Les amis, c'est la vie !
Les vieux copains
Qui te prenaient le temps
Pour se faire un printemps
Et t´en donner un bout
Dans le groupe des Alamis, je n'ai encore que rarement eu l'occasion de vous parler du premier d'entre nous, l'original, le vrai, le prem's, celui qui partage avec mon Raboliot plusieurs décennies de voyages dans le vignoble. Notre ami Robert !
Car aujourd'hui, c'est lui qui régale !
Al' et Robert, c'est mon duo mythique à moi, une paire de belles personnes aussi fameuse que Quick et Flupke, Starsky et Hutch ou Satanas et Diabolo.
Les vivre ensemble, c'est un bonheur en soi, comme approcher un équilibre réussi entre le feu et la glace, une mayonnaise génialement épicée montée à la faconde sudiste et matinée d'une pointe de laisser-venir discrète et toute bourguignonne.
Ces deux là sont, à mes yeux, l'incarnation de l'image que je me fais de l'amateur pointu. Loin des certitudes pavaneuses de ceux qui en affichent plus qu'ils n'en ont bu, totalement étrangers aux scléroses des schnocks de la liste qui ne vous adressent la parole qu'une fois votre pedigree posé sur la table, ils aiment le vin et ceux qui l'aiment !
Ouverts d'esprit mais exigeants, fidèles à leurs goûts sans jamais l'imposer, leur histoire commune du vin débutée il y a un temps désormais respectable les a vus passer par les lectures d'accès limité alors que le web n'existait pas encore, les hésitations face au vigneron, les enthousiasmes précoces, les efforts prolongés pour mettre le pied dans la porte comme les analyses musclées de débriefing sur la route de retour aux pénates. Et tout ce que le débutant connait pour peu qu'il se laisse le temps de la découverte, de la recherche et du doute.
Vinrent aussi les premières frayeurs des ouvertures précoces sur des vins pas encore prêts à boire et à propos desquels on angoisse en se disant qu'ils s'empileront en cave et finiront dans le casier poussiéreux des erreurs de jeunesse, de celles devant lesquelles on passe et qui vous tuent l'envie de jamais les saisir.
Puis un jour survient la claque monumentale, de celles qui vous arrêtent l'envie de chercher en vous hurlant au palais : "Voilà, ça y est, ça, c'est ce que j'aime !".
Au vu des maisons validées par la paire depuis maintenant plus de 30 ans, m'est avis que les deux ne se sont pas trompés souvent...
Robert et mon Al', c'est un amour du vin, de l'amitié gourmande et des éclats de rire à chaque rencontre.
Deux personnalités riches et complexes qui se rejoignent en un parcours commun, de vie comme de passion.
Je leur dois déjà parmi mes plus beaux souvenirs de vie.
Et ce n'est pas ce nouvel instant vécu ensemble qui va faire baisser le niveau... ()
A table !
Toasts à la truffe noire, beurre salé ou foie gras
Château Haut Brion blanc, 2012
Robe jaune paille assez claire.
Très beau nez ciselé, fin et précis, sur des senteurs exotiques très pures d'ananas frais, de fruit de la passion, de groseille à maquereau enrobées d'un boisé fin très agréable. C'est à la fois gourmand et droit, vraiment très beau !
L'attaque en bouche est corpulente, sur une matière grasse et large d'une grande densité mais qui semble un peu statique.
L'ensemble peine en effet à décomprimer ce beau volume et dérouler une aromatique contrite en décalage avec les promesses du nez et une texture souple mais qui manque de tonus en l'état.
Derrière une certaine fermeture, la finale exprime une longueur certaine, sur une présence charnue qui doit pouvoir gagner en énergie en se détendant à la garde.
Car rien à dire, la matière première est superbe.
A attendre.
Domaine Coche Dury, Meursault, Les Rougeots, 2005
Robe nettement dorée.
Superbe nez de bourgogne bien élevé, sur des senteurs florales, de zeste d'orange, de fumée et de léger boisé. L'ensemble est aussi évident que précis, d'une évidente lisibilité !
La bouche est magnifique d'équilibre, sur une matière impressionnante de volume parfaitement contenu, carénée par une acidité idéale qui crée un équilibre aussi confortable que puissant, tout en rythme et en générosité.
Le vin ne cesse de gagner en présence au fur et à mesure de son aération dans le verre, sur une aromatique encore très jeune, sur les fleurs blanches et la noisette fraiche.
