2022 au domaine Pierre et Jean Gonon
« En retard, en retard, je suis en retard… » comme dirait un célèbre lapin blanc, non pas au rendez-vous en ce frais matin du 16 Décembre mais bel et bien dans la rédaction de mes comptes-rendus
J2 de notre périple Rhodanien. Nous nous rendons désormais presque les yeux clos à cet incontournable domaine céans à Mauves. Il est 8h30 mais la mélodie de flacons s’entrechoquant présuppose un lieu en effervescence depuis quelques heures déjà.
C’est un Jean Gonon souriant qui se présente à nous sur le pas de porte. Il nous invite aussitôt à descendre d’un niveau.
- Vous connaissez le chemin vers la cave
.
- L’an passé nous étions avec votre frère sur la partie plus récente du sous-sol. Nous entendons que vous êtes affairés dès les premiers instants de la journée. Au moment de choisir notre date de venue, vous m’aviez évoqué le début de mise.
- Oui les blancs 2021. Ce matin, nous couchons les bouteilles. Nous le faisons systématiquement dans la foulée.
- Pourquoi cela?
- L’année où nous ne l’avons pas fait, nous avons eu quelques bouteilles coulantes.
2022, un nouveau 2003?
- Après 2021, vous devez apprécier 2022.
- En 2021 il y a effectivement eu le gel mais ce sont surtout les 3 épisodes de grêle qui ont fait le plus de dégâts. Après nous parvenons tout de même à 27 hl. Cela a été vécu comme une catastrophe mais c’est parce que ceux qui se sont installés récemment n’ont connu que de belles années. Il faut se rappeler les années difficiles qui ont précédé cette série.
- Et 2022 en comparaison?
- C’est complètement le contraire. Il a fait très chaud et très sec. Les vignes ont tout de même bien tenu. On aimerait croire que les vignes s’habituent au réchauffement. On est probablement également content du choix de ne pas recourir aux clones. Je pense surtout qu’il a fait sec et chaud tôt. Les vignes ont vécu petit dès le départ. Nous avons eu de petits raisins tout le long et ils ont résisté, quand bien même début Août c’était le four dans les rangs.
- Il y a eu un peu de pluie il me semble.
- Les pluies ont été annoncées mais elles ne sont jamais arrivées, sauf le 15 Août. Il a plu 30 à 35 mm. Cela a rappelé les condition de 2003 sur l’impression.
- A quel rendement aboutissez-vous?
- 32 hl. Les rendements étaient plus confortables sur les plateaux.
- En rétrospective, 2021 n’est pas si mal en terme de volume.
- En 2021, ce qui a sauvé l’année: c’est une super équipe. L’année fut longue et difficile. Il a plu constamment. Il a fallu beaucoup trier, dès la vendange. Nous avons eu du personnel qui partage son temps entre les vignes en France et la récolte d’oranges, en Espagne. En 2022, l’année était plus courte et il y a eu moins de passages.
Chasselas
- Commençons par le Chasselas. C’est l’endroit que nous avons vendangé le plus tôt: 26 Août. Il y a eu presqu’un mois d’avance par rapport à d’habitude. Comme en 2020.
Le Chasselas est le plus précoce. L’indice de maturité va de paire avec un fort indice en degré d’alcool. Il ne faut pas trop attendre sinon on perd du relief.
De petites notes amères dès l’entame qu’équilibre un toucher fluide et léger. Le registre est à dominante fraîche en dépit d’une acidité en retrait. Il existe un côté presque désaltérant sur la seconde moitié de bouche.
AB+
- Ce n’est pas si mûr en bouche alors que l’année était solaire.
- Non effectivement. Ça nous rappelle 2020.
- Vous évoquiez la caniculaire année 2003. 2022 est-elle comparable?
- La météo aurait pu le laisser penser. Les raisins ont dit autre chose. Les rouges 2022 ne font pas tout à fait 13°.
- Etonnant.
