En 2008, trois individus qui ne savent pas trop quoi faire de leurs trente doigts décident de se lancer dans le business du cigare. Ces trois singuliers personnages se nomment Fabien Gil, Christophe Leroy et Sylvain Toaldo.
Après un bref passage par le Costa Rica, qui produit des tabacs de qualité, ils prennent rapidement le chemin du Nicaragua, nouvel Eldorado de cette merveilleuse plante néotropicale, dicotylédone annuelle de la noble famille des solanacées, qui répond au doux nom latin de Nicotiana tabacum.
Pour info, je rappelle au passage que la zone néotropicale est l'une des huit écozones de la nomenclature établie par ce cher vieil Alfred Russel Wallace, géographe, naturaliste, explorateur et anthropologue britannique aujourd'hui tombé dans l'oubli. L'homme nourrissait d'autre part un réel intérêt pour le mesmérisme et le spiritisme, autant de disciplines assez peu en odeur de sainteté dans la communauté scientifique. Si cette curiosité constitue la preuve d'une ouverture d'esprit hors du commun, elle n'était sans doute pas la meilleure voie d'accès à la reconnaissance qu'il était en droit de revendiquer.
Wallace, par exemple, est le père de l'effet qui porte son nom, l'effet Wallace, donc, qui stipule que la sélection naturelle constituerait une barrière de choix contre l'hybridation, un hybride étant par hypothèse moins bien adapté à tel ou tel environnement que l'un ou l'autre de ses parents spécifiques. Wallace a également été le premier à noter l'existence d'une fracture biogéographique, connue sous le nom de "ligne Wallace", au cœur même des îles de la Sonde, en Asie du Sud-Est. Enfin, peu de gens le savent et il y a gros à parier que tout le monde s'en moque, mais Wallace a bien failli coiffer Darwin au poteau de la sélection naturelle, rédigeant avant lui un exposé assez convaincant de la théorie transformiste (aucun rapport avec les travelos du bois de Boulogne ou les artistes de music-hall). Il a eu la naïveté d'adresser l'exposé en question à Charles Darwin, dont il admirait les travaux, lequel Darwin, voyant que la paternité du titre risquait de lui filer sous le nez, s'est empressé de publier ses résultats. A noter d'ailleurs que depuis Lamarck, Geoffroy Saint-Hilaire et Robert Grant, le concept était dans les tuyaux depuis un certain temps. Même Erasmus Darwin, le propre grand-père de Charles, toubib de son état mais aussi poète, botaniste et inventeur à ses moments perdus de divers engins technologiques dont une assez curieuse machine parlante, militait activement contre le créationnisme.
Au-delà de ses activités purement scientifiques, Wallace était aussi un humaniste de valeur, qui s'est exprimé sans langue de bois en faveur du droit de vote des femmes, de la justice sociale, affichant un certain antimilitarisme et ne cessant d'alerter sur les effets délétères de l'activité humaine sur l'environnement.
Il est incontestablement, au même titre qu'un Darwin bien sûr (il ne s'agit en rien de diminuer la portée de ses recherches ni l'étendue de son œuvre), un Thomas Huxley, un Richard Owen, un Charles Lyell, un Dalton Hooker ou un Herbert Spencer (père du "darwinisme social"), un des plus brillants esprits britanniques de son temps.
Sa vieille carcasse rongée par les vers repose toujours dans le cimetière municipal de Broadstone, modeste commune de la banlieue de Poole, dans le Dorset, où il avait une maison de campagne dans laquelle il s'est éteint en novembre 1913.
Nicotiana Tabacum pourrait assez joliment constituer l'appellation de telle ou telle héroïne de film ou de roman, du genre femme fatale, par exemple, espionne de haut vol ou encore tueuse à gage pour le compte de quelque mystérieuse organisation criminelle regroupant en son sein quelques uns des plus brillants cerveaux de la planète, hélas entièrement dévolus à l'exercice du vice, du mal et de la destruction en leur sens le plus absolu.