La finale est délectable, à la fois impactante et d'une persistance remarquable.
Superbe vin, à l'avenir grand ouvert.
Impressionnant à ce niveau d'appellation !
Domaine Coche Dury, Corton Charlemagne, 2002
Robe un peu plus dorée que le Rougeots.
Nez assez discret, serré, sur l'anis, l'orange confite et une toute petite note inquiétante que je trouve un peu liégeuse.
Nous allons tous les trois goûté le vin en silence et chacun va vite sentir dans le regard de l'autre qu'il y a comme un mais.
Toute la difficulté et naïveté de croire poser un jugement définitif sur un vin à partir d'une bouteille me saute aux yeux comme jamais.
Car ce vin reste parfaitement correct, totalement à même d'apporter un certain plaisir par sa fraicheur, son allant et sa belle matière ciselée. II est même plutôt très bon.
Mais pour l'avoir bu
l'an dernier avec Alain chez Raph'
, aucun doute que notre bouteille ce jour avait comme une rayure sur la carrosserie, semblant curieusement corsetée, sans grand relief ni capacité de relance.
Dommage que ce croche pied car ce vin a tout d'un très grand.
Magret de canard rossini, truffe & morilles
Domaine Joseph Roty, Charmes Chambertin, 1993
Robe profonde, encore jeune, sur un beau grenat sombre.
Nez droit et froid, sur la cerise noire, un léger végétal, entre la ronce et le boisé vert. L'ensemble, sur un côté strict et un peu austère, reste néanmoins d'une grande élégance.
L'attaque en bouche est superbe, lancée par un jus franc et frais et une noblesse de constitution certaine. L'acidité assez haute apporte beaucoup d'énergie à un corps ample et droit, sur une aromatique corsée très agréable qui s'exprime sur les petits fruits rouges et un végétal épicé similaire aux senteurs perçues dans le verre.
Le vin est très élégant dans son registre sérieux, d'un équilibre froid très réussi dans son côté classique.
La finale persistante s'ouvre sur des tanins gras mais encore encore perceptibles qui l'étirent longuement avec beaucoup de fraicheur.
Un très beau vin qui convient tout à fait à mes goûts .
A ce stade, je dis "superbe".
Mais...
Comté vieux, Banon en feuille de châtaigner, Roquefort, Banon fermier, Vieux Gruyère, Langres
Domaine Henri Jayer, Richebourg, 1982
Robert nous sert le vin suivant.
La robe (
à gauche
) est incroyablement claire, sur un rubis tuilé digne d'un vieux poulsard.
Le nez est un vrai fantasme de Glaude et de Denrée, comme si une petite framboise était tombée dans la soupe au chou.
Inquiétude à ce stade... Mais ça va pas durer !
Le premier coup de langue est marqué d'un frisant assez net qui n'aura pas eu le temps de me gêner car il se voit vite dépassé par un jus au fruit éclatant d'une suavité phénoménale. J'ai l'impression de laisser doucement fondre une framboise parfaitement mure entre la langue et le palais !
Oh, de djiou de nom de djiou, qu'est ce que c'est que ce machin, Robert !?! Oubliés la robe famélique et le nez chafouin, là, rien à dire, il y a du vin. Et du très très grand !
Un fois le léger perlant apaisé, le déroulé de bouche est absolument phénoménal, compromis magistral entre un fruit infusé d'une fraicheur croquante et une chair douce d'une petite sucrosité géniale et qui forment un ensemble totalement irrésistible.
Un peu comme
les Romanée Conti de l'automne
mais dans un registre totalement différent, immédiatement jouissif, ce vin incarne l'incroyable capacité du pinot à délivrer un message absolument grandiose dans une impressionnante économie de moyens.
Derrière cette robe diaphane et cette matière en dentelles sans extraction, le vin s'exprime dans une caresse par sa maturité naturelle et cette incroyable capacité à conserver une fraicheur de fruit (framboise, fraise des bois) comme une qualité de tenue de bouche et de soyeux, sans aucune aspérité ni faiblesse qui parvient à ne rien sacrifier à la fraicheur et à la persistance.
L'équilibre est celui d'une danseuse sur pointe, semblant fragile mais à la perfection sans tremblement, à la qualité sans faiblesse qui viendrait l'amoindrir.
Un absolu de vin !
Grand, très grand.