- Parce qu’il n’y a pas eu d’eau. En 2003, il y a beaucoup de grillures et de confits. La maturité phéno n’était pas là. En 2022, les degrés ne sont pas élevés mais la phéno est bien atteinte. Début Septembre, il a plu à nouveau, sur une demi journée. Il ne fallait pas bien plus car nous étions à la limite de la fêlure des peaux. Nous terminons les vendanges en Septembre.
- Les maturités ont dû être proches d’une parcelle à l’autre?
- Les maturités étaient homogènes mais il y avait des différences là où les sols sont argileux. Les baies y étaient d’ailleurs plus jolies.
Saint Joseph, les Oliviers
« Les Oliviers poussent relativement tard. »
Un supplément de corpulence sans pour autant verser dans une amertume plus marquée. Il existe une sensation presque huileuse, de quasi-viscosité comparativement au premier vin. L’aération installera une âpreté plus dicible au centre de la bouche.
B-
- Avec un millésime plus précoce, avez-vous pu consacrer du temps à la rénovation de vos murets?
- On y est. Nous ne sommes pas en avance non plus.
- Les pentes rendent vraisemblablement le travail compliqué j’imagine?
- L’accès n’est pas le plus difficile. C’est plutôt la longueur et la profondeur nécessaire à l’ouvrage qui prend beaucoup de temps. On ne veut pas construire sur l’affleurement de la roche mais bien profondeur. Et lorsque la pluie s’y mêle, c’est moins évident encore.
- La pluie justement, au regard des quantités tombées cet automne, n’a-t-elle pas ravinée les reliefs?
- Nous avons limité les dégâts avec les céréales plantées et l’herbe commençait à repousser.
Saint Joseph, Les Oliviers
Du cassis. C’est salivant, iodé, avec des notes d’ardoise et de réglisse. La texture est légèrement grasse dans le fond. Les tanins, quasi impalpables, se dressent en toute fin, à point nommé pour apporter cette touche de reviens-y.
TB
- Nous avions échangé la dernière fois sur la pratique encore répandue du désherbage dans la région. Avez-vous pu constater des améliorations?
- Cela se réduit, heureusement. Ça a changé sur Cornas et Crozes.
Saint Joseph, Tournon
Ce que ce vin perd en fruits à l’entame, il le gagne en ossature dans son second mouvement. Il existe une nervure centrale, haute, un peu plus acidulée et dense. Cette matière prend davantage d’épaisseur avec des touches de zan à la gorgée suivante.
TB+/Exc-
- A quelle part de vendanges entières arrivez-vous sur 2022?
- 90%, à vue de nez. On ne réfléchit plus en % mais plutôt selon notre observation. Si les peaux sont fragiles, nous n’allons pas mettre les raisins à l’égrappoir. Nous avons éraflé plus en 2021.
Saint Joseph, Saint-Jean-de-Muzol
Les tanins sont mieux intégrés encore, peut-être moins épais. La longueur est superlative. Le registre est noir avec de la réglisse en bâton. En terme de texture, nous sommes au compromis des 2 précédents terroirs, comme un lien qui permettra la cohérence de l’ensemble.
TB+/Exc-
- A quel moment pensez-vous assembler 2022?
- Fin Mars, début Avril. On assemblera au soutirage. On laissera sur marc pour éviter la réduction.
- La malo est faite?
- Elle a démarré au même moment que la fermentation alcoolique. Sur les années ensoleillées, il y a peu de malique.
- Quel est le niveau d’acidité?
- En AT, nous sommes entre 3 et 4. Le PH n’est pas trop élevé. C’est le plus important. Il y a des vins très biens à un PH de 4 / 4,2 mais il peut y avoir un sujet de conservation par la suite.
Saint Joseph, Saint-Jean-de-Muzol Vieilles Vignes
Des baies de mûres et cassis bien foncées par le soleil. Une finesse accrue. Une partition contenue et plus concentrée. Des tanins poudrés en abondance en périphérie de bouche. Un cylindre qui s’étire dans le temps.
/Exc-
- C’est assez différent du précédent. Concentré.
- Je trouve que ça a le goût de l’endroit avec le gneiss et le sol aride.
- Peut-être est-ce dû à un rendement moindre?
