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Domaine de la Taille aux Loups, Montlouis-sur-Loire
A l'époque où j'avais contacté le domaine pour fixer une dégustation, bien sûr, les choses étaient très différentes : le pilier fondateur, l'inébranlable Jacky Blot, était encore parmi nous. Apprenant le coup de tonnerre dans l'intervalle, je m'encours bien sûr de contacter le domaine en leur disant que je comprendrais tout à fait que la dégustation ne soit plus faisable. Mais rien n'en fut, on me répond qu'on nous recevra avec plaisir, comme Jacky l'aurait voulu. On se sent d'autant plus honorés d'être reçus au domaine, où l'émotion est peut-être encore décelable dans le regard de Jean-Philippe, qui nous recevra magnifiquement pour une dégustation intimiste et passionnante de 2h30. Rentrons dans le vif du sujet si vous le voulez bien.
La faute tout à la fois à une période de passage au domaine un peu dans le "creux de la vague" (relativement tard pour le millésime 21, mais trop tôt pour gouter les 22 en bouteilles – Rémus 22 est mis en bouteilles précisément ces jours-ci), et à la productivité plutôt faible du millésime 21, plusieurs cuvées en blanc ne sont plus disponibles à la vente (Michet, Mosny, Venise) et certaines plus à la dégustation (Rémus, Bretonnière, Venise). Qu'à cela ne tienne, vous verrez qu'on n'a pas été en reste.
On commence par un classique de la maison qu'on ne présente plus :
Triple Zéro, base 2020 (code inconnu)
Belle entrée en matière sur un effervescent à la bulle discrète comme habituellement, avec une aromatique précise et ô combien typée sur le chenin mûr mais sans excès, les notes de poire et de coing sont matinées d'une coque cireuse, presque pommadée, qui évoque (pour les amateurs de whisky à qui ça parlera) des aromatiques de vieux Clynelish ou Craigellachie. La longueur n'est pas énorme mais on prend bien du plaisir déjà avec cette bulle au beau rapport qualité-prix.
Très bien - / 15.5/20
Triple Zéro, millésimé 2012
On sait qu'il tenait à Jacky d'explorer le potentiel d'évolution sur lattes de ce qu'il a toujours appelé à juste titre son "grand vin pétillant". On le perçoit bien ici puisque le profil est en effet fort différent, sur de très belles notes d'évolution champignoneuses et forestières au nez, avec une mâche briochée et encore un beau coing en bouche. Plus tertiaire, moins frais et dans un style forcément moins apéritif, je dirais que qualitativement les deux se valent sur des équilibres bien sûr très différents. Comparaison édifiante en tout cas.
Très bien - / 15.5/20
Triple zéro rosé (base inconnue, probablement 2020 ? code inconnu)
À ma surprise mes amis le gouteront tous très bien (et en achèteront d'ailleurs) alors que personnellement je ne parviens pas à me défaire d'une réduction extrêmement tenace au nez, sur le chou à fond les ballons. On voit bien que au-delà de ça le vin doit certainement être très appétant puisque la bouche ne présente aucun défaut sur des gouts de dessert au fruits des bois et à la meringue, disons pavlova fruits des bois. En l'état difficile de me projeter mais un bon coup d'air ou un peu de patience devraient améliorer les choses. C'est peut-être d'ailleurs uniquement cette bouteille qui en souffrait.
NN
On attaque les blancs de Montlouis-Sur-Loire. A regret nous ne dégusterons pas les ex-Vouvray 2021 comme dit précédemment (et ça peut se comprendre), mais Bretonnière étant encore à la vente je déciderai sans crainte d'en acheter deux à l'aveugle, vu que le profil du millésime, très différent des précédents comme je vais tenter de vous l'illustrer, me plait plutôt bien.
Clos Michet 2021
Très pur, on est déjà très bien, le chenin fin est facilement identifiable. La conjonction du terroir chaud et "rond" avec le millésime frais arrive à un résultat équilibré, sur des notes de poire très pures, un côté yaourt très agréable (jusque dans la texture), des notes patissières et de verveine. La bouche n'est trahie par aucun sucre et est dotée d'une jolie trame acide, que le nez ne laissait pas forcément espérer. Ce sera d'ailleurs, comme vous l'imaginez, une trame commune.
Très bien - / 15.5/20
Clos de Mosny 2021
Proche, on voit bien la parenté, mais on monte d'un cran à tous les niveaux. Il y a ici plus de sésame grillé au nez (comme sur le merveilleux 2020 récemment chronique) et Jean-Philippe nous apprend que l'élevage seul ne peut en être totalement responsable puisque l'élevage est rigoureusement le même que sur Michet, qui ne présente pas ces notes quasi-bourguignonnes. La bouche présente ce même équilibre enchanteur entre notes "assimilables à des notes d'élevage" va-t-on dire et un éclat tranchant, cristallin, centré sur une belle acidité qui finira en pur jus de citron sur les gencives longtemps après. A l'aération, le nez se pare d'une belle complexité sur des notes glaiseuses et de végétal aromatique. Très belle bouteille, au potentiel certain.
