur idée du fruit. Le domaine ne figure pas encore à mon goût dans le tout haut du panier mais les progrès sont grandement dicibles et la trajectoire prise l'y emmène. Un professionnel nous dira pendant notre séjour "Pierre Duroché, c'est le futur de Gevrey." Très certainement.