Le souvenir cuisant du fruit derrière le voile de liège de l'Echezeaux qui ouvre cette rubrique me revient en mémoire. Peut être la seule fois de ma vie d'amateur où j'ai pu croiser un vin avec cet équilibre de fraicheur bourguignonne et de totale maturité généreuse.
C'est Jayer ? Oui !
Alain en face de moi a l'allure des bons jours, c'est à dire l'air serein et heureux de l'amateur qui boit le vin qu'il aime.
Je ressens avec émotion combien à cet instant Robert et Al' déroulent en mémoire leurs décennies de recherches anxieuses, les essais, les ratés, les engueulades parfois pour arriver un jour à offrir aux amis les vins qu'ils aiment et ainsi leur transmettre les émotions ressenties.
Et comme toujours quand on atteint des vins de ce niveau, les verres ne se vident pas à grandes lampées, la générosité de chaque goutte figeant la trotteuse de l'horloge dans un instant d'infini qui se fige dans nos mémoires à tous.
Un moment d'absolu pour un amateur de vin.
Merci Robert !
Pour en avoir discuté par mail avec les Alamis avant d'écrire ce compte-rendu et parce qu'à côté de la plume de Robert, je me sens toujours comme un peintre en bâtiment discutant avec Picasso, je ne résiste pas à partager cet échange avec vous.
"De grands viticulteurs disaient de lui qu'il était le meilleur viticulteur de Bourgogne. Cet avis était largement partagé.
Ils étaient également nombreux à essayer, même à travers les clients qui tendaient l'oreille lors de dégustations en cave, de lui arracher quelques-uns de ses secrets...
Ce qui était sûr c'est qu'il était un vigneron hors pair, depuis la conduite de la vigne jusqu'à la mise en bouteille. Il avait le sens de la date idéale de la vendange, au jour près. Il pratiquait des cuvaisons assez longues, ce qui surprenait les dégustateurs qui ne trouvaient dans ses vins aucune trace herbacée, aucune trace d'excès de cuvaison. C'est vers ces secrets-là que des vignerons pourtant très avisés tendaient désespérément l'oreille... Comment obtenir toujours un peu plus du raisin sans que le vin glisse vers une série "d'un peu moins"... les infusions de chêne neuf, il ne connaissait pas non plus ça, le bonhomme... obsédé par l'idée qui était la sienne que le vin se fait surtout avec du raisin...
Il procédait à la mise assez tôt, courant le risque d'avoir des traces de perlant dans le vin, seul bémol mais bémol selon moi quand même. Quand il se trouvait là, ce perlant appelait à l'évidence une décantation assez longue.
J'ai ouvert cette bouteille tout bêtement parce que ça me semblait le moment où jamais. Je ne l'avais pas oubliée tout à fait. J'avais la conviction qu'elle ne pourrait jamais être à la hauteur du mythe, ni de l'étiquette... Et puis il vient un temps où des amitiés s'installent à votre table et où une petite voix vous souffle à l'oreille que c'est le moment d'essayer. L'avantage (si l'on peut oser ce sacrilège), c'est que lorsqu'on est chez soi on peut prendre le risque d'essayer... quitte à vider dans l'évier le contenu de la bouteille (pas question, même pour essayer, de servir du Richebourg transformé en vinaigre...) D'après l'ordonnancement du repas, la bouteille devrait arriver sur la table entre 14h et 15h. On descend à la cave. On saisit la bouteille doucement, en bien veillant à ne pas retourner l'étiquette, on la redresse doucement, tout doucement, il faut que ce soit comme une caresse... On l'ouvre de la même façon... et on met le nez dessus... premier miracle... la bouteille n'est pas bouchonnée... une petite odeur de réduction quand même... et bien sûr les premiers arômes de chou pourri dont parlait si volontiers le père Gouges... La cave est à 11°... on monte doucement la bouteille au garage (où ça tourne autour de 13/14°)... doucement toujours... attention aux gestes d'impatience en présence d'un être que vous attendez depuis si longtemps et qui s'apprête à se donner à vous... On repose le bouchon dessus... Vers 10 h passage dans la chambre non chauffée à 16° pour achever le chambrage... Faut-il passer le vin en carafe... C'est le moment de le goûter... Non, c'est trop fragile, il ne supporterait pas ça. Remise du bouchon en équilibre sur le goulot. On reviendra voir ça discrètement vers midi/13 heures...