- Oui, peut-être. Les porte-greffes sont plus vigoureux sur cette partie.
- Pensez-vous refaire des VV?
- Il ne faut pas que ça affaiblisse le reste si on enlève un tonneau. Et je ne sais pas si c’est une bonne idée. La dernière fois, cela a pris des proportions démesurées. Ce n’est pas notre idée du vin. Tout le monde a de quoi faire une cuvée spéciale, on a tous un coin de vieilles vignes, un parcellaire, etc. Mais on préfère l’assemblage.
2021 et le rapport au gel
Nous goûtons 2021, un an après, prélevé des cuves.
Iles Feray 2021
La robe est d’un rouge assez profond. Des notes de poivre blanc se font sentir. La bouche souffre nécessairement un peu la comparaison en terme de fonds mais la logique des appellations est somme toute respectée. Les 2/3 portent sur la vivacité de la groseille, de la myrtille et du cassis. La conclusion se fait plus noire.
B
- Une partie est-elle passée en Saint Joseph?
- Non, on a même été plus sévère.
- Avec le gel, avez-vous songé à retarder les tailles?
- En 2021, ça a gelé là où nous avions taillé plus tard.
sic! La taille ne suffit pas. Il faut des sols propres au Printemps. Les herbes retiennent l’humidité et amplifie le gel.
- Des bougies peut-être?
- Il y en a eu à Hermitage. Mais l’endroit n’a pas gelé. Il y a toujours du vent et ça peut sauver. A -6 / -7 il n’y a en revanche pas grand chose à faire.
- Les faibles rendements un peu partout sont un prétexte pour que les prix s’envolent…
- Il faut arrêter de se plaindre. Ça va ici quand même. Il y a des régions qui perdent un peu la tête.
Saint-Joseph 2021
Le nez est beaucoup plus expressif, sur une palette de fruits rouges frais. C’est plus traçant sur les papilles même si elle se resserrent en finale. C’est soyeux, délié avec un solide socle. De la pivoine et du poivre.
TB+
- La différence est assez nette avec les Iles Feray.
- Les années chaudes ont tendance à réduire l’écart.
- Quand pensez-vous faire la mise pour 2021?
- Elle est programmée début Mars, pas de changement. Il existe une tendance à mettre en bouteille plus tôt mais nous avons le temps.
Saint-Joseph 2020
Le nez est plus sanguin, métallique. En bouche, c’est très équilibré, à la conjonction du solaire 2022 et du plus fin 2021. Les fameux petits tanins cacaotés s’expriment pleinement en accord avec la violette et le cassis. Une très belle expression.
Exc
Saint-Joseph 2017
Du corps, de la tonicité. Des perles violacés et rouges très salivantes. De la myrtille et du cassis. « C’est une petite récolte. Je trouve le vin un peu asséchant, encore carré. Il y avait des peaux épaisses. »
Oui enfin, ça va quand même. On peut percevoir une petite accroche en coin de bouche mais rien qui ne vient gâcher l’équilibre. Avis du vigneron vs. avis des petits amateurs que nous sommes
.
- Nous avons la chance de goûter de remonter le temps à chacune de nos venues, parvenez-vous à garder des millésimes anciens?
- Non pas suffisamment
. Nous n’avons rien des années 90 à 2000. Rien de nos parents. Ils ouvraient beaucoup. Et nous n’avions pas anticipé un tel engouement, autant de visites.
- Comment est-ce arrivé?
- Les réseaux sociaux probablement. C’est aussi une question de génération. Les gens ont des goûts plus éduqués, plus sûrs. Ils se sont rendus comptes qu’ils n’étaient pas obligés d’aimer les vins plébiscités par Parker.
- En parlant de critique international, dans quelle proportion vendez-vous à l’étranger?
- On a toujours fait de l’export, 50/50. En France, il y a les restaurants. Au moment du Covid, ils ont apprécié que nous conservions 1 année dans nos caves plutôt que leur pousser. A leur réouverture, ils étaient tous présents.