Très bien + / 16.5/20
Les Hauts de Husseau 2021
On change d'univers. Dès le nez on a un équilibre tout à fait différent, moins enjôleur, ces notes d'"élevage" sont ici pratiquement absentes au profit d'une minéralité presque poudreuse, comme de la poussière de craie qui vole, qui part vers la gentiane, les agrumes, la fumée. Le tout est pour l'instant assez retenu, presque enfoui, mais très beau et d'une grande pureté. La bouche est classique du cru sur une énorme matière sèche quasi tannique autour d'une colonne acide vibrante, très longue, et très pure. Moins d'évidence aromatique mais le potentiel est, bien sûr, majeur.
Très bien / 16/20 mais grand potentiel à prévoir
Le millésime 2021 en blanc s'annonce très bon, sur des équilibres plus frais et acides que je n'ai l'habitude du domaine, donc avis aux amateurs de fraicheur. On est ici vraiment en présence de chenins "droits comme des i" qui ne font aucune concession au simplisme aromatique ou à la lourdeur de bouche.
Le contact avec Jean-Philippe passe très bien et il voit notre enthousiasme. On leur ferait pas goûter des trucs sous le manteau pour qu'ils apprennent un peu, les petits jeunes ? Ah nous, on ne va pas se faire prier ! C'est donc avec un grand plaisir qu'on se dirige ensuite vers une mini-verticale du Clos de Mosny, en commençant très fort par
Clos de Mosny 2017
Encaustiqué à fond, coing, propolis, truffe, pétrole, presque légèrement viandeux type salaison, la complexité aromatique est assez dingue. La bouche est nettement moins large que ce que le nez pouvait faire croire, extrêmement dynamique sur les terpènes, le coing, le propolis et une superbe acidité.
Excellent - / 17/20
Clos de Mosny 2016
On avait peine à croire qu'on pouvait monter encore d'un cran mais la voilà, la claque de la journée. Superbe définition aromatique entre évolution et jeunesse sur un profil proche de 2017 mais peut-être encore plus complexe, sur la violette, la truffe, le cuir, le camphre, le pain d'épices, tout ça amène, et c'est difficile à croire, vers une bouche d'une pureté simplement exceptionnelle avec une définition aromatique d'une précision jouissive et une sensation cristalline autour de l'eucalyptus et du citron vert scintillant, il y a ce bref instant de grâce où on sait pourquoi on a fait 6 heures de bagnole la veille en se tapant les bouchons de fin de journée à Bruxelles, tout ça n'a plus d'importance !
Excellent / 17.5/20
Clos de Mosny 2012
On perçoit bien l'ADN commun mais on revient ici vers quelque chose que je qualifierais de plus "classiquement chenin" avec une dominante aromatique sur les fruits blancs et jaunes mûrs, une belle impression "pommadée" comme souvent, pomme golden, belles notes d'élevage, ici le maitre-mot serait plutôt la gourmandise.
Très bien / 16/20
Clos de Mosny 2011
Le Mosny des origines ! Et c'est sur celui-ci que s'opère une vraie transition tertiaire qui cette fois-ci part à nouveau vers des territoires qui me rappellent Clynelish avec des notes cireuses, fermières, légèrement fumées, avec du champignon mariné, du végétal noble type céléri. La bouche est passionnante, incroyablement surprenante de complexité et de définition aromatique sur un festival d'épices, curry en poudre (mais pas du tout le curry de l'oxydatif), cumin, garam masala d'une intensité incroyable, et un cortège de notes racinaires qui à nouveau évoquent le céléri rave et la gentiane. Passionnant ! Profil unique et qui destine ce vin à des accords gastronomiques pointus.
Très bien + / 16.5/20
Jean-Philippe nous confie qu'il nous a "épargné le 2013 parce que c'était franchement …" et on devine la suite. "C'est si terrible que ça ?", demande-t-on, la curiosité piquée. "Faites-vous votre avis 😉"
Clos de Mosny 2013
On sent effectivement un vin légèrement éteint, on est bien un niveau en-dessous du reste. Mais il reste quand même du monde et de belles notes de bergamote sont bien là. La bouche est très acide et légèrement stricte, cependant aromatiquement il y a des choses intéressantes comme la cendre et le fromage blanc. Doit fonctionner très bien sûr un fromage de chèvre.