Plus raisonnablement, son nom fait référence d'une part à Jean Nicot, ambassadeur de France à Lisbonne à qui l'on doit l'intoduction du tabac à la cour de France (il s'agissait alors de soulager François, le fils de Catherine de Médicis, qui souffrait de maux de tête abominables), et d'autre part au mot amérindien qui désignait les rouleaux de feuilles séchées que les indigènes de Cuba fumaient déjà quand Christophe Colomb a débarqué dans la baie de Bariay avec les frères Pinzon, Luis de la Torre et Rodrigo de Jerez, tous persuadés d'avoir atterri au Japon. C'était la première fois que des Européens se retrouvaient nez-à-nez avec un cigare, étrange rouleau de feuilles fumantes dont ils ne tardèrent pas à apprécier les bienfaits. Il leur restait encore, dans un registre nettement moins agréable, à faire connaissance avec les cannibales de la baie de Samana, en République dominicaine, avant de rentrer en Espagne se faire cajoler par les autorités et goûter aux joies d'une reconnaissance bien méritée.
Comme vous n'êtes pas sans le savoir, tout cela se passait fin octobre 1492, peu de temps avant la chute d'une météorite de plus de cent kilos sur la commune d'Ensisheim, entre Mulhouse et Colmar (ce qui n'a aucun rapport direct, je vous le concède, mais méritait quand même d'être signalé, ne serait-ce qu'au titre de la culture générale, espèce en voie de disparition qu'il convient de protéger quand faire se peut). C'est donc quelques années plus tard, en 2008 pour être précis, que deux fils de bonnes familles, Christophe Leroy et Fabien Gil, respectivement agent des télécoms et importateur de produits laitiers, se rencontrent sur un green de San José, au Costa Rica. Les deux amateurs de cigares, en proie à une bouffée délirante de luxe et art de vivre sans doute provoquée par un excès de rhum et de volutes, décident de changer radicalement d'orientation pour se lancer dans le business du barreau de chaise haut de gamme, fait main avec doigté à partir des meilleures feuilles du secteur. Un troisième larron, Sylvain Toaldo, ancien lui aussi de Janson-de-Sailly, se charge de promouvoir et distribuer la marque depuis Genève.
Après un démarrage timide mais plutôt qualitatif, la marque emploie aujourd'hui une bonne trentaine de personnes à Esteli, mecque du cigare nicaraguayen. Depuis Genève, elle distribue les cigares Horacio (mais aussi OX, Final 8, Minotaur et Toaldo) en France, Allemagne, Benelux, pays de l'Est, Afrique et et pays du Golf (Toaldo, sans doute pour coller au plus près du marché, réside à présent à Dubaï). Pour plus d'efficacité, François Soyez, directeur de la société de distribution Cigares du Monde, a intégré la marque à son catalogue, somme toute assez peu fourni jusqu'ici (Vega de Santiago, D8).
Aujourd'hui, en plus des éditions spéciales XXL, Colosso, Bolosos, Sled et Jacques Chancel, des Classic Series (bague marron), Horacio propose également les séries Maduro (bague noire), Héritage (de quoi on ne sait pas trop, bague bleue néanmoins), French Connection (bague bleue aussi, ne me demandez pas pourquoi), Pasion (formats divers et bagues de couleur blanche, bleue, jaune, orange et rouge), et enfin Bulier Gran Reserva (toujours pas de bague verte, mais bague de couleur violette assez élégante sur fond cuivré de cape équatorienne). C'est précisément de cette dernière que je voulais vous parler, en particulier du Bulier H 56, un double robusto bien construit, au tirage plus aisé que certains autres modèles de la marque, d'une saveur plutôt équilibrée offrant confort et satisfaction à tous les étages. Existe aussi en format Belicoso et Gordito, que je n'ai pas essayé. C'est assez cher, on ne va pas se mentir (18 euros, le prix d'une bonne bouteille de vin), mais je vous conseille quand même de le goûter à l'occasion.