Saint-Joseph 2013
Un nez noir, presque sur la suie. En bouche le contraste est saisissant: nous avons le droit à de la confiture de cassis, de myrtille et même de violette. Le vin est très salivant
TB
L’an passé j’avais découvert avec surprise que 2011 était bon en Rhône Nord. Cette année c’est le tour de 2013.
2013 vieillit bien.
- Comme beaucoup, vous aviez dû vendanger assez tard?
- A partir du 1er Octobre.
L’importance du soin apporté à la greffe
- Avez-vous planté en 2022?
- Non, nous avons fini de greffer une parcelle plantée il y a 5 ans. On est plutôt content du résultat. Ça a super bien marché.
- Avec quel type?
- 3309 en général. On fait quelques essais de porte-greffes plus vigoureux avec un bon système racinaire. Il vaut mieux greffer en oméga mais c’est difficile lorsque le pied est déjà en place. Sur table, c’est plus facile.
- Pourquoi privilégier cette forme?
- Elle fait que tout s’ajuste. Mais elle ne serait pas adapté à la Syrah en raison du développement de tissus autour des plaies.
- Comment avez-vous finalement procédé?
- En 2021 nous avons fait les fentes: 1ère grosse plaie de taille. En 2022, nous avons surgreffé en Chip-bud et en T-bud. Et nous avons glissé les bourgeons. On perd un an mais on évite le phénomène de plaie. La fente est enterrée puis on gratte 15 jours plus tard. Le problème c’est qu’ici nous avons des cailloux. Nous avons donc eu recours à des tubes de sable. Nous avions essayé avec du terreau mais les pigeons venaient gratter. A la pousse, il faut une taille régulière jusqu’à la fin de la saison. On garde un rameau d’un an. Et avec beaucoup d’eau l’enracinement est meilleur.
Vous parlez de la greffe sur place et de celle sur table. Pourquoi ne pas tout faire sur table?
Parce que la greffe sur place permet d’avoir des racines plus larges.
Chasselas 2020
Une grande fluidité. Moins séducteur que le 2019 bu à la même époque l’an passé, il n’en reste pas moins mûr sans excès de largeur. La tenue est bonne.
AB/B.
Saint Joseph Les Oliviers 2020
« 80% de Marsanne. »
De la mirabelle, un début mielleux. De la reine-claude et un léger mentholé au nez. La bouche se fait aussi doucereuse, pas dans le sens sucré mais dans son confort. Une sensation de gâteau au miel. Un fond sur l’écorce de coco. Le vin persiste longuement.
B+
- C’est fraîchement remarquable. Il existe une sensation douce qui efface l’amertume.
- Tout ce qu’on reproche à la Marsanne, ça vient aussi des vignerons qui font des vins lourds. Nous parlions de l’enherbement plus tôt. Il ne faut pas qu’il soit systématique. La vigne enherbée est davantage en souffrance et la phéno s’atteint plus difficilement. Et cette sous-maturité conduit à de l’amertume et de la mollesse.
Saint Joseph Les Oliviers 2015
De la fougère, de la noix de coco encore verte et de l’amande au nez. On pouvait craindre une bouche marquée par le gras. Il reste très limité. L’amertume est bien présente mais de petites pointes acidulées et des épices en bout de langue donnent du relief.
B+/TB- Mais dîtes donc, je n’ai jamais aussi bien noté une Marsanne je pense
.
- Le vin est plus frais qu’il n’y paraît de prime abord.
- Il perd de la richesse avec les années.
Qu’écrire que je n’ai pas déjà formulé ici à l’occasion de mes précédents comptes rendus. Que leur sens de la vigne demeure grand; cela a déjà dit. Que leur humilité est à la hauteur de leur talent; également. Ah si, peut-être qu’ils produisent des vins d’une exceptionnelle régularité. Je n’ai pas souvenir d’avoir goûté une année plus faible qu’une autre depuis que nous nous rendons chez eux. Merci, en particulier pour ces cours sur la greffe et le rapport de la phéno et l’amertume sur les blancs. La barre est placée haute pour les domaines qui vont suivre. A ce propos, je vous ai déjà écrit que je suis « en retard »?
.