Bien + / 14.5/20
Pour revenir sur un autre profil tertiaire et remonter au temps où Mosny n'était pas encore, Jean-Philippe décide de clore cette remontée dans le temps par un dernier très beau vin :
Clos Michet 2010
Sur un profil d'évolution tertiaire à nouveau passionnant, proche de Mosny 11, mais peut-être encore un peu plus complexe et plus austère. Grand cortège de notes racinaires et fumées, superbe empreinte minérale en bouche, très calcaire, finale sur les fruits secs après une présence en bouche monumentale.
Très bien + / 16.5/20
Il est temps de quitter les blancs pour nous attaquer aux rouges du Domaine de la Butte. Ces Bourgueil illustreront bien la versatilité du Cabernet Franc, qui n'est pas mon cépage favori, sur ce genre de terroirs.
Pied de la Butte 2021
Couleur plutôt peu concentrée, nez très lisible de framboise, poivron rouge mûr, betterave. Belle spontanéité de fruit en bouche, touche florale, finale épicée fraiche. Relativement simple mais très cohérent et belle entrée en matière.
Bien + / Très bien - / 15/20
Haut de la Butte 2020
Ah, là on cause. Il y a une profondeur florale et terreuse supplémentaire, c'est indéniable. La bouche commence sur un tanin plus sérieux mais retrouve très rapidement après un côté incroyablement juteux et aromatique sur la framboise fraiche, la violette et le paprika. Le nez à l'aération révèle de superbes notes de pivoine. Entre Pied de la Butte et Mi-Pente, ce Haut de la Butte est pour moi en l'état le compromis idéal entre profondeur et immédiateté de plaisir.
Très bien + / 16.5/20
Mi-pente 2020
Concentration et profondeur sont ici les maitre-mots, étoffe bourguignonne au nez mais extrêmement dense, pas encore totalement lisible, sur des touches balsamiques appuyées ainsi que des notes terreuses et de cuir. Bouche florale, poudrée, à la texture magnifique et à la grande profondeur, minéralité "noire" que je ne saurais mieux définir, ici à l'exact inverse de HdB le tanin se construit crescendo et non pas decrescendo, ça commence fin mais ça prend un grain et une place dans la bouche qui deviennent gigantesques à force de le mâcher. Il y a moins de "jutosité" et de plaisir immédiat mais c'est potentiellement une grande bouteille en devenir, grande garde assurée.
Très bien / 16/20 mais potentiel majeur
Allez, vous prendrez bien quelques sucres avant de partir, faudrait pas faire une syncope ! (Je précise qu'on n'a toujours rien avalé de la journée 😊)
Moelleux 2020
Contraste entre un nez assez discret en l'état et une bouche superbement expressive (ce sera une caractéristique commune à tous les sucres d'ailleurs, peut-être qu'on ne leur laisse pas assez de temps ? peut-être qu'on a les narines qui saturent ?). Ici la bouche est une quintessence de ce que je désigne peut-être à tort comme les "notes d'élevage" dans Mosny par exemple, c’est-à-dire magnifique cortège d'amandes caramélisées, pop-corn, et beau fruit sur la pomme mûre. Miam !
Très bien / 16/20
Cuvée des Loups 2018
Plus riche et plus doré en couleur d'ailleurs, doré en aromatique aussi en fait, pomme golden, joli rôti, mais n'a pas ce côté "élevage" pour lequel je craque sur le précédent. Un peu simple mais le plaisir est bien là.
Bien + / Très bien - / 15/20
Romulus 2020
Très beau, digeste malgré sa liqueur, notes d'abricot sous-jacentes sur lesquelles se greffent des nuances mellifères, résineuses.
Très bien / 16/20
Bretonnière Moelleux 2003
Quelle magnifique manière de clore cette dégustation de rêve ! Cette bouteille, je dois dire, dépasse les autres sucres dégustés d'une bonne tête. Sa complexité aromatique est merveilleuse et d'une grande fraicheur (en plus au vu du millésime, ça doit être le terroir qui parle !) sur des notes d'agrumes et de violettes cristallisées qui rappellent de grands riesling SGN, avant de finir sur une note de tarte tatin d'une précision diabolique, rappelant qu'ici, c'est, c'était, et ça restera le royaume du roi Chenin.
Excellent - / 17/20
Quelle dégustation ! Nous repartons enchantés, encore mille mercis au domaine et en particulier à Jean-Philippe pour ce moment privilégié, de savoir que ce domaine mondialement couru nous accueille encore nous, petite bande de jeunes de 27-28 ans, avec cette qualité d'accueil … Respect ! Il ne fait aucun doute que le domaine a encore un futur splendide devant lui et qu'il a toutes les cartes en main pour entamer cette nouvelle étape de son histoire.