Dernière question : Comment le vin se comportera-t-il après le Charmes-Chambertin 1993 de Joseph Roty, beaucoup plus puissant à cette heure? Peu importe. Le Charmes-Chambertin se sera frotté à une omelette aux truffes particulièrement exubérante... le Richebourg sera chargé de revenir vers quelque chose de moins violent, un magret de canard benoitement poêlé, agrémenté d'une tranche de foie gras poêlée séparément pour une durée moins longue, quelques morilles et une tranche de truffe (puisque c'est un repas de truffe) juste posée au dernier moment pour se réchauffer (surtout pas de cuisson pour la truffe...)
Voici venue l'heure, le moment.
A midi on décide (démocratiquement c'est-à-dire moi tout seul... terrible la solitude en de tels instants...) d'enlever le bouchon du goulot, mais pas plus.
Le vin est servi tout doucement vers 14h/15 (ça fait longtemps que nous ne regardons plus la montre). Couleur très claire. Encore un peu de réduction et de chou... les plus pointus d'entre nous sur ce sujet croient déceler un peu de perlant, à peine à peine, des traces (pas moi)... et tout cela disparaît comme par miracle, le chou, le réduit, le perlant, pour laisser la place à ce qu'Oliv a décrit mieux que moi... L'union avec "l'être" si longtemps attendu est émouvante et parfaite, elle monte crescendo et la finesse, la race, la noblesse du terroir s'expriment de plus en plus fort à mesure que la caresse s'intensifie... ce n'est plus une dégustation, c'est un aboutissement, un frisson, un orgasme... Et chose plus étonnante que tout, peut-être, au fil de la dégustation le vin semble remonter le temps et revenir vers sa jeunesse... Du rarement vu... Voici que l'être aimé dans sa maturité triomphante revêt une fraîcheur virginale, simplement dépouillée des maladresses de son inexpérience... La totale, quoi..." Robert. C
Moulin Touchais, Coteaux du Layon, 1969
Robe bronze tirant sur l'acajou.
Nez franc et complexe, sur la confiture d'orange, le caramel au lait, une petite pointe de cuir signant le vieux vin.
Le vin a bien intégré sa liqueur et offre une très belle bouche d'un grand volume parfaitement tendu par une grande acidité.
Les goûts sont précis, bien définis, sur l'orange confite, des notes safranés très agréables.
Belle finale longue et d'une grande gourmandise.
Très beau vin.
Rhum Dos Maderas 5+5 PX
Robe sombre, sur des couleurs café.
Nez agréable, très empyreumatique, sur le chocolat noir, le café, le caramel épicé.
Bouche douce, presque sucrée, généreuse mais à l'opulence bien maitrisée.
Finale très agréable, confortable et sans charge alcoolique.
Très beau, dans un registre assez doux.
Baijiu Wu Liang Ye
Cette eau de vie de céréales ramenée par nos amis d'un voyage commun en Asie, c'était un peu notre dahu à nous vu comment Robert nous l'avait décrite depuis des mois en des mots à faire rougir un régiment de sapeurs.
Ben, faut avouer qu'il n'avait pas tout à faire tort en évoquant une infusion de sous-vêtements de vieilles dames aux mœurs tarifées.
Car effectivement, c'est du brutal, ce vitriol, un truc à satisfaire une polonaise au petit matin.
Le nez m'évoque un bouquet de roses qu'on aurait laissé tremper un peu trop longtemps dans le vase, sur des notes de litchi un peu beaucoup fatigué.
La bouche est sucrailleuse, sur une douceur aux goûts douteux, entre le fruit exotique blet et des notes de roquefort.
Le Châ serait là, je mets un billet qu'il nous aurait sorti une de ces fameuses analogies issues de ses vieux souvenirs d'internat...
Enfin bref, si vous croisez ça, surtout ne laissez pas les mômes pirater le tout venant.
Quel moment merveilleux !
Beaucoup d'émotion pour moi d'avoir pu partager un instant aussi rare avec ces amis si chers, quand je sais ce que ces vins représentent pour eux, comme valeur(s) bien sûr mais surtout comme attentes et témoignages d'une histoire personnelle et commune, comme un bout de soi qu'on donne à l'autre, pour le plaisir d'être ensemble, de partager et dans mon cas transmettre certaines valeurs simples et vraies, de celles qui manquent tant à notre époque désenchantée où tout se monnaie quand plus rien ne se mérite.
Monique, Robert, pour ce moment exceptionnel, du fond du cœur, merci !
A suivre...
Oliv